Saisine du Conseil constitutionnel en date du 13 novembre 2006 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2006-543DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°284 du 8 décembre 2006
Record NumberJORFTEXT000000819836
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication08 décembre 2006



LOI RELATIVE AU SECTEUR DE L'ÉNERGIE


Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'article 39 de la loi relative au secteur de l'énergie.
Cet article, qui permet la privatisation de l'entreprise publique « Gaz de France » (GDF) malgré l'engagement solennel du Président de la République qui affirmait le 19 mai 2004 qu'« EDF et GDF sont de grands services publics. Elles le resteront, ce qui signifie qu'elles ne seront pas privatisées », nous paraît en effet contraire à plusieurs règles et principes à valeur constitutionnelle.


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Pour mesurer la portée exacte des inconstitutionnalités commises, il convient au préalable de rendre compte schématiquement de la place, en droit et en fait, de l'entreprise GDF dans le paysage énergétique français, telle qu'elle résulte du droit positif issu des lois modifiées n° 46-628 du 8 avril 1946, n° 2003-8 du 3 janvier 2003, n° 2004-803 du 9 août 2004, n° 2005-781 du 13 juillet 2005, de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales et de la loi nouvelle ici contestée.
Si l'on exclut les activités d'importation et de production de gaz naturel qui ne sont pas ici en cause, GDF exerce sur la base des textes précités et de la loi nouvelle trois activités principales, dont la particularité est qu'elles sont aujourd'hui, et encore plus demain, portées par des entités juridiques distinctes justifiant, le cas échéant, qu'elles n'appartiennent pas à la même personne privée ou publique.
En premier lieu, GDF exerce une activité de fourniture de gaz naturel à des clients. A cet égard, s'il est souvent présenté comme un fait acquis que cette activité de fourniture est appelée à intervenir dans un environnement totalement ouvert à la concurrence - ce qui justifierait, sans l'imposer, la privatisation au regard des règles du droit communautaire et du droit constitutionnel -, les choses sont loin d'être aussi simples.
En effet, s'il est vrai qu'au 1er juillet 2004 70 % du marché national de la fourniture de gaz naturel était ouvert à la concurrence et qu'au 1er juillet 2007 tous les clients - domestiques et non domestiques - à la fourniture de gaz seront « éligibles » et pourront choisir librement leurs fournisseurs (sous réserve d'un marché public pour les collectivités publiques), cette date ne marquera pas la fin du marché réglementé de la fourniture de gaz naturel aux tarifs réglementés que la loi confie à GDF et aux distributeurs non nationalisés (DNN), qui appartiennent tous au secteur public.
De fait, comme le prévoient les lois précitées de 2003 et de 2005 (art. 66 et 66-I) telles que modifiées par la loi de 2006 (art. 17) :
- les clients domestiques qui n'ont pas opté pour le secteur concurrentiel peuvent toujours exiger de GDF et, dans leur zone de desserte, des DNN - et d'eux seuls - la conclusion d'un contrat de fourniture de gaz naturel à un tarif réglementé de vente non corrélé aux prix de marché et fixé par les pouvoirs publics (v. art. 7-II de la loi modifiée de 2003), et ce sans aucune limitation dans le temps et sans qu'il soit exigé une situation particulière (sociale, par exemple) pour ce client domestique. Par ailleurs, on notera que la possibilité de revenir à l'occasion d'un changement de site (déménagement) au tarif réglementé de fourniture de gaz est désormais offerte à ceux des clients domestiques qui ont opté pour le secteur concurrentiel ;
- les clients non domestiques (les entreprises, les collectivités publiques...) consommant moins de 30 000 kWh de gaz par an peuvent toujours bénéficier de la part de GDF et, dans leur zone de desserte, des DNN - et d'eux seuls - d'un contrat de fourniture de gaz naturel à un tarif réglementé non corrélé aux prix de marché et fixé par les pouvoirs publics, soit pour leurs nouveaux sites de consommation, soit pour des sites de consommation pour lesquels l'usager précédent n'aurait pas opté pour le secteur concurrentiel et ce, à nouveau, sans aucune limitation dans le temps.
