Saisine du Conseil constitutionnel en date du 18 mai 2004 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2004-496 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°143 du 22 juin 2004
Date de publication22 juin 2004
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000000250570



LOI POUR LA CONFIANCE
DANS L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE


Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de déférer à votre examen l'ensemble de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, et notamment pour ce qui concerne les articles 1er et 6 de la loi.


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A titre liminaire, les auteurs de la saisine entendent rappeler leur profond attachement à l'idée d'une conciliation équilibrée entre le développement de l'internet et des réseaux numériques, formidables opportunités pour la liberté d'expression et les échanges entre individus, et la protection des autres droits et libertés fondamentaux. Qu'à cet égard, la lutte incessante contre les contenus attentatoires à la dignité humaine, d'une part, et la protection des droits de propriété intellectuelle garants d'une société de culture, d'autre part, sont deux objectifs particulièrement importants. Les potentialités de l'internet ne sauraient justifier, en aucune façon, l'affranchissement de notre cadre légal et des principes républicains. Pour autant, toute atteinte disproportionnée à la liberté de communication, à la vie privée, ou la méconnaissance du rôle du juge, ne pourrait qu'aboutir à la remise en cause du pluralisme des idées et opinions et de la liberté de pensée de chaque individu, fondements de la démocratie.
Il convient donc de montrer la formidable modernité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 comme de notre Constitution propre à répondre aux défis lancés par la technique.


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I. - Sur l'article 1er de la loi


Le § IV du dernier alinéa de l'article 1er de la loi critiquée définit « le courrier électronique [comme] tout message, sous forme de texte, de voix, de son ou d'image, envoyé par un réseau public de communication, stocké sur un serveur du réseau ou dans l'équipement terminal du destinataire, jusqu'à ce que ce dernier le récupère ».
Alors que la version initiale de cette disposition comprenait la référence expresse à la notion de correspondance privée, un amendement d'origine parlementaire a supprimé cette précision pourtant si importante du point de vue des conséquences juridiques y étant attachées.
En l'état donc, il s'avère que cette définition du courrier électronique révèle, en premier lieu, une violation de l'article 34 de la Constitution et partant l'incompétence négative du législateur (I-1) et, en second lieu, la méconnaissance du droit à la vie privée et de la liberté de communication (I-2).
I-1. Sur la violation de l'article 34 de la Constitution :
L'article 34 C dispose que la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Or, il est indéniable que, parmi les libertés essentielles de chaque individu, figurent tant la liberté de communication à titre privé que le droit au respect de la vie privée.
Cest ainsi que vous n'hésitez pas à censurer, au motif d'une telle incompétence négative, des dispositions trop floues ou incomplètes dès lors que sont en cause ces droits et libertés fondamentaux (décisions n° 96-378 DC du 23 juillet 1996, n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000).
En l'espèce, force est de constater que ce grief est particulièrement fondé.
En supprimant toute référence à la notion de correspondance privée dans le cadre de la définition donnée pour le courrier électronique, le législateur ouvre la possibilité de contrôle indifférencié et sans limite préétablie de l'ensemble des échanges réalisés à titre privé entre personnes préalablement identifiées.
Or, il importe de rappeler que la jurisprudence judiciaire la mieux affirmée considère que le courrier électronique constitue, sauf preuve contraire, une correspondance privée. Ainsi en a jugé récemment la Cour de cassation (Cass., 2 octobre 2001, Nikon/F. Onol). C'est une solution semblable qu'en matière pénale le tribunal de grande instance de Paris avait déjà retenu en précisant que « le terme de correspondance désigne toute relation par écrit existant entre deux personnes identifiables, qu'il s'agisse de lettres, de messages ou de plis fermés ou ouverts» (Paris, 17e chambre correctionnelle, 2 novembre 2000).
Cette jurisprudence fait écho à une jurisprudence déjà ancienne concernant les communications téléphoniques et illustrée par la cour d'appel de Metz selon laquelle « pour que la communication soit considérée comme privée, il faut non seulement que l'appel soit personnel, libre et privé, mais encore que l'ensemble de l'échange téléphonique le soit », c'est-à-dire qu'il ne manifeste de la part des correspondants « aucune volonté positive et formelle de porter un acte de communication au public » (CA Metz, 18 juillet 1980).
On le voit, une telle qualification vaut tout autant pour les courriers diffusés par la voie électronique et l'internet.
C'est toujours cette approche qui figure dans la circulaire du 17 février 1988 prise pour application de la loi du 30 septembre 1986 et affirmant qu'il y a correspondance privée « lorsque le message est exclusivement destiné à une ou plusieurs personnes, physiques ou morales, déterminées ou individualisées ».
L'importance de la qualification de correspondance privée est évidemment fondamentale dès lors qu'en son absence l'ensemble des courriers électroniques serait soumis à toutes les intrusions plus ou moins légitimes et serait, notamment, soustrait au régime protecteur de la vie privée et du secret des correspondances privées.
En particulier, ne s'appliquerait pas l'article 1er de la loi du 10 juillet 1991 disposant que « le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications est garanti par la loi. Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l'autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d'intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci. »
A cet égard, aucune justification ne peut légitimer que les courriers personnels échangés au titre de la correspondance privée ne bénéficient pas des mêmes garanties que les autres formes d'échanges effectués dans le cadre de la vie privée.
L'incompétence négative du législateur est d'autant plus évidente que l'alinéa précédent du même § IV de l'article 1er de la loi critiquée définit la communication au public en ligne en excluant de son acception toute correspondance privée.
Autrement dit, à suivre, en l'état, l'article 1er de la loi critiquée, il existerait un régime de la communication publique en ligne exclusive de la notion de correspondance privée, ce qui est logique, et un régime du courrier électronique distinct à la fois de la communication publique en ligne et de la correspondance privée. Dans ces conditions, il faudrait déduire qu'il n'existe pas d'échange de données strictement personnelles via les réseaux numériques et que la vie privée et la liberté de communication sont soumises à tous les vents parfois mauvais des risques d'intrusions non justifiées.
La spécificité des nouveaux moyens techniques de communication pose, nul ne l'ignore, des questions et des difficultés particulières. Il serait vain de le nier. Pour autant, le évolutions technologiques ne peuvent aboutir à bouleverser les catégories juridiques les mieux établies et certainement pas conduire à nier les droits et libertés fondamentaux.
On le voit, la définition critiquée est trop imprécise et incomplète et, en tout état de cause, n'apporte aucune des garanties nécessaires aux droits et libertés qui ressortent aux termes de l'article 34 de la Constitution de la compétence exclusive du législateur.
I-2. Sur la violation de l'article 2 de la Déclaration de 1789 garantissant le droit à la vie privée et de l'article 11 de la même déclaration consacrant la liberté de communication :
Il est à peine besoin de rappeler combien votre jurisprudence se veut protectrice de la vie privée de...

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