Saisine du Conseil constitutionnel en date du 21 décembre 1998 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 98-405 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°303 du 31 décembre 1998
Date de publication31 décembre 1998
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000000209556

LOI DE FINANCES POUR 1999

Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 1999, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 18 décembre 1998.

Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider notamment que les articles 15, 38, 41, 52, 64 et état A, 77, 99, 107, 136 et 51 de la loi précitée ne sont pas conformes à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous, ainsi que tout autre article dont il paraîtrait opportun de soulever d'office la conformité à la Constitution.

Article 15

L'article 15 du projet de loi de finances pour 1999, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture, vise à insérer dans le code général des impôts un article 885 G bis et à inverser, à compter du 1er janvier 1999, les règles relatives à la taxation à l'impôt de solidarité sur la fortune des biens ou droits dont la propriété est démembrée.

En vertu de la législation en vigueur, il existe une présomption irréfragable de propriété posée par l'article 885 G du code général des impôts. Lorsqu'il y a démembrement des biens ou des droits, ces derniers sont incorporés dans le patrimoine de l'usufruitier ou de la personne disposant du droit d'usage ou d'habitation pour leur valeur en pleine propriété. Cette règle posée en 1981 au moment de la création de l'impôt sur les grandes fortunes, et conservée lors du rétablissement de cet impôt sous la dénomination d'impôt de la solidarité sur la fortune, a été considérée comme conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 81-133 DC du 30 décembre 1981 : le juge a en effet considéré que cet impôt a pour objet « de frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèces ou en nature procurés par ces biens ». Le même considérant indique qu'« une telle capacité contributive se trouve entre les mains non du nu-propriétaire mais de ceux qui bénéficient des revenus ou avantages afférents aux biens dont la propriété est démembrée ».

Le texte adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture vise à inverser, à compter du 1er janvier 1999, le principe posé en 1981 et à comprendre les biens ou droits dont la propriété est démembrée dans le patrimoine de l'auteur du démembrement, qu'il soit par la suite usufrutier ou nu-propriétaire. Certes, le texte nouveau permettrait de maintenir un certain nombre d'exceptions afin de porter remède aux effets pervers d'une assimilation excessive, mais le principe de droit commun serait à l'opposé de la règle en vigueur depuis 1981.

Néanmoins, il convient d'insister sur l'interprétation très explicite donnée par le Conseil constitutionnel en 1981 de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme aux termes duquel la contribution commune (les impôts) « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». De manière parfaitement logique, le Conseil constitutionnel a considéré qu'il convenait de lier la perception des revenus procurés par un bien et leur assujettissement à un impôt sur la fortune. De manière non contestable, le Conseil constitutionnel a donc établi une connexité entre le bénéfice des revenus ou des avantages procurés par les biens et le paiement de l'impôt.

En établissant le principe inverse, c'est-à-dire la prise en compte en pleine propriété dans le patrimoine de celui qui a constitué sur des biens un usufruit, un droit d'usage ou d'habitation, en laissant par conséquent à d'autres les revenus y afférents, le législateur a violé la règle constitutionnelle affirmée en 1981 selon laquelle l'impôt suit le revenu.

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel ne peut que censurer cet article.

Article 38

La taxe sur les bureaux en Ile-de-France est étendue par cet article aux locaux commerciaux et aux locaux de stockage. Son produit est affecté à un compte spécial du Trésor créé « pour résoudre les problèmes liés à la concentration urbaine de cette région ». Comme le Gouvernement l'a clairement indiqué à la tribune du Sénat (JO, Débats Sénat, p. 5007) :

« La justification est claire - je l'ai déjà exposée, mais peut-être dois-je le répéter ! - elle constitue à faire en sorte que les bénéficiaires des infrastructures de transport participent au financement de celles-ci. Il est évident que les commerces, les bureaux et d'autres activités bénéficient des facilités de circulation tant des biens que des personnes... J'estime simplement normal... qu'en Ile-de-France chacun contribue, à raison de ses facultés, au bon fonctionnement de cette région... L'objectif du Gouvernement n'est pas de frapper la région d'Ile-de-France. Il est de parvenir à une juste contribution de ses activités économiques à la modernisation de ses transports. »

L'extension de l'assiette de cette taxe, dans les modalités adoptées par l'Assemblée nationale en dernière lecture, n'est pas conforme à la Constitution.

En effet, eu égard au fait que toutes les activités économiques sans exception tirent bénéfice d'un réseau de transport moderne, il apparaît une inégalité flagrante devant l'impôt puisque certaines entreprises en demeurent exonérées soit en fonction de leur secteur d'activité, soit à raison de leur forme juridique, soit à cause de leur taille. De surcroît, il n'existe aucune proportionnalité entre la taxe exigée des redevables et leurs facultés contributives, puisque celle-là est calculée en fonction de la superficie d'un local. Si ce critère peut suffire pour un bureau, il est manifestement inopérant pour les autres secteurs d'activité. Ces deux raisons suffisent pour juger inconstitutionnelle l'extension de la taxe sur les bureaux en Ile-de-France.

S'il advenait qu'il fût reconnu conforme à la Constitution dans son principe...

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