En d'autres termes, et sans préjuger du comportement futur de tous ces clients domestiques comme non domestiques - dont tout laisse toutefois à penser que l'ouverture des marchés ne leur est pour l'instant pas favorable en ce qui concerne le prix de la fourniture de gaz et qu'ils seront pour la très grande majorité d'entre eux enclins à garder le bénéfice des tarifs réglementés de fourniture de gaz naturel -, il n'est pas exclu que, parce que la loi nouvelle de 2006 maintient, sans limitation de durée et sans condition liée à la situation intrinsèque du client, un marché réglementé de la fourniture de gaz dont les prix ne sont pas corrélés aux prix du marché (1) et sont fixés par les pouvoirs publics, GDF - désigné par la loi comme le seul fournisseur, en dehors des DNN sur leurs seuls territoires de desserte, tenu de proposer aux clients un tarif réglementé de vente de gaz naturel - restera le fournisseur exclusif de 96 % de la population.
En deuxième lieu, GDF exerce une activité de transport de gaz naturel au travers d'une personne morale distincte (« GRTgaz ») de celle qui exerce les activités de production, de fourniture ou de distribution de gaz naturel (art. 5 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004). Ici encore, il est courant de présenter cette activité comme totalement ouverte à la concurrence et ce depuis la loi du 2 août 1949.
A nouveau, il n'en est rien. En effet, s'il est vrai que la loi n° 46-628 de nationalisation du 8 avril 1946 a été assouplie par la loi du 2 août 1949, excluant de la nationalisation du gaz « le transport du gaz naturel jusqu'au compteur d'entrée de l'usine de distribution » afin qu'un autre opérateur que GDF qui avait refusé de prendre en charge le gisement de Lacq qui venait d'être découvert puisse en assurer l'exploitation et l'évacuation par le développement d'un réseau de transport, cette activité était réservée par la loi de 1949 à un établissement public ou à une société nationale dans laquelle la majorité du capital devait être détenue par l'Etat ou des établissements publics.
C'est pourquoi, jusqu'en 2001, le réseau français de transport de gaz était géré par trois entreprises (hors Cokes de Drocourt, qui a cessé, depuis, son activité) et était constitué de 32 064 km d'ouvrages appartenant à GDF, de 3 694 km d'ouvrages appartenant à Gaz du Sud-Ouest (GSO, société détenue à hauteur de 70 % par Elf, initialement société publique, et aujourd'hui Total Fina Elf, et 30 % par GDF), de 847 km d'ouvrages appartenant à la Société Elf-Aquitaine de Réseau (SEAR, société détenue à 70 % par Total Fina Elf et 30 % par la Caisse des dépôts et consignations). A ce jour, à la suite de l'intégration de SEAR dans GSO et des échanges de participations entre GDF et Total, GSO est l'entière propriété de Total Infrastructures Gaz.
En d'autres termes, sur les 36 676 km de réseaux de transport de gaz naturel existant aujourd'hui en France, GDF en détient 32 135 km, soit 87,62 % du total. Or, contrairement aux réseaux de transport développés à partir des sources de gaz naturel situées sur le territoire national (Lacq notamment), mais aujourd'hui en partie épuisées, le réseau de transport par canalisations de GDF a été développé sur la quasi-totalité du territoire national à partir du monopole national d'importation dont jouissait jusqu'à récemment GDF. Son territoire d'exploitation est donc bien d'échelle nationale, plaçant ainsi GDF, aujourd'hui et demain (au travers de sa filiale dédiée), en matière de transport de gaz, en situation dominante sur le territoire métropolitain et stratégique au titre de l'indépendance énergétique nationale.
Par ailleurs, on notera que l'entreprise publique GDF est aujourd'hui propriétaire du réseau puisque, en vertu de l'article 81 de la loi de finances rectificative pour 2001 du 28 décembre 2001, l'Etat, jusqu'alors concédant et propriétaire ab initio des réseaux de transport de gaz, a décidé de résilier unilatéralement les concessions de transport de gaz par canalisations et de transférer en pleine propriété les ouvrages concédés aux concessionnaires, en tête desquels se trouve notamment GDF. A cet égard, on rappellera que ce transfert de propriété a été effectué alors que GDF était un établissement public à caractère industriel et commercial, conservant ainsi le réseau de transport par canalisations de GDF dans le secteur public, conformément au droit constitutionnel.
En troisième lieu, au travers d'une personne morale distincte de celle qui exerce les activités de fourniture et de transport (art. 23 de la loi de 2006), GDF exerce une activité de distribution de gaz naturel pour le compte des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics de coopération en tant qu'autorités concédantes de la distribution de gaz (art. L. 2224-31 du CGCT). Ici aussi, il est convenu d'affirmer que cette activité est de plus en plus ouverte à la concurrence. En droit et en fait, il n'en est rien.
- S'agissant tout d'abord des communes qui...

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