Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 avril 2013 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2013-669 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0114 du 18 mai 2013
Date de publication18 mai 2013
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000027414891




LOI OUVRANT LE MARIAGE AUX COUPLES
DE PERSONNES DE MÊME SEXE


Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les conseillers,
Les députés soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de la Constitution, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, aux fins de déclarer un certain nombre des dispositions de la présente loi contraires à la Constitution.


Propos introductifs


Aux dires du garde des sceaux lui-même, la loi déférée induit une « réforme de civilisation ». En effet, la nature de la loi déférée, qui entend ouvrir des droits civils fondamentaux aux couples de personnes de même sexe, rend difficile, sans le rendre nécessairement impossible, un retour en arrière sur l'acquisition de ces nouveaux droits.
C'est la raison pour laquelle l'adoption de ce texte aurait nécessité des conditions particulières d'adhésion des Français, conditions qui n'ont manifestement pas été remplies.
Au contraire, l'adoption de ce texte est entachée d'illégitimité :


A. ― Le défaut de consultation des organismes qui auraient
dû l'être, et les avis négatifs des organismes consultés


Tout d'abord, aucun avis favorable au projet de loi déféré en cause, obligatoire ou facultatif, n'a été rendu par un organisme ayant une compétence réelle en matière familiale.
Les organismes devant être obligatoirement consultés n'ont pas rendu d'avis favorable :
― celui de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) émis le 18 octobre 2012 est nettement défavorable ;
― celui rendu le 9 janvier 2013 par le Conseil supérieur de l'adoption fait état de nombreuses réserves et inquiétudes ;
― et l'avis du Conseil d'Etat en date du 31 octobre 2012 semble comporter de si nombreuses réserves qu'il ne peut être considéré comme favorable.
Enfin, d'autres instances, dont l'éclairage aurait été nécessaire, n'ont pas été consultées :
― le Conseil économique, social et environnemental, dont la compétence sur le sujet ne fait aucun doute, n'a pas été saisi par le Premier ministre et a même refusé d'examiner une pétition déposée par plus de 700 000 citoyens en vertu de l'article 69 de la Constitution ;
― enfin, le Comité consultatif national d'éthique, dont la mission est pourtant de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé a été délibérément ignoré.


B. ― L'« hésitation » du Président de la République
sur la liberté de conscience


« Et puis, il y a la liberté de conscience ». Le mot prononcé par le Président de la République le 20 novembre 2012 lors du congrès des maires de France à propos de l'attitude des maires qui souhaitent se soustraire à l'obligation de célébrer un mariage entre personnes de même sexe a posé d'une autre manière la question de la légitimité de ce texte.
La question peut paraître choquante : comment peut-on remettre en cause un texte de loi voté par des assemblées légitimement et démocratiquement élues ? Comment les 36 000 maires de France, agissant en qualité d'officiers d'état civil c'est-à-dire juridiquement en qualité d'agents de l'Etat, gardiens de nos registres d'état civil et officiant lors des engagements d'une vie commune pourraient-ils remettre en cause la loi républicaine ?
Simplement, la « liberté de conscience » signifie qu'on ne peut contraindre un citoyen à faire ce que sa conscience lui interdit au fond de lui-même parce qu'il ne se reconnaît pas intimement dans l'action que ses fonctions devraient lui imposer. On la connaissait pour les objecteurs de conscience à propos du service national dans une décision de 1963, on la reconnaît en matière médicale pour l'IVG depuis 1975. La charte des droits fondamentaux de l'Union européenne l'inscrit expressément : « Le droit à l'objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l'exercice ».
Le propos du Président de la République, même s'il s'est ensuite rétracté, révèle l'évidence : la loi déférée n'est pas, dans l'esprit du premier des Français, un texte dans lequel chaque Français peut se reconnaître, y compris les élus municipaux. Ce texte ne peut être reconnu comme traduisant un large assentiment du peuple français.


