Saisine du Conseil constitutionnel en date du 21 décembre 2010 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2010-622 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0302 du 30 décembre 2010
Date de publication30 décembre 2010
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000023316938




LOI DE FINANCES POUR 2011


Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution la loi de finances pour 2011.
I. - Sur le placement de certaines dispositions en première partie de la loi de finances et le respect des dispositions organiques
L'article 34 de la LOLF pose la subdivision de la loi de finances de l'année en deux parties distinctes et limite strictement le champ de la première partie de la loi de finances. Concernant les dispositions relatives aux ressources, cette première partie autorise la perception des ressources de l'Etat et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'Etat, et comporte les dispositions relatives aux seules ressources de l'Etat qui affectent l'équilibre budgétaire.
Au regard de ces dispositions, plusieurs articles de la loi de finances pour 2011 ont fait l'objet d'un placement erroné en première partie.
Il s'agit d'abord de l'article 21 qui propose de soumettre à la taxe sur les contrats d'assurance (TSCA) les contrats d'assurance maladie dits « solidaires et responsables », actuellement exonérés de cette taxe. Le produit de cette nouvelle taxation, estimé à 1,1 milliard d'euros, serait affecté à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).
Ainsi, cet article n'autorise en rien la perception d'une imposition dès lors qu'il propose de la majorer. Au demeurant, c'est toujours l'article 1er de la loi de finances qui autorise la perception des impositions. D'autre part, l'article 21 n'affecte pas l'équilibre budgétaire, puisque le produit serait intégralement affecté au financement de la CADES.
Le respect des dispositions organiques aurait donc a minima conduit à inscrire cet article en seconde partie, l'article 34 disposant que celle-ci « peut comporter [...] des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire ». Au demeurant, la logique aurait voulu que cette mesure figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), même si elle ne relève pas de son domaine exclusif.
Il en va de même concernant l'article 22 du projet de loi de finances, qui soumet le compartiment euros des contrats d'assurance-vie multisupports aux prélèvements sociaux « au fil de l'eau ». Les prélèvements concernés sont intégralement affectés aux régimes de sécurité sociale.
L'article 35 enfin adapte la taxe due au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) par les chaînes de télévision. Codifiée aux articles L. 115-6 à L. 115-13 du code du cinéma et de l'image animée, cette taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision est due par tout éditeur de services de télévision établi en France et par tout distributeur de services de télévision établi en France.
Le produit de la taxe dite « taxe COSIP » est intégralement affecté au Centre national du cinéma et de l'image animée, qui gère le compte de soutien à l'industrie des programmes. Elle est acquittée directement auprès de l'agent comptable du CNC.
Une fois encore, l'aménagement du régime de cette taxe est sans effet sur les ressources et le budget de l'Etat, puisque son produit est affecté à une autre personne morale. Cette disposition aurait donc dû être présentée et votée dans le cadre de la seconde partie de la loi de finances.
La circonstance que, à l'initiative de la commission des finances du Sénat, cet article a été amendé pour prévoir, au II, un prélèvement exceptionnel de 20 millions d'euros sur le produit des ressources affectées au bénéfice du budget général ne modifie en rien cet état de fait, dès lors qu'il ne conduit pas à proprement parler à une nouvelle affectation de ressources, mais bien à un prélèvement sur les ressources affectées à une personne morale autre que l'Etat. Ce prélèvement seul aurait pu faire l'objet, le cas échéant, d'une disposition spécifique inscrite dans la première partie de la loi de finances, pour tenir compte de son impact budgétaire.
L'article 35 appelle des observations complémentaires. D'une part, la hausse de la taxe au 2° du I est mise à la charge des éditeurs distributeurs, au titre de leurs activités de distribution. Elle est contraire au principe d'égalité dès lors que les activités de distribution ne sont plus taxées de la même façon selon qu'elles sont exercées de manière autonome ou groupée avec des activités d'édition, alors même que les activités d'édition font l'objet d'une imposition spécifique à ce titre même.
Sur l'ensemble de ces dispositions, il convient d'observer que le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée lui-même a observé que « la première partie du présent projet de loi de finances comporte plusieurs dispositions qui, en application de la LOLF, devraient figurer en seconde partie ». Il soulignait que le rattachement des dispositions en cause porte atteinte aux modalités d'organisation de la discussion budgétaire. Celle-ci « s'organise en effet autour d'un équilibre qui, en fixant, enfin de première partie, l'évaluation des recettes de l'Etat et le montant de son solde budgétaire pour l'année à venir, définit un plafond de dépenses que la deuxième partie doit respecter. La distinction entre les deux parties est un fondement de notre droit budgétaire, protecteur des finances publiques ». Il ajoutait que ce rattachement « réduit sensiblement les délais d'examen des dispositions en cause par l'Assemblée nationale », cette réduction s'inscrivant « dans un mouvement plus général de détérioration des conditions d'examen du projet de loi de finances » (1).

