Saisine du Conseil constitutionnel en date du 17 décembre 1999 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°16 du 20 janvier 2000
Record NumberJORFTEXT000000386144
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication20 janvier 2000

Les sénateurs ont soulevé les griefs suivants :
I - Sur l'exercice de sa compétence
par le législateur
A. - Sur la méconnaissance de l'exigence constitutionnelle
de " clarté de la loi "
Les requérants considèrent que la loi déférée contient des dispositions qui contredisent des articles du code du travail. Ainsi, ils estiment qu'en fixant le volume annuel d'heures de travail, hors heures supplémentaires, à 1600 heures, la loi interdirait le travail les jours fériés sans pour autant modifier expressément les textes du code relatifs à ces jours fériés. Ils ajoutent que les articles 8, 9 et 19 de la loi qui fixent à 1600 heures la durée annuelle légale maximale du temps de travail, devraient être déclarés non conformes à la Constitution pour violation du principe de "clarté de la loi"
B - Sur l'incompétence négative du législateur
Concernant l'article 19 relatif au bénéfice de l'allégement des cotisations sociales, les sénateurs évoquent une imprécision certaine quant au critère d'attribution des aides. Ils soulignent que la loi n'a pas précisé si les emplois créés ou préservés devaient être appréciés en termes de variation des effectifs totaux de l'entreprise ou bien s'ils devaient être considérés comme des créations "brutes" d'emplois.
Les sénateurs estiment que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat la détermination des modalités de suspension du bénéfice de l'allégement, sans fixer lui-même des critères objectifs pour apprécier l'exigence de compatibilité entre les horaires et les limites posées par l'article 19.
Ils font valoir que l'article 19 n'implique pas les pouvoirs publics dans la conclusion de l'accord d'accès aux aides. Ils affirment que les partenaires sociaux peuvent, par leur seule volonté, faire varier le montant des dépenses publiques. Ainsi, le Parlement se serait partiellement dessaisi de son pouvoir budgétaire.
C - Sur l'injonction au Gouvernement
Les sénateurs font remarquer que, si le législateur peut adopter des dispositions relevant du domaine réglementaire, il ne peut en revanche enjoindre le Gouvernement d'exercer ses compétences dans un délai précis. Aussi l'article 32, imposant au Gouvernement la présentation d'un rapport avant le 01/01/2005, serait contraire à la Constitution.
II. - Sur la méconnaissance de certaines des composantes de la liberté proclamée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
- - Sur la méconnaissance de la liberté d'entreprendre
Les sénateurs font valoir que la loi porterait atteinte à la liberté d'entreprendre en réduisant de plus de 10% la durée légale du temps de travail dans les entreprises. De plus, ils estiment que le législateur a commis une erreur manifeste d'appréciation, à l'égard des entreprises, en réduisant à 1600 heures la durée annuelle du travail et à 217 le nombre de jours de travail de la catégorie de cadres visée à l'article L.212-15-3 du code du travail. Aussi, les requérants estiment que les articles 8, 9 et 19 de la loi doivent être déclarés non conformes à la Constitution. Il en irait de même pour l'article 5 qui réduirait brutalement le nombre de jours maximum de travail des cadres et porterait ainsi atteinte à la liberté d'entreprendre.
Les sénateurs notent que la loi met de façon excessive et subjective la gestion quotidienne des entreprises sous le contrôle d'autorités administratives et dénaturerait le principe de la liberté d'entreprendre. Ils soulignent qu'en subordonnant l'accès au droit à l'allégement de cotisations sociales à un accord d'entreprise signé par une ou plusieurs organisations syndicales, les articles 19 et 21 accorderaient à ces organisations un droit de veto sur l'organisation de l'entreprise.
B - Sur la méconnaissance de la liberté des salariés
Les sénateurs font valoir que les articles 8, 9 et 19 opéreraient une réduction massive et brutale de la capacité individuelle de travail des salariés qui dénaturerait leur liberté individuelle de travail sans que les motifs d'intérêt général avancés pour expliquer ces limitations ne justifient l'ampleur de l'atteinte portée à leur liberté individuelle.
C - Sur la méconnaissance de la liberté contractuelle
Les requérants estiment que la loi porte atteinte à l'économie des conventions et contrats en ce qui concerne les accords collectifs de branche. Ainsi l'article 28-II méconnaîtrait la liberté contractuelle de 3 façons : en rompant l'équilibre des accords signés, en ne respectant pas l'accord national interprofessionnel du 31/10/1995 sur les négociations collectives, en ne respectant pas l'esprit des accords signés sur les points importants imaginés par les partenaires sociaux pour la mise en œuvre des 35 heures. Les sénateurs évoquent les articles 8, 9 et 19 : en fixant le seuil de la durée annuelle à 1600 heures par an, ces articles n'auraient pas respecté les accords de branche. La loi violerait aussi ces accords en maintenant le repos compensateur à 100% pour les heures supplémentaires. De même, que la loi n'aurait pas tenu compte des formations retenues par les accords. Les sénateurs soulignent enfin que, par sa distinction imprécise entre le contenu des formations décomptées comme temps de travail et celui des formations susceptibles d'être effectuées hors du temps de travail, l'article 17 confère une marge d'appréciation exorbitante à l'administration ou au juge pour décider si une formation peut ou non être réalisée en dehors du temps de travail.
Selon les requérants, l'article 11 réduirait à néant la quasi-totalité des accords relatifs au temps de travail des cadres, en restreignant notamment aux seuls cadres dirigeants la possibilité d'établir des forfaits sans référence horaire. Ils ajoutent que l'article 32 ne respecterait pas l'équilibre instauré par les accords de branche relatifs aux garanties salariales en instituant une compensation financière intégrale de la réduction de la durée du travail pour les salariés au SMIC. Dès lors, les sénateurs estiment que les articles 5,8,9,11,17,19, 28-II et 32 doivent être déclarés non conformes à la Constitution.
D. - Sur la méconnaissance du principe d'égalité devant la Loi.
Les requérants font valoir que les articles précités créent une discrimination inconstitutionnelle entre les entreprises pouvant accéder à ces éléments de flexibilité et les autres, qui ne pourront y accéder car non couvertes par un accord de branche. Ils soulignent que certains salariés au SMIC des entreprises de moins de 20 salariés travailleront 39 heures payés 39 et certains des entreprises de plus de 20 salariés travailleront 35 heures payés 39. De plus, Les requérants font valoir que la loi créerait des inégalités de salaires entre les salariés à temps partiel rémunérés au SMIC. Aussi, ils estiment qu'aucune raison objective ne justifierait une telle différence de traitement entre les heures supplémentaires effectuées par des salariés selon qu'ils travaillent dans une entreprise ayant ou non réduit sa durée collective de travail à 35 heures. Les sénateurs en concluent que l'égalité devant la loi a été rompue.
III. - Sur la méconnaissance des principes constitutionnels
de participation et de négociation collective
Les sénateurs font valoir que la loi ne peut prédéterminer le contenu des accords collectifs. Or, la loi déférée contraindrait, selon eux, les entreprises à négocier des accords collectifs pour se mettre en conformité avec la réduction de la durée légale, puisque certaines questions sont subordonnées à la conclusion d'un accord (mise en place du temps partiel annualisé, formation professionnelle, annualisation de la durée du travail). Ils ajoutent que la loi prédéterminerait le résultat des négociations en fixant notamment, à 1600 heures la durée annuelle du travail, à 39 heures par semaine le seuil de déclenchement des heures supplémentaires (article 9) et à 217 jours par an le nombre maximum de jours de travail des cadres (article 11).
Dès lors, les sénateurs demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les articles 5,8,9,11,17,19,20,21,28,30, et 32. Comme ces articles représentent, selon eux, l'essentiel de la loi, ils demandent en conséquence au Conseil de déclarer non conforme à la Constitution la loi dans son ensemble.