C. ― Le refus de recourir au référendum


Le droit constitutionnel exige que la remise en cause des éléments essentiels d'un régime politique ou du contrat social d'une société donnée ne puisse se faire que par l'organe investi du pouvoir constituant, selon une procédure solennelle et avec l'assentiment, soit du peuple souverain, soit d'une majorité renforcée des représentants de la nation.
Hans Kelsen a exposé, dans sa théorie dite « de l'aiguilleur », que lorsque le juge constitutionnel constate qu'une loi ordinaire déroge à la Constitution, il ne porte pas un jugement de valeur sur l'œuvre du législateur, mais se borne à indiquer qu'une telle loi aurait dû être adoptée en la forme constitutionnelle, c'est-à-dire selon les règles de compétence et de procédure propres aux lois constitutionnelles. Cette considération de théorie juridique rejoint la souveraineté démocratique qui exige que les éléments essentiels du contrat social d'une nation ne puissent être changés par une simple majorité passagère, mais qu'une telle responsabilité revienne directement aux citoyens eux-mêmes ou, pour les remises en cause moins profondes, à une majorité renforcée de représentants exprimée, en régime bicaméral, dans les deux assemblées.
Or les motions de renvoi du texte à référendum ont été rejetées dans les deux chambres du Parlement tandis que le pouvoir exécutif s'est réfugié derrière une distinction entre les « questions sociales » et les « questions sociétales » pour prétendre qu'une consultation populaire sur le projet de loi en cause, initiée sur le fondement de l'article 11, serait contraire à la Constitution.
Ceci alors même que le préambule de la Constitution de 1946 range la famille dans le chapitre social, et que le Conseil économique, social et environnemental auquel est consacré le titre XI de la Constitution de 1958 comporte, en vertu de l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958, dix représentants des associations familiales et statue fréquemment sur les affaires familiales.
La loi déférée a suscité une très forte mobilisation de la société civile qui a abouti à la première pétition constitutionnelle de la Ve République réunissant plus de 700 000 signatures validées par le Conseil économique, social et environnemental. D'immenses manifestations d'opposition à la loi déférée ont eu lieu à travers toute la France métropolitaine et ultra-marine et jusque devant les ambassades à l'étranger, atteignant une ampleur inégalée depuis des décennies.
C'est donc au juge constitutionnel qu'il revient désormais de donner, le cas échéant, la parole au peuple souverain en jugeant que la loi déférée nécessite une révision de la Constitution. Car la rédaction de l'article 89 de la Constitution fait du référendum le principe, et du Congrès l'exception. Et les auteurs de la Constitution de 1958 ne peuvent avoir conçu la révision par voie parlementaire que pour les réformes portant sur des « révisions mineures » de la charte fondamentale, la ratification populaire s'imposant pour les révisions touchant à l'essentiel (1).
D. ― Ce défaut de légitimité, dans la forme, s'accompagne pour les requérants d'une illégitimité de fond, en ce que la législation actuelle, qui ne permet pas aux couples de personnes de même sexe de se marier, ne méconnaît en rien le principe d'égalité
L'un des arguments majeurs de l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe est celui de l'égalité et de la non-discrimination. Il s'agirait donc de faire profiter les personnes de même sexe qui vivent « en couple » du même statut que les hommes et les femmes qui vivent mariés.
La revendication d'un statut juridique, au nom de l'égalité, doit se comprendre au regard des caractères particuliers du statut juridique du mariage. Historiquement, l'institution du mariage a été formalisée dans le droit pour permettre de stabiliser les situations juridiques des familles constituées d'un homme, d'une femme, et des enfants qui sont issus de leur union. Puis l'adoption d'enfants nés en-dehors de ce couple a été autorisée afin de donner un foyer à d'autres enfants et de permettre de réaliser l'objectif de l'union matrimoniale : la procréation et l'accueil d'enfants pour les élever jusqu'à l'âge adulte (2).
Le mariage a pour fonction d'organiser les relations entre un homme et une femme en vue non seulement de réguler leur vie commune (obligations réciproques, contribution aux charges communes, gestion et propriété des biens,...) mais aussi de régler leur autorité commune sur les enfants dont ils ont la responsabilité parce qu'ils sont le fruit de leur union.
Les époux sont donc dans une situation particulière qui justifie un traitement spécifique par le droit. Le droit du mariage est largement orienté vers la famille et donc vers les enfants. Que les époux, involontairement ou non, n'aient pas d'enfants ne change rien à cette finalité objective.
Il est évident que les couples homosexuels ne sont pas dans la même situation puisque leurs relations ne peuvent être ordonnées en vue de la procréation. Leur union de vie répond donc à une situation objectivement différente.
C'est bien la raison pour laquelle la revendication du mariage par les couples de même sexe n'est pas une question d'égalité ou d'inégalité à laquelle il faudrait mettre fin par la loi. Le droit le dit de façon claire, tant dans la jurisprudence du Conseil d'Etat que du Conseil constitutionnel : « le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ». Cette formule classique signifie que à situation différente, traitement différent.
Les couples de même...

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