Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 juillet 2010 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2010-612 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0183 du 10 août 2010
Record NumberJORFTEXT000022681308
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication10 août 2010




LOI PORTANT ADAPTATION DU DROIT PÉNAL
À L'INSTITUTION DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE


Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale.
La présente loi constitue, après l'adoption de la loi n° 2002-268 du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale internationale, le deuxième volet de l'adaptation de notre législation interne à la convention, signée à Rome le 18 juillet 1998, portant statut de la Cour pénale internationale (CPI). Cour qui constitue dans l'histoire la première juridiction pénale internationale permanente, compétente à l'égard des crimes les plus graves, commis par des personnes physiques, qui touchent l'ensemble de la communauté internationale et qui, suivant les termes du préambule du traité, sont de nature à menacer « la paix, la sécurité et le bien-être du monde ».
Aussi les sénateurs requérants ne contestent-ils pas l'impérieuse nécessité pour la France de se mettre en conformité avec le statut de la cour. Au contraire même, puisque nous avons voté ce texte en première lecture. Nous avions néanmoins l'espoir que la navette parlementaire permettrait de combler certaines de ses lacunes. Mais de cette navette le gouvernement n'en a pas voulu, et c'est à un vote conforme que l'Assemblée nationale a procédé, deux ans après le vote du Sénat. Aussi, puisque la discussion n'a pu se poursuivre malgré l'importance des enjeux en cause, ce sont des réserves alors émises par nous à l'occasion des débats parlementaires dont nous vous saisissons aujourd'hui.
La France a pris une part active à l'instauration d'une juridiction pénale internationale permanente à même d'assurer non seulement la répression effective des crimes à l'égard desquels elle est compétente, le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les crimes contre la paix, mais également de jouer un rôle dissuasif à l'égard de ceux qui seraient tentés de commettre de tels crimes.
Mais la compétence de la cour n'est en rien exclusive ; elle ne délie pas les Etats de leurs obligations en matière de lutte contre les crimes internationaux, au contraire, ils demeurent les détenteurs de droit commun des outils de répression de ces crimes ainsi que les premiers destinataires de l'obligation de dissuasion.
Comme a pu le relever à juste titre le président Antonio Cassese, c'est précisément une « action plus incisive des juges pénaux internes, combinée, bien sûr, avec celle des juridictions pénales internationales, notamment la Cour pénale internationale » qui « pourrait donner un coup de bélier à la culture de l'impunité » (« Y a-t-il un conflit insurmontable entre souveraineté des Etats et justice pénale internationale ? » in A. Cassese et M. Delmas-Marty (dir.), Crimes internationaux et juridictions internationales, PUF, 2002, p. 29).
C'est ainsi à l'aune de ces deux exigences de répression et de dissuasion des crimes qu'il faut apprécier la loi qui vous est déférée.
Si par certains aspects elle contient des avancées non négligeables, par certains autres, elle reste en deçà des exigences qu'appelle la lutte contre l'impunité des criminels contre l'humanité telles qu'elles figurent dans le statut de la cour.
C'est le cas pour ce qui a trait à la compétence universelle. Si elle est admise, c'est a minima, de telle manière qu'elle est pour ainsi dire dévitalisée et dépourvue de tout effet dissuasif. En effet, la loi fixe quatre conditions par trop restrictives à l'exercice des poursuites par les juridictions françaises :
― la résidence habituelle de l'auteur présumé en France ;
― l'exigence d'une double incrimination ;
― le monopole des poursuites réservé au ministère public ;
― la déclinaison expresse de sa compétence par la Cour pénale internationale.
Les requérants craignent ainsi comme la Commission nationale consultative des droits de l'homme que « le cumul de ces conditions ne rende cette nouvelle disposition totalement inopérante » (avis sur la loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale du 6 novembre 2008).
C'est également le cas pour la définition des crimes contre l'humanité. En exigeant que parmi les éléments constitutifs de l'infraction figure un « plan concerté », le législateur donne une définition restrictive de cette infraction qui n'est pas conforme à celle inscrite dans le statut de la cour.
