Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 2012 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2012-662 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0304 du 30 décembre 2012
Date de publication30 décembre 2012
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000026858721




LOI DE FINANCES POUR 2013


Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Les sénateurs soussignés (1) ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de finances pour 2013 définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 20 décembre 2012. A l'appui de cette saisine, ils développent les griefs suivants :


I. ― Sur l'insincérité de la loi de finances pour 2013


1. Le Conseil a régulièrement indiqué que le principe de sincérité s'analyse comme l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre de la loi de finances. Or, il apparaît que le Gouvernement a méconnu ce principe en retenant délibérément des prévisions économiques très optimistes et en n'actualisant pas la loi de finances au regard de l'évolution des engagements de sa propre politique économique.
2. La loi de finances a été initialement construite sur une hypothèse de croissance optimiste de 0,3 % en 2012 et 0,8 % en 2013.
3. Or, les prévisions de la plupart des économistes se situent en deçà :
a. En septembre, la Commission économique de la nation a retenu une prévision de croissance de 0,1 % pour 2012 et 0,3 % en 2013.
b. L'INSEE prévoit 0,2 % pour l'année 2012 dans son point de conjoncture du mois d'octobre.
c. Le FMI, prévoyant une aggravation de la récession en zone euro (― 0,4 % en 2012), a abaissé ses estimations pour plusieurs pays, dont la France ; la croissance y serait de 0,1 % en 2012 et 0,4 % en 2013 (In World Economic Outlook, 9 octobre 2012).
d. L'OCDE estime la croissance de la France à 0,2 % en 2012 et 0,3 % en 2013.
e. Pour 2013, la Commission européenne prévoit une croissance du PIB de 0,4 % en France.
4. Or, il est estimé qu'un point de croissance en moins représente environ 10 milliards de pertes de recettes. Le choix par le Gouvernement d'une prévision de croissance éloignée de ce qu'il est convenu d'appeler le « consensus des économistes » conduit à fausser de plusieurs milliards la loi de finances pour 2013.
5. S'agissant des estimations de recettes fiscales, elles revêtent aussi un caractère particulièrement aléatoire. D'une part, elles reposent, à titre premier, sur une hypothèse de rendement des aménagements du régime d'exonération des plus-values de cession contestable car il est, d'une façon générale, difficile d'anticiper le montant des plus-values. D'autre part, les perspectives économiques peuvent raisonnablement laisser présager une baisse du rendement de certains impôts, notamment l'impôt sur les sociétés et la TVA, qui rend erronées les prévisions de recettes. Enfin, le Gouvernement ne tient pas compte de l'impact réel, c'est-à-dire probablement négatif, des mesures de durcissement fiscal qu'il propose, dans une situation économique globale marquée par un fort chômage.
6. Enfin, la loi de finances pour 2013, telle que préparée et présentée aux assemblées parlementaires, est devenue obsolète dans ses hypothèses économiques dès la présentation du PLFR pour 2012 et du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi.
7. Pour ces raisons, il aurait été nécessaire que le Gouvernement corrigeât les prévisions de croissance retenues avant la fin de la discussion parlementaire de la loi de finances pour 2013 et prît les mesures d'adaptation en découlant.
8. En conséquence, on peut considérer que la représentation nationale ne bénéficie pas d'une présentation intelligible et sincère de l'état des finances publiques et ne peut vérifier précisément si les engagements européens de la France seront respectés. Il appartient donc à votre Conseil de reconnaître le caractère insincère de la loi de finances pour 2013.

