Saisine du Conseil constitutionnel en date du 13 avril 2010 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2010-605 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0110 du 13 mai 2010
Record NumberJORFTEXT000022204758
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication13 mai 2010




LOI RELATIVE À L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE ET À LA RÉGULATION DU SECTEUR DES JEUX D'ARGENT ET DE HASARD EN LIGNE
Monsieur le président, madame et messieurs les conseillers,
Nous avons l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, le projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, tel qu'il a été définitivement adopté le 6 avril 2010.
Par la présente saisine, les députés entendent faire respecter le principe d'une conciliation raisonnable entre, d'une part, les principes constitutionnels de protection de la santé publique, de sauvegarde de l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'entreprendre.
Il ne s'agit donc nullement de contester la nécessité d'un encadrement légal des jeux en ligne mais de dénoncer les modalités choisies par le législateur qui apparaissent manifestement insuffisantes pour assurer le respect des principes dont vous êtes le gardien.
Le texte qui vous est soumis opère une rupture complète en matière de protection des consommateurs. Alors que la loi de 1991 relative à la lutte contre l'alcoolisme et le tabagisme visait à limiter la liberté d'entreprendre au nom d'un objectif dont vous avez reconnu la valeur constitutionnelle, le présent texte procède d'une logique opposée en ouvrant à la concurrence les jeux de ligne sans garantir ― aussi sérieusement que nécessaire ― la protection des consommateurs.
Alors que vous jugez de manière constante que la liberté d'entreprendre « n'est ni générale ni absolue » (votre décision précitée n° 90-283 DC ou votre décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991), force est de constater qu'elle constitue le point cardinal de ce texte, fût-ce au détriment d'autres droits et principes de valeur constitutionnelle. Voilà ce qu'il vous appartient dès lors de sanctionner.
Sur la forme :
Une atteinte au principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires :
La procédure ayant conduit à l'adoption de ce texte est entachée d'irrégularités qui conduisent les auteurs de la présente saisine à demander au Conseil constitutionnel la censure de l'ensemble dudit texte.
Lors de la seconde lecture à l'Assemblée nationale (première séance du 30 mars 2010), c'est au mépris du règlement de l'Assemblée qu'a été rejetée la motion de rejet préalable présentée par le groupe SRC. En effet, alors que le vote par scrutin public était annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée et que le président de séance venait de déclarer ouvert le scrutin, la procédure de vote fut arbitrairement interrompue par plusieurs suspensions de séance. Cet incident n'est au demeurant pas un cas isolé tant il est vrai que de telles irrégularités entachent de manière récurrente les séances à l'Assemblée nationale.
Vous rappelez certes de manière constante que le règlement de l'Assemblée nationale « n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle » (décision n° 78-97 DC) mais une telle irrégularité ne se réduit justement pas à une violation manifeste du règlement de l'Assemblée nationale puisqu'elle conduit in fine à altérer la sincérité du scrutin et partant de la délibération parlementaire. Ce texte a ainsi été adopté en méconnaissance de l'article 3 de la Constitution et des exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires (notamment votre décision n° 2005-526 DC).
Sur le fond :
1. Une loi contraire à un principe fondamental reconnu par les lois de la République :
En décidant de libéraliser le secteur des jeux en ligne, le législateur remet frontalement en cause une tradition juridique française qui se traduit depuis le xixe siècle, en matière de jeux de hasard, par les trois principes de prohibition, d'exception et d'exclusivité. Il méconnaît ce faisant un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
En effet, cette prohibition de principe ― qui se trouve consacrée par une loi du 21 mai 1836 ― a été constamment réaffirmée par le législateur républicain de la loi du 2 juin 1891 à celle du 12 juillet 1983 en passant notamment par la loi du 18 avril 1924.
Les valeurs qui sous-tendent cette prohibition de principe constituent le socle de la République : la protection de l'ordre public et de l'ordre social. Ainsi l'exposé des motifs de la loi du 2 juin 1891 évoque-t-il le « développement de la passion du jeu dans toutes les classes [auquel] il importe de mettre fin ». Ainsi encore l'exposé des motifs de la loi du 18 avril 1924 évoque-t-il la nécessaire protection des individus face aux dangers que représente « l'espoir d'un gain important qui n'a pas sa source dans le travail » qui « détourne de l'effort et engage à l'inaction ».
Ces préoccupations justifiaient alors le régime des droits exclusifs permettant à l'Etat d'assurer un contrôle adéquat sur ces activités sensibles. Les droits exclusifs conférés à La Française des jeux, au PMU ou aux casinos...

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