Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 2012 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2012-662 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0304 du 30 décembre 2012
Record NumberJORFTEXT000026858735
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication30 décembre 2012



LOI DE FINANCES POUR 2013


Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Nous avons l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel le projet de loi de finances pour 2013 adopté par l'Assemblée nationale le 20 décembre 2012, et plus particulièrement les dispositions des articles 3 à 10 et des articles 36 bis, 56 et 64 bis.
Ce projet de loi qui est déféré à la censure du Conseil constitutionnel est contraire aux principes constitutionnels du droit français.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs suivants :
Article 3 :
Ce dispositif instaure une tranche supplémentaire au barème de l'IR au taux de 45 % pour la fraction des revenus qui excède 150 000 EUR par part de quotient familial. Cette mesure a un double objectif de renforcement de la progressivité du barème de l'IR, d'une part, et de contribution au redressement des finances publiques, d'autre part.
Mais son application à une catégorie particulière de revenus est contraire à la Constitution. En effet, en application de l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, les rentes versées dans le cadre des régimes de retraites d'entreprise, dites « retraites chapeau », sont par ailleurs soumises à une contribution à la charge du bénéficiaire dont le taux est compris entre 7 % pour les montants compris entre 400 EUR et 600 EUR par mois, 14 % pour ceux compris entre 600 EUR et 24 000 EUR et 21 % pour leur montant au-delà de 24 000 EUR (taux introduit par l'article 28 de la loi n° 2011-1987 du 28 décembre 2011).
La décision n° 2011-180 QPC du 13 octobre 2011, rendue sur le prélèvement instauré par l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, a certes confirmé la validité de cette contribution :
« Considérant qu'en fondant le prélèvement sur le montant des rentes versées, le législateur a choisi un critère objectif et rationnel en fonction de l'objectif de solidarité qu'il vise ; que, pour tenir compte des facultés contributives du bénéficiaire, il a prévu un mécanisme d'exonération et d'abattement, institué plusieurs tranches et fixé un taux maximal de 14 % ; que, par suite, les dispositions contestées, dont les effets de seuil ne sont pas excessifs, ne créent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » ; mais cette décision, qui ne statue que sur le taux de 14 %, est antérieure à l'article 28 de la loi précitée qui a introduit la tranche supplémentaire au taux de 21 %.
Or il résulte de la combinaison de cette tranche supplémentaire de 21 % et de la nouvelle tranche marginale d'impôt sur le revenu instituée par l'article 3 que les contribuables bénéficiaires des rentes en cause seront désormais imposés à un prélèvement global de 77,1 % (45 % au titre de l'IR + 21 % de cotisation spécifique sur les retraites chapeau + 7,1 % de prélèvements sociaux + 4 % de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus).
Ces mêmes rentes supportent en outre une contribution additionnelle de 30 % à la charge de l'employeur ou de l'organisme payeur quand leur montant annuel excède 8 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (soit 296 000 €). L'imposition totale du revenu, à la charge de l'entreprise et du bénéficiaire, est donc supérieure au montant du revenu lui-même puisqu'elle atteint 108 %.
Or le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion d'invalider un taux d'imposition globale bien inférieur : selon la juridiction suprême, un taux de prélèvement de 50 % pour des revenus excédant 2,5 fois le SMIC, en dépit d'une majoration de ce plafond par personne à charge, constitue en effet une rupture caractérisée d'égalité devant les charges publiques (décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986) : « si le principe ainsi énoncé (à l'article XIII de la Déclaration) n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories socioprofessionnelles déterminées une certaine aide à une ou à plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens ».
Cette rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques devrait amener le Conseil à réexaminer la conformité de la contribution instaurée par l'article L. 137-11-1 précité. En effet, le Conseil constitutionnel considère que, dès lors qu'une disposition légale modifie, complète ou change le champ d'application d'une disposition législative en vigueur, cette dernière peut de nouveau être soumise à l'examen du juge constitutionnel. La décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985 indique en effet que « la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi promulguée peut être utilement contestée à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ». Cette décision a trouvé une première application par la décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999 et une application plus récente dans la décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012.
