Saisine du Conseil constitutionnel en date du 22 novembre 2010 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2010-618 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0292 du 17 décembre 2010
Record NumberJORFTEXT000023239763
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication17 décembre 2010




LOI DE RÉFORME DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES


Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de réforme des collectivités territoriales.


I. ― Sur la procédure


Les griefs procéduraux concernent les articles 1er, 6 et 73 de la loi d'une part (A), et 2 d'autre part (B).


A. ― Sur les articles 1er, 6 et 73 de la loi (1)


Initialement, outre la loi de réforme des collectivités territoriales qui vous est ici déférée, trois autres projets de loi concernant l'élection des élus régionaux et départementaux ont été déposés sur le bureau du Sénat le 21 octobre 2009 : le projet de loi n° 61 relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, le projet de loi organique n° 62 relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale, ainsi que le projet de loi n° 63 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, lui seul ayant pour le moment été adopté le 16 février 2010.
En outre, un projet de loi sur la clarification des compétences et des cofinancements des collectivités territoriales était annoncé par le Gouvernement et, conformément à l'article 35 du projet de loi initial (devenu article 73), tel qu'adopté en première lecture par le Sénat, il aurait dû être adopté dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi ; le texte se contentant alors de fixer les principes auxquels devrait obéir la future répartition des compétences. L'exposé des motifs précisait quant à lui que la future loi ferait « l'objet d'un travail interministériel et d'une concertation étroite avec l'ensemble des associations nationales d'élus ».
Ce n'est toutefois pas ce qu'il advint. Ce qui devait conformément aux engagements du Gouvernement faire l'objet de projets de loi spécifiques, l'élection des conseillers territoriaux d'une part, et la répartition des compétences des collectivités territoriales de l'autre, a finalement été adjoint au projet de loi sur la réforme des collectivités territoriales par voie d'amendements à l'occasion de la première lecture à l'Assemblée nationale.
Des amendements gouvernementaux ont ainsi été déposés en commission des lois en application de l'article 88 du règlement de l'Assemblée nationale. En d'autres termes, alors que le Gouvernement s'était opposé en première lecture au Sénat à tout amendement concernant le mode de scrutin des conseillers territoriaux ― à l'exception d'un amendement non normatif indiquant les principes auxquels devrait se conformer leur élection ― précisément au motif que cela relevait du projet de loi n° 61, c'est ce même gouvernement qui a introduit un amendement insérant un article 1er aux termes duquel : « Les conseillers territoriaux sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours selon les modalités prévues au titre III du livre Ier du code électoral. » Selon le même procédé, il a introduit avec l'article 6 un tableau fixant le nombre de conseillers territoriaux par départements et par régions.
Saisie du texte ainsi modifié à l'issue du vote de l'Assemblée nationale en première lecture, la commission des lois du Sénat avait dans un premier temps supprimé ces dispositions, considérant précisément que « les dispositions relatives au régime électoral des conseillers territoriaux avaient été introduites par l'Assemblée nationale, alors même que le Gouvernement s'était engagé à les soumettre en premier lieu au Sénat et qu'il avait rejeté, au cours de l'examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales en première lecture, l'ensemble des amendements portant sur les questions électorales au motif que celles-ci devaient être traitées dans un projet de loi séparé » (rapport n° 559 [2009-2010] du 16 juin 2010, pp. 30-31).
Puis, à l'occasion de l'examen des amendements dits « extérieurs », la même commission des lois a finalement donné son accord à un amendement du Gouvernement rétablissant le mode de scrutin des conseillers territoriaux tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, et adopté un amendement de son rapporteur répartissant les conseillers territoriaux par département et par région. L'amendement sur le mode de scrutin fut ensuite rejeté en séance publique. En revanche le Sénat a bien adopté un tableau modifié de répartition des sièges des conseillers territoriaux.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a rétabli le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l'élection des conseillers territoriaux. Elle a également voté le tableau de répartition des sièges tel qu'il avait été adopté par le Sénat.
