Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 décembre 2009 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2009-599 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0303 du 31 décembre 2009
Date de publication31 décembre 2009
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000021560024




LOI DE FINANCES POUR 2010


Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution la loi de finances pour 2010.
C'est en effet la première fois depuis décembre 2005 que notre groupe formule un recours en inconstitutionnalité à l'encontre d'un projet de loi de finances initiale. Le recours détaillé que nous vous adressons ne correspond en rien à une démarche systématique ou mécanique de notre part. Chaque fois que nous avons considéré qu'un recours ne se justifiait pas, nous nous sommes abstenus.
Cette saisine est exclusivement liée à notre analyse du projet de loi. Nous avons relevé des manquements graves aux principes constitutionnels qui appellent, selon nous, une censure de votre part.
I. ― Sur la suppression de la taxe professionnelle et l'instauration de la contribution économique territoriale (articles 2, 76, 77 et 78)
1. Au point 2.1.1 de l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010, les modalités de calcul de la cotisation à la valeur ajoutée conduisent à des ruptures d'égalités entre entreprises contribuables
Aux termes de l'article 2, les entreprises sont théoriquement redevables d'une cotisation de valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au taux fixe de 1,5 % quel que soit le niveau de leur chiffre d'affaires dès lors qu'il est supérieur à 152 500 euros.
Le barème de la CVAE déterminé au 3 du II de l'article 1586 ter définit l'imposition réellement acquittée par les entreprises compte tenu du mécanisme de dégrèvement mis en place lors de l'examen de l'article 2 par le Sénat ainsi que de l'abattement de 1 000 euros ouvert aux entreprises de moins de 2 millions de chiffre d'affaires et de la cotisation minimale de 250 euros due par les entreprises réalisant entre 500 000 euros et 2 millions de chiffre d'affaires.
Ainsi, le dispositif adopté introduit une progressivité de l'impôt dû par les entreprises sur la base du chiffre d'affaires, donc d'un critère qui n'entre pas dans la définition de l'assiette de l'impôt et ne reflète pas leur capacité contributive.
Ce choix introduit une rupture d'égalité entre les contribuables. C'est notamment le cas au regard de deux entreprises de même valeur ajoutée et de même chiffre d'affaires selon que leur organisation repose sur une ou plusieurs entités juridiques. En effet, compte tenu du rejet des amendements présentés en ce sens en première lecture à l'Assemblée nationale, il n'est pas procédé à une consolidation générale du chiffre d'affaires de l'ensemble des entités juridiques composant une société.
Ce choix conduit à imposer chacune des entités au regard de son niveau propre de chiffre d'affaires, donc à un taux de CVAE inférieur à celui qui résulterait de l'application à sa valeur ajoutée propre du taux résultant de la prise en compte du total du chiffre d'affaires de l'ensemble des entités composant l'entreprise.
A titre d'illustration, chacune des trois entités juridiques de 5 millions de chiffre d'affaires composant une entreprise de 15 millions de chiffre d'affaires paiera une CVAE de 0,76 % de sa valeur ajoutée. A l'inverse, une entreprise de 15 millions de chiffre d'affaires organisée en une seule entité juridique verrait sa valeur ajoutée identique imposée au taux de 1,4 %.
Le législateur n'a tiré qu'une partie des conséquences de l'existence de cette rupture d'égalité lorsqu'il a introduit au III de l'article 1586 ter A un dispositif dit « anti-abus » qui prévoit notamment et sous certaines conditions restrictives qu'en cas de scission d'entreprises entre plusieurs entités juridiques réalisée à compter de la présentation de la réforme, le chiffre d'affaires à retenir pour le calcul de la cotisation de CVAE est égal à la somme des chiffres d'affaires des entités détenues à plus de 50 %.
Le fait de réserver ce dispositif, dont l'application est d'ailleurs limitée dans le temps, aux seules scissions d'entreprises à venir ne permet pas de remédier à l'existence d'une rupture d'égalité entre les entreprises existantes au regard de leur organisation juridique actuelle.
Cette différence de traitement qui n'est motivée par aucun objectif d'intérêt général avait pourtant été notée par le rapporteur général de l'Assemblée nationale qui indiquait (rapport général, tome 1, volume 2, page 56) que :
« Les mesures existantes d'allégement de l'imposition en faveur des petites entreprises sont (...) réservées aux petites entreprises indépendantes, le cas échéant organisées en groupe. Il n'est pas proposé de disposition similaire s'agissant du barème de la cotisation complémentaire. Il en résulte qu'un groupe comptant quatre sociétés réalisant chacune un chiffre d'affaires de 3 millions d'euros sera taxé au taux de 0,5 % et qu'une société réalisant un chiffre d'affaires identique à celui de ce groupe, soit 12 millions d'euros, sera taxée au taux de 1,41 %, soit près de trois fois plus. »
