Saisine du Conseil constitutionnel en date du 21 décembre 2001 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2001-454 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF du 23 janvier 2002
Record NumberJORFTEXT000000409528
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication23 janvier 2002



LOI RELATIVE À LA CORSE


Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative à la Corse, et notamment ses articles 1er, 7, 9, 12, 17, 18, 19, 23, 24, 25, 26, 28, 43 et 52, afin qu'il plaise au Conseil de déclarer ces articles contraires aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, de la Déclaration de 1789, du Préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.


I. - Sur la procédure suivie lors de la réunion
de la commission mixte paritaire


Les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que la procédure suivie lors de la réunion de la commission mixte paritaire a méconnu les dispositions de l'article 45 de la Constitution selon lequel la commission mixte paritaire, que le Premier ministre a la faculté de réunir, est « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion ».
Comme l'atteste le rapport de la commission mixte paritaire (Assemblée nationale n° 3389 du 15 novembre 2001, Sénat n° 76 2001-2002), après le rejet de deux rédactions alternatives pour l'article 1er, le président de la commission mixte paritaire a estimé que celle-ci ne pouvait parvenir à l'adoption d'un texte commun et constaté l'échec de la commission.
Or, le rejet formel par la commission mixte paritaire du texte adopté pour cet article par l'Assemblée nationale en première lecture puis d'une rédaction alternative proposée par le rapporteur pour le Sénat devait être interprété comme une volonté de la commission de supprimer l'article 1er ce qui ne pouvait exclure que la discussion se poursuive sur les autres dispositions restant en discussion.
Au surplus, la procédure suivie n'a pas permis à la commission mixte paritaire de chercher véritablement à proposer un texte sur les dispositions de l'article 1er. En effet, en dépit de la proposition expressément formulée par des membres de la commission, la rédaction retenue par le Sénat en première lecture pour l'article 1er n'a pas été mise au vote. En outre, le rejet de deux rédactions alternatives pour l'article 1er n'excluait pas nécessairement la possibilité d'un accord sur un autre dispositif.
Pour ces motifs, la procédure de conciliation confiée par l'article 45 de la Constitution à la commission mixte paritaire n'a pas été mise en oeuvre. La procédure suivie n'a donc pas respecté les dispositions de l'article 45.
II. - Sur la compétence reconnue à la collectivité territoriale de Corse pour régler par ses délibérations les affaires de la Corse
L'article 1er de la loi déférée reconnaît à la collectivité territoriale de Corse une compétence générale pour régler par ses délibérations les affaires de la Corse et non plus seulement - comme le prévoient les dispositions actuellement en vigueur - « les affaires de la collectivité territoriale de Corse ».
En vertu de cet article, le premier alinéa de l'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales est, en effet, ainsi rédigé :
« Art. L. 4424-1. - L'Assemblée règle par ses délibérations les affaires de la Corse. Elle contrôle le conseil exécutif. »
En attribuant une telle compétence à la collectivité territoriale de Corse, l'article 1er de la loi déférée méconnaît les compétences reconnues aux communes et aux départements par l'article 72 de la Constitution et, par là même, porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales affirmé par cet article.