Parce que ces dispositions ne sont conformes ni à la lettre ni à l'esprit du Statut de la Cour pénale internationale auquel renvoie l'article 53-2 de la Constitution, qu'elles méconnaissent en outre d'importantes exigences de valeur constitutionnelle, nous vous demandons de les censurer, ou à tout le moins d'en retenir une interprétation qui permettra à la France de se conformer pleinement à ses engagements internationaux, et de mener à bien le combat contre l'impunité des criminels contre l'humanité.
Quant à la prise en compte du statut de Cour pénale internationale dans votre examen de la constitutionnalité de la loi :
Les requérants considèrent que, dans le cas d'espèce, vous devrez tenir compte dans le cadre de votre contrôle de la constitutionnalité de la loi des règles inscrites dans le Statut de Rome.
Il est de jurisprudence constante que vous vous refusiez à opérer un contrôle de conventionnalité des lois, et qu'ainsi les traités ratifiés par la France, quand bien même ils possèdent une « autorité supérieure à celle des lois » (art. 55 de la Constitution), ne font pas partie du bloc de constitutionnalité. Ainsi avez-vous considéré dans votre décision sur la loi IVG que « les décisions prises en application de l'article 61 de la Constitution revêt[ant] un caractère absolu et définitif », alors « qu'au contraire, la supériorité des traités sur les lois [...] présente un caractère à la fois relatif et contingent, tenant, d'une part, à ce qu'elle est limitée au champ d'application du traité et, d'autre part, à ce qu'elle est subordonnée à une condition de réciprocité dont la réalisation peut varier selon le comportement du ou des Etats signataires du traité », il ne vous appartenait pas « d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international » (décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, cons. 4-7).
Seules les juridictions de droit commun sont en principe compétentes pour procéder à cet examen. Vous l'avez rappelé récemment, si les dispositions de l'article 55 « confèrent aux traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n'impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution » qu'ainsi « le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité » et que ce contrôle « incombe aux juridictions administratives et judiciaires » (décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, cons. 10-11).
Les auteurs de la saisine ne vous demandent pas de renoncer à cette jurisprudence. Ils vous demandent en revanche de l'adapter à la nature particulière du traité dont il est ici question.
Vous-même avez déjà constaté qu'eu égard à son objet, sanctionner les atteintes les plus graves aux droits fondamentaux qui constituent des « crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale », les « obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par les autres Etats parties ; qu'ainsi, la réserve de réciprocité mentionnée à l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer » (décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, cons. 12).
Ceci n'est toutefois pas propre au Statut de la CPI, puisque, en droit international général, l'exigence de réciprocité est toujours écartée pour les traités relatifs à la protection des droits de l'homme. Ainsi, conformément à l'article 60-5 de la Convention de Vienne sur les droits des traités, les dispositions concernant la réciprocité « ne s'appliquent pas aux dispositions relatives à la protection de la personne humaine contenues dans des traités de caractère humanitaire ». Comme il l'est d'ailleurs indiqué dans le commentaire aux Cahiers de votre décision n° 2010-605 DC, votre argumentation de 1975 « n'était réellement opérante que pour les traités bilatéraux et se trouvait particulièrement inadaptée tant à l'égard de la Convention européenne des droits de l'homme que du droit communautaire » (n° 29).
Ce qui est spécifique en revanche au Statut de la CPI, c'est qu'il figure dans la Constitution. Ainsi l'article 53-2 dispose-t-il en effet que : « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ».
Peu importe que le pouvoir constituant l'ait incorporé pour donner suite à votre décision n° 98-408 DC rendue en application de l'article 54 de la Constitution, et que cela ait pu être qualifié par la doctrine de « procédé hideux mais commode » (Jean Combacau, « La souveraineté de l'Etat dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 9, p. 168). Le fait est que ce traité est le seul, avec les traités communautaires, à être expressément mentionné dans la Constitution, et que cela a eu pour effet de le « constitutionnaliser ».
D'aucuns considèrent d'ailleurs que cette constitutionnalisation aurait eu pour effet d'intégrer le Statut de la CPI dans le bloc de constitutionnalité, et qu'il pourrait dès lors être utilement invoqué à l'égard de toute loi. C'est l'opinion soutenue par le professeur Gérard Gonzalez pour qui, « l'insertion dans la...

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