Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 juillet 2010 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2010-612 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0183 du 10 août 2010
Date de publication10 août 2010
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000022681288




LOI PORTANT ADAPTATION DU DROIT PÉNAL
À L'INSTITUTION DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE


Monsieur le président, mesdames et messieurs les conseillers,
Nous avons l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, le projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, tel qu'il a été définitivement adopté le 13 juillet 2010.
Les députés auteurs de la saisine entendent contester la conformité à la Constitution de plusieurs dispositions contenues dans les articles 1er à 7 et 8 du texte adopté qui méconnaissent selon eux plusieurs règles et principes constitutionnels développés ci-après mais également l'article 53-2 de la Constitution du 4 octobre 1958 tel qu'il résulte de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 (loi constitutionnelle n° 99-568 DC).
L'argumentation de la saisine se concentrera tout d'abord sur les normes de référence avant de se focaliser sur les dispositions contestées du texte adopté.
1. Sur les normes constitutionnelles de référence applicables au texte législatif déféré :
Sur l'article 53-2 de la Constitution du 4 octobre 1958 :
Le texte législatif soumis au Conseil constitutionnel est d'une nature particulière. Bien qu'il s'agisse formellement d'une loi, l'objet de ce texte ― ainsi que son nom l'indique ― est d'adapter la législation interne française au statut de la Cour pénale internationale. Il s'agit donc de rendre compatible le droit pénal interne avec les engagements pris par la France par sa participation au Traité de Rome du 17 juillet 1998. Compte tenu de cet objet, le législateur ne dispose pas d'un total pouvoir discrétionnaire pour mettre en œuvre les dispositions du Statut de la Cour pénale internationale concernant l'ordre juridique interne des Etats parties mais doit s'efforcer de rendre compatibles en les adaptant les dispositions pénales existantes pour que le système pénal international puisse fonctionner de façon optimale. S'il ne s'agit pas d'une loi de transposition au sens du droit de l'Union européenne, il n'en reste pas moins que le législateur est tenu à travers les dispositions qu'il édicte de ne pas entraver l'architecture globale et le fonctionnement du système institué par la Cour pénale internationale. Le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale est bien plus que la création d'une institution et comprend également un système intégral de poursuites des crimes internationaux pour lesquels il sollicite la coopération et la collaboration des Etats parties.
Ces remarques liminaires seraient de peu d'intérêt si le Traité de Rome du 17 juillet 1998 n'était qu'un traité ordinaire qui ne comportait aucune conséquence constitutionnelle. Si tel était le cas, cette question relèverait du seul juge ordinaire chargé de contrôler la conventionnalité des lois et le Conseil constitutionnel devrait écarter cet argument comme il l'a fait constamment et l'a rappelé récemment dans sa décision du 12 mai 2010 n° 2010-605 DC, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (Journal officiel du 13 mai 2010, p. 8897). Or, le Traité de Rome instituant la Cour pénale internationale n'est pas un traité ordinaire : il a fait l'objet d'un contrôle du Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution. Dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant création de la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a estimé que le traité ne pouvait être ratifié en l'état et devait faire l'objet d'une procédure de révision constitutionnelle avant ratification car certaines de ses dispositions contrevenaient à la Constitution. Mais il a également souligné la nature particulière du traité. Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision n° 98-408 DC précitée, les normes de référence applicables permettant à la France d'adhérer à un système général de protection des droits fondamentaux. Dans les considérants 8 à 12, il les examine successivement :
« 8. Considérant que le peuple français a, par le Préambule de la Constitution de 1958, proclamé solennellement "son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946” ; qu'il ressort, par ailleurs, du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe de valeur constitutionnelle.
9. Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce que "le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation” ; que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum”.
10. Considérant que le Préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que "la République française se conforme aux règles du droit public international” et, dans son quinzième alinéa, que "sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix”.
11. Considérant que, dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre, comme le faisait l'article 27 de la Constitution de 1946, l'existence de "traités ou accords relatifs à l'organisation internationale” ; qu'en vertu de l'article 55 de la Constitution de 1958, "Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie”.
12. Considérant qu'il résulte de ces textes de valeur constitutionnelle que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du Préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international ; que les engagements souscrits à cette fin peuvent en particulier prévoir la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées, et compétente pour juger les responsables de crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale ; qu'eu égard à cet objet les obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par les autres Etats parties... » (considérant n° 12).
Le pouvoir constituant a donc décidé de réviser la Constitution et a créé un nouvel article spécifique permettant à la République française de participer au Statut de la Cour pénale internationale.
L'article 53-2 de la Constitution dispose que « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1999 ». Le pouvoir constituant, suite à la décision du Conseil constitutionnel n° 98-408 DC relative au statut de la Cour pénale internationale (ci-après CPI), a donc décidé de faire explicitement référence et de renvoyer aux « conditions prévues par le traité ». Une telle référence est propre à faire du statut de la CPI, non pas une norme constitutionnelle en elle-même, mais une norme de référence du contrôle de constitutionnalité en raison des dispositions du texte qui visent expressément les conditions qu'il contient.
Une telle analyse appelle deux remarques :
D'une part, il ne faut pas y voir un revirement ou une modification de la jurisprudence IVG : il ne s'agit pas, pour le Conseil constitutionnel, d'exercer un contrôle de conventionnalité de la loi mais simplement de tirer les conséquences d'une habilitation constitutionnelle circonscrite à un cas très précis. En ce sens, le Traité instituant le système de la Cour pénale internationale n'est comparable à aucun autre.
D'autre part, une telle situation n'est pas inédite en contentieux constitutionnel français et il existe une analogie très forte avec les références faites par la Constitution au Traité sur l'Union européenne. En effet, l'article 88-3 pose que « sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision Maastricht 2 (Cons. constitutionnel, décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, rec. p. 76), a considéré que l'article 88-3 de la Constitution contient une obligation constitutionnelle de conformité de la loi organique mentionnée par ce même article aux dispositions communautaires (considérant n° 33). Le Conseil rappelle en effet « qu'en disposant que le droit de vote et d'éligibilité des citoyens de l'Union aux élections municipales est accordé selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne, l'article 88-3 de la Constitution a expressément subordonné la constitutionnalité de la loi organique prévue pour son application à sa conformité aux normes communautaires ; qu'en conséquence, il résulte de la volonté du constituant qu'il revient au Conseil constitutionnel de s'assurer que la loi organique prévue par l'article 88-3 de la Constitution respecte... » les prescriptions de l'Union européenne...

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