Saisine du Conseil constitutionnel en date du 27 décembre 2016 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2016-745 DC

JurisdictionFrance
Date de publication28 janvier 2017
Record NumberJORFTEXT000033935276
Publication au Gazette officielJORF n°0024 du 28 janvier 2017
Enactment Date27 décembre 2016


(LOI RELATIVE À L'ÉGALITÉ ET À LA CITOYENNETÉ)


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté, aux fins de déclarer contraires à la Constitution plusieurs de ses articles, qui portent atteinte à des principes fondamentaux reconnus par le Conseil constitutionnel ou aux règles encadrant l'adoption des amendements par le Parlement (« cavaliers législatifs », règle de « l'entonnoir », dispositions non normatives).


Article 14 decies


Actuellement, l'article L. 441-1 du code de l'éducation prévoit que l'ouverture d'un établissement privé d'enseignement scolaire relève d'un régime déclaratif, donnant à l'administration la possibilité de s'opposer à l'ouverture. A défaut, l'établissement est ouvert de manière régulière. Cela concerne l'ensemble des établissements privés, car un établissement privé ne peut demander à être lié à l'Etat par un contrat qu'après cinq années d'exercice.
Les requérants relèvent que ce régime déclaratif est fondé sur plusieurs principes, tels que la liberté de conscience (droit des parents de choisir l'instruction de leur enfant, CEDH 7 décembre 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n° 5095/71, 5920/72 et 5926/72), la liberté d'association (décision CC 71-44 DC du 16 juillet 1971), ou la liberté d'entreprendre (issue de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme), selon la forme juridique qui sera donnée à l'établissement créé.
Ces différentes libertés participent au principe général et fondamental de liberté de l'enseignement, consacré par divers instruments juridiques internationaux, notamment l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'article 2 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1952, l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, et l'article 29 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (1989).
Au plan national, la décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977 du Conseil constitutionnel a élevé la liberté d'enseignement au rang des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ».
Or, l'article 14 decies de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté, introduit en première lecture à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, habilite ce dernier à modifier par ordonnance le code de l'éducation concernant les conditions d'ouverture des établissements privés d'enseignement. L'habilitation vise, en particulier, le remplacement du régime de déclaration d'ouverture en vigueur par un régime d'autorisation préalable.
Les requérants estiment qu'en opérant cette substitution, l'article 14 decies porte une atteinte disproportionnée au principe fondamental de liberté d'enseignement protégée par les textes mentionnés ci-dessus.
Les requérants citent en faveur de cette interprétation un précédent comparable concernant la liberté d'association, où le Conseil constitutionnel a censuré la substitution d'un régime d'autorisation au régime déclaratif, en jugeant, qu'en vertu du principe de liberté d'association, « les associations se créent librement sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable » et que leur « constitution ne peut être soumise, pour sa validité, à l'intervention préalable de l'autorité administrative » (décision CC 71-44 DC du 16 juillet 1971).
On peut également citer, pour une interprétation a contrario, la décision du Conseil constitutionnel ayant validé l'exclusion de certains établissements hors contrat de la liste des bénéficiaires de la taxe d'apprentissage, au motif que celle-ci n'avait « pas pour effet d'empêcher de créer » un tel établissement (décision CC 2015-496 QPC 21 octobre 2015). Or en l'espèce, le changement de régime a précisément pour effet d'empêcher la création d'un établissement, tant que l'Etat n'a pas donné son autorisation.
Les requérants répondent par ailleurs à l'argument opposé par le Gouvernement de l'existence en Alsace et en Moselle d'un régime d'autorisation préalable, instauré par une loi allemande du 12 février 1873 et maintenu en application par l'article L. 481-1 du code de l'éducation, que celui-ci n'est pas recevable, puisque le Conseil constitutionnel n'a validé que la spécificité du droit local : l'extension du droit local d'Alsace-Moselle au reste du pays serait contraire à la Constitution.
Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs requérants estiment que l'article 14 decies de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'enseignement et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.


Article 25


Les requérants estiment que l'article 25 méconnaît le principe du droit au respect de la vie privée.
Plus précisément, ils estiment que les dispositions visant à étendre le contenu du répertoire de logements locatifs sociaux aux données relatives aux locataires portent atteinte au droit au respect de la vie privée qui est rattaché depuis 1999 à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
En effet, depuis la décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 sur la loi portant création d'une couverture maladie universelle, le Conseil constitutionnel a jugé que la liberté proclamée par cet article « implique le respect de la vie privée ».
Or, le présent article vise à compléter la liste des données appelées à figurer dans le répertoire des logements sociaux, en intégrant le numéro d'immatriculation au répertoire national d'identification des personnes physiques (numéro INSEE/NIR) de tous les occupants majeurs d'un logement social.
Pour rappel, ce numéro d'identification unique de l'individu est formé de 13 chiffres permettant notamment d'identifier le sexe de la personne, l'année, le mois et le lieu de sa naissance.
Pour cette raison, les requérants souhaitent rappeler la récente délibération de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sur ce partage d'informations entre les bailleurs sociaux et le ministère chargé du logement. D'une part, la CNIL a exprimé des réserves quant à l'intérêt d'utiliser le NIR des occupants dans le cadre de l'élaboration des cartographies, notamment afin de renforcer la précision de celles-ci. D'autre part, la consultation engagée par la CNIL à l'occasion de l'élaboration du pack de conformité « logement social », auprès d'un échantillon de bailleurs sociaux sur le besoin de traiter le NIR dans le cadre de la réalisation d'enquêtes annuelles, y compris celle portant sur l'occupation du parc social, a conduit la Commission à demander l'exclusion du traitement du NIR.
Pour cette raison, les requérants estiment que les alinéas 5 et 6 de l'article 25 méconnaissent le droit au respect de la vie privée sans qu'aucune justification liée à la poursuite d'un motif d'intérêt général ne puisse être invoqué.


Article 30, alinéas 12 et 13


Les requérants estiment que les alinéas 12 et 13 de l'article 30 méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Plus précisément, ils estiment que la privation pour une commune de l'ensemble de ses droits de réservation en matière de logements sociaux existants, lorsque celle-ci est en situation de carence, est de nature à entraver sa libre administration.
Ce principe de libre administration des collectivités territoriales peut directement être rattaché à plusieurs dispositions de la Constitution du 4 octobre 1958. Les dispositions les plus éloquentes à ce sujet sont sans nul doute l'article 34, aux termes duquel il est précisé que : « la loi détermine les principes fondamentaux […] de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; », mais surtout l'article 72 aux termes duquel : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. »
Sans répondre aux interrogations sur le caractère normatif de ce principe, auxquelles Jacques-Henri Stahl répond par l'affirmative dans sa contribution de janvier 2014 aux cahiers du Conseil constitutionnel, et sans chercher à déterminer si la libre administration constitue une liberté ou davantage un principe d'organisation de l'Etat duquel découleraient certains droits ou libertés, comme tentent de le faire Louis Favoreu et André Roux dans leur contribution de mai 2002 aux cahiers du Conseil constitutionnel, les requérants rappellent que la valeur constitutionnelle du principe de libre administration des collectivités territoriales a été consacrée par la décision du 23 mai 1979 sur la loi modifiant les modes d'élection de l'Assemblée territoriale et du Conseil de gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et définissant les règles générales de l'aide technique et financière contractuelle de l'Etat.
Comme le rappellent Louis Favoreu et André Roux dans leur contribution précitée, on ne comptait en 2002 que quatre annulations sur le fondement de ce principe de libre administration des collectivités territoriales : la décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984 sur la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, la décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 sur la loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, la décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999 sur la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des...

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