Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 2001 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2001-455 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF du 18 janvier 2002
Record NumberJORFTEXT000000214305
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication18 janvier 2002



LOI DE MODERNISATION SOCIALE


I. - En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des règles de compétence de l'article 34 de la Constitution
Selon l'article 118, paragraphe II, de la loi, les entreprises occupant plus de mille salariés qui procèdent à une fermeture partielle ou totale d'un établissement, d'un atelier ou d'une ligne de produits doivent prendre des mesures de nature à permettre la réactivation du bassin d'emploi concerné. La participation de l'entreprise ne pourra être inférieure à une fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé sans être supérieure à quatre fois la valeur mensuelle de ce même SMIC. C'est le préfet qui fixera le montant de cette participation financière. Enfin, au cas où l'entreprise ne signerait pas avec l'Etat la convention dans laquelle doivent être définies et précisées ces mesures, la loi prévoit qu'elle devra s'acquitter du montant maximum par emploi supprimé auprès du Trésor public.
Du fait que le montant de la participation financière de l'entreprise est fixé unilatéralement par le préfet et qu'en cas d'absence de convention de mise en oeuvre de ces actions de conversion elle est due au Trésor public, non pas au titre d'une sanction, mais comme substitut à l'absence d'accord entre l'Etat et l'entreprise, cette contribution, en toute hypothèse obligatoire à la charge des entreprises occupant plus de mille salariés et procédant à la fermeture partielle ou totale de sites, présente le caractère d'une imposition de toutes natures au sens de l'article 34 de la Constitution.
Or, selon une jurisprudence constante relative aux « impositions de toutes natures », le Conseil constitutionnel a décidé :
Premièrement, qu'il appartient au législateur, lorsqu'il institue une imposition, d'en déterminer librement l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement, sous réserve des principes et règles de valeur constitutionnelle et compte tenu des caractéristiques de l'imposition en cause.
Ainsi, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose (2000-437 DC du 19 décembre 2000). De même, s'il appartient au législateur d'apprécier les facultés contributives des contribuables, cette appréciation ne doit pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques et mettre à la charge d'un contribuable un impôt disproportionné par rapport à ses facultés contributives.
Deuxièmement, que si l'article 34 de la Constitution réserve à la loi la fixation des règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures, il ne s'ensuit pas que le législateur doive fixer lui-même le taux de chaque impôt. Il lui appartient seulement de déterminer les limites à l'intérieur desquelles le pouvoir réglementaire est habilité à arrêter le taux d'une imposition (2000-442 DC du 28 décembre 2000).
Les sénateurs soussignés estiment qu'en adoptant l'article 118, paragraphe II, le législateur a porté atteinte à ces règles et principes de valeur constitutionnelle.
En effet :
- d'une part, le législateur a méconnu le champ de sa propre compétence en laissant au préfet un pouvoir exorbitant quant au taux de la contribution demandée ;
- d'autre part, le législateur a imposé une contribution disproportionnée aux facultés contributives d'une entreprise qui, en l'occurrence, a des difficultés économiques ;
- enfin, le législateur, en cas de versement au Trésor public, n'a pas prévu l'affectation de ces sommes à la création d'activités dans le bassin d'emploi en question, contrairement à l'objectif poursuivi par la loi.
L'article 118 doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
II. - En ce qui concerne les griefs tirés du défaut de clarté, d'intelligibilité de la loi découlant de l'article 34 de la Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
Le Conseil constitutionnel a affirmé que l'exigence de clarté de la loi était un principe de valeur constitutionnelle (Cons. constit. 27 juillet 1982 Planification, rec. p. 52, Cons. constit. 2 juin 1987, Nouvelle-Calédonie, rec. p. 34) ainsi que l'exigence d'intelligibilité de la loi (décision du 16 décembre 1999).
De plus, dans cette même décision du 16 décembre 1999, le Conseil constitutionnel a énoncé que « l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la garantie des droits requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ».
Ainsi, le législateur doit exercer pleinement ses compétences afin, soit d'écarter tout arbitraire ou toute incertitude lors de son application (par les sujets de droit, l'administration, le juge), soit d'empêcher les autorités en charge de la mise en oeuvre de la loi (pouvoir réglementaire, autorité administrative indépendante, partenaires sociaux le cas échéant) de s'immiscer inconstitutionnellement dans le domaine de la loi.
En d'autres termes, pour être conforme à la Constitution, la loi :
- doit être suffisamment précise et complète pour écarter tout risque d'arbitraire ou toute incertitude quant à sa portée ;
- ne doit pas être écrite de façon imprécise ou vague de telle manière qu'elle expose ses destinataires à ne pas savoir comment il faut les appliquer ou à se trouver face à plusieurs interprétations possibles ;
- ne doit pas donner aux autorités administratives ou juridictionnelles en charge d'en contrôler l'application des pouvoirs exorbitants qui n'appartiennent constitutionnellement qu'au législateur.
Or, les sénateurs soussignés estiment que des dispositions de plusieurs articles, notamment du titre II de la loi, sont contraires à l'exigence de clarté et d'intelligibilité de la loi.