(1) Gilles Carrez, Rapport général n° 2857, tome II, p. 7 et 8



II. - Sur le transfert de 4 millions d'euros d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement au sein de la mission budgétaire « Enseignement scolaire »
A l'article 82, Etat B, du projet de loi de finances pour 2011, le transfert de crédit de 4 millions d'euros au sein de la mission budgétaire « Enseignement scolaire » conduit à une rupture d'égalité de traitement entre l'enseignement public et l'enseignement privé.
En effet, 4 millions d'euros inscrits au programme n° 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale » (titre 2 dépenses du personnel), ont été retirés et affectés au programme n° 139 « Enseignement privé du premier et du second degré » (titre 2 dépenses du personnel).
Les acteurs du programme « Soutien de la politique de l'éducation nationale » ont pour fonction de participer à la rénovation du système scolaire dont l'objectif principal est la réussite de tous les élèves, aussi bien dans l'enseignement public que dans l'enseignement privé. Retirer des crédits de ce programme transversal en faveur de l'enseignement privé compromet donc sa mission générale d'organisation de l'ensemble des services de l'éducation nationale.
Ce mouvement de crédit contrevient totalement à l'égalité de traitement entre l'enseignement public et l'enseignement privé en méconnaissant le devoir de l'Etat concernant « l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés » imposé par le Préambule de la Constitution de 1946 et confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958. Cette opération budgétaire conduit à diminuer le nombre des suppressions de postes d'enseignants dans l'enseignement privé. Ce n'est pas le cas pour l'enseignement public.
Depuis 2007, la politique du Gouvernement est axée sur le non-remplacement d'un enseignant sur deux qui part à la retraite.
L'article 442-14 du code de l'éducation précise que « le montant des crédits affectés à la rémunération des personnels enseignants des classes, faisant l'objet d'un des contrats prévus aux articles L. 442-5 et L. 442-12, au titre de leurs tâches d'enseignement, est déterminé chaque année par la loi de finances. Il est fixé en fonction des effectifs d'élèves accueillis et des types de formation dispensés dans les établissements d'enseignement publics et dans les classes sous contrat des établissements d'enseignement privés, et compte tenu des contraintes spécifiques auxquelles sont soumis les établissements d'enseignement publics du fait de conditions démographiques, sociales ou linguistiques particulières. Aucun nouveau contrat ne peut être conclu que dans la limite des crédits mentionnés au présent article ».
Pour l'année scolaire 2009-2010, l'enseignement privé sous contrat a accueilli 1 835 966 élèves, soit 15,59 % des élèves, et a bénéficié globalement de 20 % des postes d'enseignants.
De plus, les inscriptions des élèves dans l'enseignement privé stagnent (+ 0,059 %) et 1 633 postes d'enseignants ont été supprimés. Si, le principe de parité avait été respecté, 3 200 postes auraient dû être supprimés au lieu de 1 633, soit 20 %.
Parallèlement, 9 942 190 élèves ont été scolarisés dans l'enseignement public (ce qui représente 84,41 % des élèves) et la hausse du nombre d'élèves est 50 fois plus importante que celle de l'enseignement privé. 13 367 postes d'enseignants du secteur public ont été supprimés.
Par votre décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 vous énoncez : « que la loi viole le principe d'égalité en permettant à parité entre établissements publics et établissements privés des concours financiers alors que les charges et contraintes des uns sont supérieures à celles des autres ».
Supprimer en proportion moins de postes d'enseignants dans l'enseignement privé que dans l'enseignement public ne permet donc pas de respecter le principe d'égalité et favorise objectivement l'enseignement privé.
Ainsi, selon le ministère de l'éducation nationale, l'enseignement public du 1er degré accueille 5 333 élèves supplémentaires cette année et contraint à la suppression de 8 967 postes d'enseignants. A l'opposé, les effectifs de l'enseignement privé du 1er degré diminuent de 2 300 élèves et 223 suppressions de postes d'enseignants sont prévues.
Par votre décision n°...

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