Ainsi en est-il de l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale qui doit désormais être déclaré contraire à la Constitution, par application de l'article 83, 2°, 0 quater du code général des impôts qui vise cet article, en ce qu'il aboutit à un taux de prélèvement confiscatoire, ce qui est contraire au respect des capacités contributives des contribuables et, partant, au principe d'égalité ainsi qu'au droit de propriété. L'article contesté, qui n'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels, ne prend pas ainsi en charge l'ensemble des facultés contributives au sens où l'entend le Conseil constitutionnel (décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000) et doit conduire à ce titre à l'inconstitutionnalité de cet article.
Article 4 :
1. L'article 4 du projet de loi de finances pour 2013 a pour objet d'abaisser le plafond du quotient familial de 2 336 € à 2 000 €.
Un plafond a été instauré en 1982 pour le quotient familial enfants mais non pour le quotient conjugal. Ce plafond était limité aux très hauts revenus, équivalents à plus de 150 000 EUR pour un couple avec deux enfants. Il ne touchait, alors, que 2,4 % des contribuables.
Le plafond fut abaissé de 33 % en 1999 pour concerner 885 000 contribuables, soit 6 % des foyers fiscaux. Le motif invoqué pour cette baisse était d'offrir une contrepartie au rétablissement de l'universalité des allocations familiales.
Mais, deux ans plus tard, la loi de finances pour 2001 relevait sensiblement le plafond du quotient au bénéfice, selon le rapporteur du projet, d'un million de contribuables. Selon le ministre des finances de l'époque, M. Laurent Fabius, cette hausse était « œuvre de justice fiscale ». « Le plafond du quotient familial », déclarait-il le 20 septembre 2000, « sera ajusté de telle sorte que l'allégement profite à l'ensemble des familles et soit proportionné à l'importance de leurs charges ».
Pour justifier la diminution du plafond prévue par l'article 4 du projet de loi de finances pour 2013, le Gouvernement invoque la nécessité « de renforcer la progressivité de l'impôt sur le revenu et son caractère redistributif, dans un contexte de redressement des finances publiques ».
883 000 foyers fiscaux seront touchés par cette disposition. Le supplément de rentrées fiscales attendu de cette mesure n'est affecté ni à l'augmentation ni au rétablissement d'une prestation familiale ni à une autre aide à la famille.
2. L'instabilité législative relative au plafond du quotient familial concerne donc un nombre nullement négligeable de foyers fiscaux.
Elle doit être examinée à la lumière des principes constitutionnels régissant le droit de l'impôt sur le revenu, et en particulier l'article 13 de la DDHC qui dispose que : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
La progressivité de l'impôt sur le revenu, c'est-à-dire une imposition dont le taux progresse avec l'aisance des contribuables, est un principe général du droit fiscal ainsi qu'il ressort des décisions du Conseil constitutionnel n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, n° 93-320 DC du 21 juin 1993 et n° 97-388 DC du 20 mars 1997.
Elle se justifie par le fait que l'utilité marginale du revenu d'un contribuable est d'autant plus faible que son revenu est plus élevé, de sorte que l'impôt peut prélever un pourcentage croissant dudit revenu.
Dans un système progressif, le législateur ne peut se désintéresser des deux éléments qui déterminent la capacité contributive d'un redevable : le total des revenus de son foyer et ses charges de famille.
M. Alfred Sauvy, dans son ouvrage de référence « Théorie générale de la population » (PUF, 1955), faisait une description parfaitement explicite de cette logique lorsqu'il écrivait : « la progressivité du taux (de l'impôt) se justifie parce que le superflu peut, par définition même, être réduit dans une proportion plus forte que le nécessaire... Un célibataire qui gagne 150 000 F par an a un niveau de vie supérieur à un père de 4 enfants ayant le même revenu. Les imposer également serait frapper également la partie de plaisir du premier et la viande, voire le pain du second. »
En ce sens, la progressivité des taux selon le niveau de vie de chaque foyer fiscal est nécessaire à l'application correcte, pour des esprits modernes, du principe d'égalité devant les charges publiques posé à l'article 13 de la DDHC, ainsi qu'il ressort des décisions du Conseil constitutionnel précitées.
Ce principe peut être résumé par la formule : « à niveau de vie égal, taux d'imposition égal ». Le niveau de vie dépend non seulement du revenu du foyer fiscal, mais aussi, et fortement, de la composition de ce foyer selon le nombre et l'âge des individus qui y vivent.
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