III. - Sur la reconnaisance à la collectivité territoriale
de Corse d'un pouvoir réglementaire propre


L'article 1er de la loi déférée reconnaît à la collectivité territoriale de Corse un pouvoir réglementaire propre et un pouvoir réglementaire d'adaptation des lois concurrent de celui exercé par le Premier ministre sur le fondement de l'article 21 de la Constitution.
S'agissant de l'attribution d'un pouvoir réglementaire propre, le premier alinéa du II de l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales est, en effet, ainsi rédigé :
« II. - Le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi. »
Plusieurs dispositions de la loi déférée attribuent d'ores et déjà un pouvoir réglementaire à la collectivité territoriale de Corse dans des domaines très variés. Ces cas, qui sont relevés aux XII, XIV, XV, XVII, XVIII et XIX de la présente saisine, ouvrent la voie à un transfert généralisé du pouvoir réglementaire à cette collectivité.
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que le premier alinéa du II de l'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales est contraire aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, du Préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
1. L'article 21 de la Constitution ne permet pas au législateur de confier à une collectivité territoriale un pouvoir réglementaire de portée générale.
Certes, les dispositions de l'article 21 de la Constitution, en vertu desquelles le Premier ministre assure l'exécution des lois et, sous réserve des dispositions de l'article 13, exerce le pouvoir réglementaire, ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une collectivité territoriale dont, en vertu de l'article 72, la loi prévoit les conditions de la libre administration, le soin de définir les conditions d'application d'une loi.
Mais, conformément à votre jurisprudence (notamment décisions n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, n° 93-324 DC du 3 août 1993, n° 96-378 DC du 23 juillet 1996), l'attribution d'une telle compétence ne peut porter que sur des mesures dont la loi définit précisément le champ d'application et les conditions de mise en oeuvre et ne doit pas porter atteinte à la compétence qui appartient au Premier ministre pour édicter des règles nationales applicables à l'ensemble du territoire.
2. La loi déférée ne définit pas précisément le champ d'application du pouvoir réglementaire qu'elle reconnaît à la collectivité territoriale de Corse.
Le législateur devait définir très précisément le champ d'application du pouvoir réglementaire ainsi reconnu à la collectivité territoriale de Corse. Votre jurisprudence s'est d'ailleurs attachée, par le passé, à assurer une délimitation précise de tout pouvoir réglementaire dévolu à une autre autorité que le Premier ministre. C'est ainsi que vous avez précisé, s'agissant de la dévolution d'un pouvoir réglementaire à une autorité administrative indépendante, que cette habilitation ne saurait concerner que des mesures de portée limitée, tant par leur champ d'application que par leur contenu (cf. décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, n° 15).
Or, en se bornant à préciser que ce pouvoir réglementaire s'exerce dans le cadre des compétences qui sont dévolues par la loi à la collectivité territoriale de Corse, la loi déférée ne délimite pas précisément son champ d'application et, à ce titre, méconnaît l'article 21 de la Constitution.
En effet, l'article 1er de la loi déférée reconnaît à la collectivité territoriale une compétence générale pour « régler par ses délibérations les affaires de la Corse ». En outre, ceci ne peut être dissocié du fait que la loi déférée opère de nouveaux et substantiels transferts de compétences au profit de cette collectivité territoriale.
En conséquence, le pouvoir réglementaire serait susceptible de couvrir un très grand nombre de domaines en principe régis par le pouvoir réglementaire exercé par le Premier ministre en application des dispositions de l'article 21 de la Constitution.
Comme il a été observé ci-dessus, la loi déférée ouvre d'ores et déjà la voie à un transfert très large du pouvoir réglementaire puisqu'elle attribue compétence à la collectivité territoriale de Corse pour classer les équipements et organismes de tourisme, fixer les conditions dans lesquelles la pêche est interdite dans certaines sections des cours d'eau, définir les règles de fonctionnement du comité de massif, fixer les règles de fonctionnement du comité de bassin et de la commission locale de l'eau déterminer la procédure d'élaboration, de révision et de publication des plans d'élimination des déchets (cf. infra XII, XIV, XV, XVII, XVIII et XIX de la présente saisine).
En outre, il y a lieu de s'interroger sur la nature des compétences qui pourront être exercées par l'office du développement agricole et rural de Corse auquel l'article 20-V de la loi déférée attribue les compétences dévolues au Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles.
Au surplus, le Conseil constitutionnel veille à ce que dans l'exercice des prérogatives qu'il tient des articles 34 et 72 de la Constitution pour définir les conditions de mise en oeuvre du principe de la libre administration des collectivités territoriales, le législateur ne reste pas en deçà de sa compétence (pour n'en citer que quelques-unes, tel a été le sens de vos décisions n° 83-168 DC du 20 janvier 1984, n° 87-233 DC du 5 janvier 1988, n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 ou encore n° 94-358 DC du 26 janvier 1995).
Or, en ne précisant pas le champ d'application des prérogatives reconnues à la collectivité territoriale de Corse, le législateur n'a pas épuisé les compétences qu'il tire des articles 34 et 72 de la Constitution.
3. La loi déférée ne définit pas précisément les conditions de mise en oeuvre de ce pouvoir réglementaire.
En attribuant le pouvoir réglementaire à la « collectivité territoriale de Corse », la loi déférée n'attribue pas ce pouvoir à une autorité déterminée.
En effet, l'article L. 4422-1 du code général des collectivités territoriales dispose expressément que « les organes de la collectivité territoriale de Corse comprennent l'Assemblée de Corse et son président, le conseil exécutif de Corse et son président assistés du conseil...

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