Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 décembre 2010 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2010-624 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0021 du 26 janvier 2011
Record NumberJORFTEXT000023474436
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication26 janvier 2011




LOI PORTANT RÉFORME DE LA REPRÉSENTATION
DEVANT LES COURS D'APPEL


Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel.
Les sénateurs requérants mesurent combien les conditions d'indemnisation de la suppression des offices des avoués près les cours d'appel ont été améliorées au regard du projet de loi initial, et ce particulièrement à l'initiative de la commission des lois du Sénat.
Il n'en demeure pas moins que, quelles que soient les améliorations apportées, certains aspects du régime d'indemnisation demeurent contraires à la Constitution et appellent votre censure.


I. ― Considérations liminaires


A titre liminaire, les requérants rappellent qu'en aucun cas la suppression des offices des avoués ne résulte d'une quelconque exigence communautaire comme l'indique pourtant l'exposé des motifs du projet de loi ainsi que son étude d'impact, et notamment pas la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
Qu'en effet, l'article 3.1 de cette directive prévoit que : « Si les dispositions de la présente directive sont en conflit avec une disposition d'un autre acte communautaire régissant des aspects spécifiques de l'accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques, la disposition de l'autre acte communautaire prévaut et s'applique à ces secteurs ou professions spécifiques. »
Or, l'article 5.3 de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise prévoit spécifiquement que l'Etat d'accueil peut imposer aux avocats communautaires « d'agir de concert soit avec un avocat exerçant auprès de la juridiction saisie et qui serait responsable, s'il y a lieu, à l'égard de cette juridiction, soit avec un avoué exerçant auprès d'elle ».
D'ailleurs, aussi bien le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale (rapport n° 1931 du 23 septembre 2009) que du Sénat (rapport n° 139 du 8 décembre 2009) ont relevé que la directive « service » n'imposait pas cette suppression. Le rapporteur de l'Assemblée nationale a même évoqué l'hypothèse a contrario selon laquelle « la suppression des avoués près les cours d'appel pourrait être de nature à introduire une inégalité entre l'avocat français, inscrit au barreau du tribunal de grande instance, qui pourra directement postuler en appel, et l'avocat communautaire, qui devra faire appel à lui » (p. 23).
Dès lors, et en tout état de cause, on ne saurait considérer que les dispositions de la loi qui vous est ici déférée « se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises » de la directive « service » (décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, cons. 9, et décision n° 2010-79 QPC du 17 décembre 2010, cons. 3).
En conséquence de quoi, c'est bien à un contrôle plein et entier de la constitutionnalité du texte qu'il vous appartient de procéder, et non à la seule recherche des dispositions qui iraient à l'encontre « d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France » (décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, cons. 19).


II. - Sur l'article 13 de la loi


Le premier alinéa de l'article 13 prévoit que : « Les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L. 13-1 à L. 13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. »
Cette disposition constitue une avancée considérable par rapport au projet de loi initial dans la mesure où, d'une part, elle permet la prise en compte de l'ensemble des préjudices qui résulteront pour les avoués de la suppression de leurs offices pour le calcul du montant de leurs indemnités, conformément au principe selon lequel « l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation » (décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, cons. 19, et décision n° 2010-26 QPC du 17 décembre 2010, cons. 6) et, d'autre part, qu'elle confie le soin de déterminer ce montant au juge de l'expropriation, dans le respect donc des « attributions conférées à l'autorité judiciaire en matière de protection de la propriété [...] par les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, cons. 23). Sa constitutionnalité n'est par conséquent absolument pas contestée des sénateurs requérants.
En revanche, deux griefs demeurent en souffrance sur le fond : l'absence d'indemnisation préalable à la suppression des offices établie par le dernier alinéa de l'article 13 d'abord (B), et l'absence de dispositions relatives au régime fiscal de ces indemnités ensuite (C). Quant à la forme, vous ne manquerez pas de constater que le dernier alinéa de l'article 13 a été adopté à l'issue d'un débat qui n'a pas été respectueux « des règles de valeur constitutionnelle relatives à la procédure législative » (décision n° 75-57 DC du 23 juillet 1975, cons. 1) (A).


A. ― Quant à la clarté et la sincérité des débats


Le dernier alinéa de l'article 13 vise à déterminer le moment où il devra être procédé à l'indemnisation des avoués, et prévoit ainsi que : « Dans un délai de trois mois suivant la cessation de l'activité d'avoué près les cours d'appel et au plus tard le 31 mars 2012, la commission prévue à l'article 16 notifie à l'avoué le montant de son offre d'indemnisation. En cas d'acceptation de l'offre par l'avoué, l'indemnité correspondante est versée à l'avoué dans un délai d'un mois à compter de cette acceptation. »
Cet alinéa résulte de l'adoption, en deuxième lecture, d'un amendement n° 70 du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale lors de la séance publique du 13 octobre 2010, amendement qui n'avait pas fait l'objet d'un examen préalable en commission.
De plus, il a été adopté, après qu'il a été demandé aux auteurs de deux autres amendements de les retirer, les amendements n° 45 rectifié et n° 67, au motif que leurs amendements étaient, selon les termes de la garde des sceaux, « totalement satisfaits par l'amendement n° 70 de la commission ».
Or rien n'est plus inexact. Tous deux, rédigés dans les mêmes termes, prévoyaient que « l'offre prévue à l'article L. 13-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique doit être adressée à l'avoué dans les deux mois suivant la promulgation de la présente loi ».
Autrement dit, et sachant que la suppression des offices sera effective en application de l'article 34 de la loi le 1er janvier 2012, les amendements n° 45 rectifié et n° 67 envisageaient tous deux une indemnisation préalable des avoués, tandis que l'amendement n° 70 instaure, lui, un mécanisme d'indemnisation a posteriori. Il s'agit là d'une différence substantielle qui ne peut être considérée comme satisfaisant « totalement » l'intention des députés auteurs des amendements précités.
Ceci est vrai même si était pris en compte le texte de l'article 34 dans sa rédaction issue des travaux de la commission...

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