Il faut d'ailleurs noter que le rapporteur général posait plus largement la question du choix d'une taxation progressive en fonction du chiffre d'affaires des entreprises :
« Enfin, on notera qu'une autre originalité du dispositif est de proposer un barème de taxation qui n'est pas défini par référence à l'assiette taxable (barème assis sur le chiffre d'affaires et taxant la valeur ajoutée). Cette solution ne répond pas au souci de retenir un critère de barémisation mieux établi et plus immédiatement disponible que la valeur ajoutée, le chiffre d'affaires utilisé étant, de toute façon, un chiffre d'affaires ad hoc corrigé par rapport au chiffre d'affaires comptable.
« Le Gouvernement justifie cette solution par le fait que la valeur ajoutée est définie sur la base d'une production qui n'est pas nécessairement commercialisée (typiquement, la variation positive des stocks) et qui n'est donc, a fortiori, pas encaissée. Cette justification est toutefois contradictoire avec la prise en compte dans le chiffre d'affaires ad hoc d'éléments qui ne sont pas encaissés (typiquement, certaines plus-values latentes des entreprises financières) et explique mal pourquoi la part des produits non encaissés taxables dans la production de l'exercice doit faire varier le taux de taxation, dans des proportions au demeurant variables selon le niveau de chiffre d'affaires (compte tenu de l'irrégularité de la progression du barème), cette proportion étant, par exemple, nulle au-delà de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires. »
Il appartiendra donc à tout le moins au Conseil constitutionnel de censurer la rupture d'égalité constituée par la définition du barème de la CVAE fondé sur des modalités de prise en compte du chiffre d'affaires qui ne reflètent pas les capacités contributives réelles de certaines entreprises.
Par ailleurs, si elle permet utilement de limiter le coût de la réforme pour les finances publiques, la mise en œuvre de l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) avec comme objet explicite de reprendre une partie des gains liés à la réforme de la taxe professionnelle pour certains secteurs économiques, elle conduit à une rupture d'égalité entre les entreprises de ces secteurs et l'ensemble des autres entreprises.
2. Les deux derniers alinéas du 1 du II de l'article 1586 ter sont susceptibles de constituer un cas d'incompétence négative du législateur
Le 3° du point 6.1.1 de l'article 2 dispose que « les personnes et sociétés mentionnées au I ne sont pas soumises à la cotisation foncière des entreprises à raison de leurs activités qui ne sont assujetties ni à l'impôt sur les sociétés ni à l'impôt sur le revenu en raison des règles de territorialités propres à ces impôts ».
Eu égard à ces dispositions, les deux derniers alinéas du 1 du II de l'article 1586 ter qui disposent que : « Pour les entreprises de navigation maritime ou aérienne qui exercent des activités conjointement en France et à l'étranger, il n'est pas tenu compte de la valeur ajoutée provenant des opérations directement liées à l'exploitation de navires ou d'aéronefs ne correspondant pas à l'activité exercée en France. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application de l'alinéa précédent » semblent une simple application du principe de territorialité réaffirmé plus bas.
La référence à un décret ouvrant la possibilité d'une modification par voie réglementaire de l'assiette de la CVAE allant au-delà du seul respect du principe de territorialité pourrait constituer un cas d'incompétence négative du législateur financier.
3. Au point 2.1.1 de l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010, l'extension à l'ensemble des entreprises d'un mécanisme de plafonnement de la valeur ajoutée servant d'assiette à la CVAE conduit à des inégalités marquées de traitement entre entreprises contribuables
La rédaction retenue pour le 7 du I de l'article 1586 quinquies diffère de celle établie par la CMP, du fait de l'adoption d'un amendement gouvernemental déposé lors de l'examen définitif de la loi de finances.
Contrairement au souhait exprimé initialement par l'Assemblée nationale, la valeur ajoutée prise en compte pour l'imposition au titre de la CVAE fait l'objet d'un plafonnement fonction du chiffre d'affaires des entreprises.
Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 7,6 millions d'euros, la valeur ajoutée serait retenue pour 80 % au maximum du chiffre d'affaires. Pour les entreprises de plus de 7,6 millions d'euros de CA, ce plafond serait fixé à 85 %.
Alors que la légitimité d'un plafonnement de la valeur ajoutée prise en compte pour le calcul de la CVAE pourrait exister s'agissant de petites ou moyennes entreprises compte tenu de la structure particulière de leur bilan et afin d'assurer que la réforme de la TP ne conduit pas une augmentation trop importante de leur part relative dans l'imposition, l'extension de ce plafonnement à l'ensemble des entreprises conduit à des ruptures d'égalité entre contribuables non justifiées par un motif d'intérêt...

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