1. L'article 96


Dans la seconde loi sur la réduction du temps de travail, le Conseil constitutionnel avait censuré une de ses dispositions (dite l'amendement Michelin) - qui instituait à la charge des entreprises, avant l'établissement de tout plan social, l'obligation de négocier un accord de RTT - au motif que le législateur n'avait pas pleinement exercé sa compétence en ne précisant pas les effets de l'inobservation de cette obligation en laissant, en particulier, aux autorités administratives et juridictionnelles le soin de déterminer si cette obligation était une condition de validité du plan social et si son inobservation rendait nulles et de nul effet les procédures de licenciement subséquentes (99-423 DC du 13 janvier 2000).
L'article 96 de la loi - qui reprend le principe de cette obligation - est censé répondre aux griefs formulés par le juge constitutionnel.
Or, les sénateurs soussignés estiment que, de nouveau, la loi n'indique pas expressément si la méconnaissance de l'obligation mise en place est une condition de validité du plan social et si son inobservation rend nulles et de nul effet les procédures de licenciement subséquentes. Elle se contente d'offrir au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel la possibilité de saisir le juge statuant en la forme des référés en vue de faire prononcer la suspension de la procédure et éventuellement de prononcer la nullité de la procédure de licenciement.
Dès lors, il est aisé de démontrer que la loi ne précise toujours pas les effets réels sur les licenciements de l'inobservation de l'obligation préalable de négocier un accord de réduction du temps de travail.
En premier lieu, on peut penser que, si les représentants du personnel ne saisissent pas le juge, la procédure peut continuer alors que l'obligation n'a pas été respectée. A l'occasion d'un contentieux prud'homal engagé par un salarié licencié en application du plan social, on ne sait pas si le conseil de prud'hommes pourra tenir compte de cette inobservation pour prononcer la nullité de la procédure et, partant, la nullité du licenciement. En effet l'article L. 122-14-4 du code du travail prévoit que, « lorsque le tribunal constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle et de nul effet, conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 321-4-1, il prononce la nullité du licenciement ». Ce cinquième alinéa dispose que « la procédure de licenciement est nulle et de nul effet tant qu'un plan visant au reclassement de salariés intégrant au plan social n'est pas présenté aux représentants du personnel... ». Or, cet alinéa ne traite pas de l'obligation préalable de réduire le temps de travail, ce qui laisse à penser que le juge prud'homal ne pourrait pas prononcer la nullité du licenciement.
Dans le cas de figure ci-dessus envisagé - qui n'a rien de théorique -, les effets de l'inobservation de l'obligation de négocier un accord de réduction du temps de travail ne sont toujours pas clairement précisés dans la loi.
En second lieu, il est permis de se demander si le juge est tenu de suspendre la procédure de licenciement, dès lors que la phrase débute par « lorsque le juge suspend la procédure », ce qui peut laisser à penser qu'il n'est pas tenu de le faire. De plus, l'article ajoute que « dès qu'il constate que les conditions fixées par le deuxième ou le troisième alinéa du présent article sont remplies, le juge autorise la poursuite de la procédure ». On peut s'interroger sur l'autorité compétente pour constater que l'obligation est respectée. De même, le juge doit-il attendre l'expiration du délai de fixation qu'il a lui-même fixé en convoquant les parties à cette date, ou doit-il attendre, lorsque l'obligation a été respectée pendant ce délai, que la partie la plus diligente (on pense évidemment à l'employeur qui a tout intérêt à le saisir) revienne vers lui ? Une fois encore, le législateur méconnaît ici le champ de sa compétence.
Enfin, en troisième lieu, le texte indique que si, à l'issue de ce délai, l'obligation n'a pas été respectée, le juge prononce la nullité...

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