LOI RELATIVE A LA REDUCTION NEGOCIEE

DU TEMPS DE TRAVAIL

Le Parlement a définitivement adopté, le 15 décembre 1999, la loi relative à la réduction négociée du temps de travail.

Les sénateurs soussignés considèrent que les principales dispositions de cette loi ne sont pas conformes à la Constitution et comportent les vices de forme et de fonds suivants :

1. La méconnaissance de l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi ;

2. L'incompétence négative du législateur ;

3. L'atteinte à la liberté d'entreprendre ;

4. La méconnaissance de la liberté des salariés et de la liberté contractuelle ;

5. La violation de l'égalité devant la loi ;

6. La méconnaissance des principes constitutionnels de participation et de négociation collective.

I. - Sur l'exercice de sa compétence

par le législateur

A. - Sur la méconnaissance de l'exigence constitutionnelle

de « clarté de la loi »

Un premier motif d'inconstitutionnalité externe réside dans la méconnaissance, par le législateur, de l'exigence constitutionnelle de « clarté de la loi ».

La loi introduit dans le code du travail des dispositions qui contredisent des articles dudit code, sans modifier ni supprimer ceux-ci. En fixant le volume annuel d'heures de travail, hors heures supplémentaires, à 1 600 heures, la loi interdit le travail les jours fériés sans pour autant modifier expressément les textes relatifs auxdits jours fériés.

En l'état actuel du droit (après le vote de la première loi sur la réduction du temps de travail) :

- la durée légale du travail est fixée à 39 heures par semaine (art. L. 212-1 du code du travail) ;

- la durée des congés payés est de 2,5 jours ouvrables par mois de travail sans pouvoir excéder 30 jours ouvrables par an (art. L...

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