Par ailleurs, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait également, mais de sa propre initiative, adopté des amendements modifiant l'article 35 initial (devenu article 73) et visant à déterminer les compétences respectives des collectivités territoriales. Le Sénat en seconde lecture a supprimé cette disposition. L'Assemblée nationale en deuxième lecture l'a, quant à elle, rétabli.
A l'issue de la commission mixte paritaire, les amendements concernant le mode de scrutin des conseillers territoriaux, le tableau de répartition des sièges, et la répartition des compétences entre les collectivités ont finalement été adoptés et votés par les deux chambres.
Les auteurs de la saisine considèrent que ces amendements ont été adoptés au terme d'une procédure irrégulière. Or vous êtes les gardiens de la régularité de la procédure, puisque, selon une jurisprudence constante, il vous appartient non seulement de vous prononcer sur la conformité des dispositions de la loi à la Constitution, « mais encore d'examiner si elle a été adoptée dans le respect des règles de valeur constitutionnelle relatives à la procédure législative » (décision n° 75-57 DC du 23 juillet 1975, cons. 1).
S'agissant ici des trois articles contestés, les requérants considèrent qu'ils ont été adoptés au moyen d'un détournement de procédure, soit, selon les termes d'Odile de David Beauregard-Berthier, d'un « vice de procédure aggravé, consistant en la substitution volontaire à une procédure régulière d'une autre procédure plus expéditive, mais inapplicable à l'opération poursuivie, dans le but d'éluder certaines garanties ou formalités » (« Le contrôle du détournement de procédure en matière d'élaboration des lois », RFDC, 2009, n° 79, p. 453).
Les requérants n'ignorent pas que, jusqu'à présent, vous ne vous êtes pas fait, tout au moins expressément, le juge du détournement de procédure. Néanmoins, comme a pu le relever Odile de David Beauregard-Berthier, il ressort de votre jurisprudence que « le détournement de procédure pourrait être indirectement sanctionné [...] sous couvert d'un vice de procédure » (op. cit., p. 465). La décision que vous avez rendue concernant la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen dans laquelle vous avez censuré une disposition du projet de loi au motif qu'elle n'avait pas été soumise au Conseil d'Etat illustre parfaitement cette censure indirecte du détournement de procédure (décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003, cons. 5-9).
Il est d'ailleurs indiqué dans le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel sous votre décision sur la loi relative aux organismes génétiquement modifiés qu'était réservée « l'hypothèse d'un éventuel détournement de procédure » (n° 25, p. 5). Vous avez en outre utilisé ce terme dans une décision concernant une modification du règlement du Sénat qui interdisait tout sous-amendement qui aurait pour effet de « contredire le sens » de l'amendement auquel il s'appliquait. Vous avez en effet considéré que cette interdiction ne remettait pas en cause le droit d'amendement, « droit qui consiste à pouvoir proposer la modification et non, par un détournement de procédure, l'annulation d'un texte soumis à la discussion d'une assemblée » (décision n° 73-49 DC du 17 mai 1973, cons. 8). Aussi les auteurs de la saisine vous demandent-ils d'accepter de prendre en considération le détournement de procédure qui a abouti à l'adoption des articles en cause.
En tout état de cause, vous ne manquerez pas de constater que les irrégularités commises à l'occasion de l'adoption des trois dispositions disputées ont un « caractère substantiel de nature à entacher de nullité la procédure législative » (décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, cons. 22, et décision n° 94-334 DC du 20 janvier 1994, cons. 6), et ont manifestement eu « pour effet d'altérer la clarté et la sincérité des débats » parlementaires dont votre haute juridiction est également la garante (décision n° 2010-603 DC du 11 février 2010, cons. 9), et « sans lesquelles ne seraient garanties ni la règle énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel : "La loi est l'expression de la volonté générale...”, ni celle résultant du premier alinéa de l'article 3 de la Constitution, en vertu duquel : "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants...” » (décision n° 2005-526 DC du 13 octobre 2005, cons. 5).
Ainsi, le choix de procéder à ces adjonctions par voie d'amendement a abouti au contournement des exigences constitutionnelles normalement applicables : à savoir la consultation obligatoire du Conseil d'Etat (1), la priorité sénatoriale sur les projets de loi concernant les collectivités territoriales (2) et l'exigence de procéder à une étude d'impact (3).
1. Quant à la consultation obligatoire du Conseil d'Etat :
Conformément au deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution, « les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat ». Vous avez déduit de cette disposition que, « si le conseil des ministres délibère sur les projets de...

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