(1) Cf. liste jointe



II. ― Sur l'article 8 (2) portant contribution exceptionnelle
de solidarité sur les très hauts revenus d'activité


1. Cet article instaure une contribution exceptionnelle de 18 % sur la fraction de revenus d'activité professionnelle qui excède un million d'euros au titre des revenus des années 2012 et 2013.
2. Ce dispositif méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques à plus d'un titre.
3. A titre liminaire, il sera observé que la nouvelle contribution présente un caractère confiscatoire. A ce niveau d'imposition globale, il est impérieux de redoubler de vigilance quant au respect du principe d'égalité.
Le taux de la contribution présente un caractère confiscatoire. Dans le cadre du contrôle de la conformité d'une imposition aux exigences de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel s'assure que l'imposition en cause prend en compte la faculté contributive des contribuables de telle sorte qu'elle n'ait pas un caractère confiscatoire (décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005). Ce contrôle n'est pas exercé en fonction de « chaque imposition prise isolément » mais globalement (décision n° 2011-180 QPC du 13 octobre 2011).
Or, ajouté au taux marginal d'impôt sur le revenu prévu dans la loi de finances (45 %), à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (4 %) et aux prélèvements sociaux (8 % sur les revenus d'activité), le taux de 18 % institué par la contribution sur la fraction des revenus qui excède 1 000 000 euros aboutira à une taxation globale au taux de 75 %.
A la lumière de la jurisprudence constitutionnelle, l'instauration d'un tel taux confère à la contribution exceptionnelle de solidarité un caractère confiscatoire contraire aux exigences constitutionnelles et en particulier au principe d'égalité devant l'impôt.
Cette observation liminaire doit en tout état de cause conduire la haute juridiction à renforcer son degré de contrôle. Lorsque, par l'effet cumulé des prélèvements, le législateur atteint un tel niveau d'imposition, il convient de redoubler de vigilance sur l'impérieuse nécessité de respecter les principes constitutionnels, en particulier le principe d'égalité devant les charges publiques.
4. La rupture d'égalité résulte d'abord d'une différence de traitement entre catégories de revenus identiques.
En premier lieu, il convient d'observer que la détermination des catégories de revenus entrant dans l'assiette de la contribution exceptionnelle de solidarité ne répond pas à des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts que le législateur s'est assigné.
En effet, outre les traitements et salaires et les rémunérations allouées aux gérants et associés des sociétés mentionnées à l'article 62 du code général des impôts, les revenus d'activité professionnelle pris en compte pour l'établissement de la contribution comprennent les bénéfices industriels ou commerciaux (BIC), les bénéfices non commerciaux (BNC) et les bénéfices agricoles (BA), lorsqu'ils résultent d'activités exercées à titre professionnel.
Or, ces bénéfices sont d'une nature radicalement différente de celle des revenus d'activité professionnelle visés par l'article 8. Ils ont vocation à rémunérer non seulement, pour une partie, le travail des personnes soumises à ce régime mais aussi, pour une autre, le capital qu'ils ont investi dans l'activité professionnelle ainsi que les risques qu'ils y assument. A la différence des traitements et salaires ou des rémunérations allouées aux gérants et associés, les BIC, les BNC et les BA relèvent donc à la fois de la catégorie des revenus d'activité professionnelle entrant dans le champ de la taxe mais aussi et surtout de la catégorie des revenus du capital, que le législateur a pourtant entendu exclure de l'assiette de la contribution.
Il ressort en effet des travaux préparatoires que la contribution exceptionnelle de solidarité a exclusivement pour but de faire participer les bénéficiaires de très hauts revenus du travail à l'effort de réduction des déficits publics et de décourager les versements de rémunérations « excessives » ou « pharaoniques », comme le souligne le rapport de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale.
En revanche, cette contribution n'a pas vocation à frapper les revenus du capital. Ces revenus, qu'il s'agisse des revenus fonciers, des revenus de capitaux mobiliers, des plus-values de cession de biens ou droits de toute nature ou encore des BIC, des BNC et des BA revenant à des personnes ne participant pas à l'activité à titre professionnel, sont clairement exclus du champ de la contribution.
En intégrant de manière indifférenciée l'ensemble des BIC, des BNC et des BA dans l'assiette de la contribution des entrepreneurs actifs, le législateur ne s'est donc pas fondé sur des critères objectifs, rationnels et cohérents avec les buts qu'il se propose. De ce chef déjà, l'article 8 méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques.
Au surplus, cet article institue des différences de traitement manifestement contraires à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
D'une part, le bénéfice d'une même activité peut être soumis ou non à la contribution selon qu'elle est exercée dans le cadre d'une société soumise ou non à l'impôt sur les sociétés (IS). Ainsi, si la société n'est pas soumise à l'IS, les intéressés, s'ils sont actifs dans l'entreprise, devront comprendre dans la base de calcul de la contribution exceptionnelle de solidarité l'intégralité de la part du bénéfice qui leur revient. En revanche, si ces mêmes personnes exploitent la même entreprise au travers d'une société passible de l'IS, seule sera dans le champ d'application de la taxe la part du bénéfice appréhendée par les associés...

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