Saisine du Conseil constitutionnel en date du 7 août 2007 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2007-556 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°193 du 22 août 2007
Record NumberJORFTEXT000000245355
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication22 août 2007



LOI SUR LE DIALOGUE SOCIAL ET LA CONTINUITÉ DU SERVICE PUBLIC DANS LES TRANSPORTS TERRESTRES RÉGULIERS DE VOYAGEURS
Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs suivants.


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A titre liminaire, les auteurs de la saisine entendent rappeler leur engagement constant en matière de défense et de promotion des services publics en général et du service public des transports de voyageurs en particulier. Ils considèrent de surcroît que la satisfaction des besoins essentiels du pays, et donc la préservation de l'ordre public, ne peut se construire durablement sans réelle conciliation entre les principes constitutionnels de protection des libertés et droits fondamentaux, en l'occurrence le droit de grève et la continuité du service public.
De ce point de vue, les requérants estiment qu'une réponse réelle et efficace à l'attente des citoyens ne saurait reposer sur un dispositif législatif qui, faute de ne pouvoir mettre en oeuvre techniquement un service dit minimum dans le secteur des transports terrestres, ait un caractère disproportionné avec l'objet de la loi et contradictoire puisque la loi votée aboutira à l'effet inverse de celui annoncé.
Par ailleurs, légiférer dans l'urgence et en se référant aux résultats de sondages d'opinion pourrait se concevoir si la loi votée par le Parlement était en lien réel avec les attentes exprimées.
Tel n'est malheureusement pas le cas. En réalité, l'intention du législateur se trouve être masquée aux dépens de l'objet réel de la loi, qui ne vient résoudre aucune des questions posées en ce qui concerne le dialogue social et la continuité du service public.
La loi déférée ne peut donc être considérée comme respectueuse des principes constitutionnels de protection des libertés et droits fondamentaux, comme le droit de grève et la continuité du service public ainsi que leur nécessaire conciliation, qu'elle prétend pourtant défendre et promouvoir.
Ainsi, afin de mesurer la portée exacte des inconstitutionnalités commises dans cette loi, les auteurs de la saisine souhaitent rappeler brièvement la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le droit de grève, en particulier dans les services publics, et sur la conciliation entre ce droit constitutionnel et le principe de continuité du service public, qui tout comme le droit de grève a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle.
Aux termes du septième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. » Une loi qui viendrait réglementer le droit de grève ne saurait pour autant être automatiquement considérée conforme à la Constitution.
Ainsi, le cadre de l'intervention du législateur a été clairement précisé à l'occasion de la décision fondatrice n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, par laquelle le Conseil constitutionnel a explicitement indiqué que les constituants avaient entendu marquer que le droit de grève était un principe constitutionnel, dont les limites de l'exercice doivent être tracées par le législateur à la condition d'opérer « la conciliation nécessaire dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève est de nature à porter atteinte ».
Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle » (décision n° 79-105 DC). Autrement dit, cette conciliation ne saurait rendre virtuels ni l'exercice du droit de grève ni la continuité des services publics.
Les limites que le législateur peut apporter au droit de grève doivent être nécessaires et ne peuvent être que justifiées par d'autres considérations de valeur constitutionnelle. La conciliation entre deux principes à valeur constitutionnelle ne peut s'établir au détriment de l'un ou l'autre de ces principes. Les limitations peuvent dans certains cas aller jusqu'à « l'interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays » (décision n° 79-105 DC).
A l'exception des salariés et agents affectés à la satisfaction de besoins essentiels du pays, votre jurisprudence a donc toujours autorisé le législateur à fixer des limites au droit constitutionnel de grève dès l'instant où il s'agit de concilier ce droit avec d'autres principes de valeur constitutionnelle.
Sauf à considérer que le droit d'utiliser les transports terrestres collectifs en toutes circonstances fasse partie des libertés et droits fondamentaux, et que l'interruption, ou simplement la limitation, des services de transport réguliers de voyageurs porterait atteinte à un besoin essentiel du pays, le législateur ne peut donc ni, au nom de la continuité du service public, porter au droit de grève une restriction telle que son exercice deviendrait impossible, ni, par un exercice sans limite du droit de grève, porter atteinte de façon excessive à la continuité du service public.
En réalité, la liberté d'aller et venir, consacrée comme principe à valeur constitutionnelle, ne se confond pas avec le droit d'utiliser les transports terrestres collectifs en toutes circonstances. Elle ne peut pas être valablement opposée au droit constitutionnel de grève, dans la mesure où la grève n'a pas pour effet de priver l'usager d'aller et venir, mais simplement de réduire l'offre de services de transport, donc de le priver d'un moyen d'aller et venir. Sa liberté de se déplacer n'est pas totalement entravée du seul fait de la grève.
En définitive, le Conseil constitutionnel a systématiquement opéré un contrôle de proportionnalité de la conciliation faite par le législateur entre le droit de grève et la continuité du service public. Le droit de grève constituant une liberté fondamentale, il apparaît aux termes mêmes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que « la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984).
Les décisions n° 80-117 DC du 22 juillet 1980 et n° 82-144 DC du 22 octobre 1982 ont ainsi établi la nécessaire conciliation entre le droit constitutionnel de grève et respectivement la protection de la santé et de la sécurité des personnes et le principe d'égalité.
Le législateur a pu encadrer l'exercice du droit de grève à condition que les limites posées soient nécessaires à la sauvegarde de l'intérêt général. La jurisprudence du Conseil constitutionnel s'est alors appliquée au sein des établissements qui détiennent des matières nucléaires.


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I. - Sur la méconnaissance de la compétence du législateur en matière de réglementation de l'exercice du droit constitutionnel de grève
La réglementation du droit de grève incombe au législateur. Le Conseil constitutionnel a dans ce cadre déclaré conforme à la Constitution une disposition dans la mesure où elle ne comportait « aucune délégation au profit du Gouvernement, de l'administration ou des exploitants du soin de réglementer l'exercice du droit de grève » (décision n° 80-117 DC du 22 juillet 1980).
La compétence exclusive du législateur de réglementer l'exercice du droit de grève peut être uniquement déléguée aux partenaires sociaux, compte tenu des dispositions combinées de l'article 34 de la Constitution, selon lesquelles la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, et du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui pose le principe de la participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. Après une concertation appropriée, les employeurs et les salariés, par l'intermédiaire de leurs représentants, peuvent ainsi préciser les modalités concrètes de mise en oeuvre des règles édictées par le législateur.
Il ressort de cette jurisprudence que l'exercice du droit de grève ne peut se trouver enfermé dans des conditions non prévues par le législateur. Pourtant, plusieurs dispositions de la loi critiquée ne respectent pas ce principe.
1. L'article 2 de la loi établit les procédures de négociation entre les entreprises de transport et les organisations syndicales en vue de la signature avant le 1er janvier 2008 d'accord dit cadre organisant une procédure de prévention des conflits.

Des négociations de même ordre doivent également être organisées au niveau des branches. Ces négociations portent sur les modalités d'exercice du droit de grève. Si aucun accord au niveau de l'entreprise ou au niveau de la branche n'a pu être signé au 1er janvier 2008, un décret en Conseil d'Etat fixera les règles de la procédure de négociation.
Les travaux parlementaires ont clairement indiqué quelle sera la nature de ce décret. Dans le cadre de la deuxième séance du mardi 31 juillet 2007 à l'Assemblée nationale, le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité a ainsi indiqué à propos de...

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