Saisine du Conseil constitutionnel en date du 15 février 2011 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2011-625 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0062 du 15 mars 2011
Record NumberJORFTEXT000023708086
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication15 mars 2011


LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION
POUR LA PERFORMANCE DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Monsieur le président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

Sur l'article 1er

L'article 1er de la loi qui dispose que : Le rapport annexé sur les objectifs et les moyens de la sécurité intérieure à horizon 2013 est approuvé .
Vous avez eu l'occasion de juger, à propos d'une disposition équivalente, que les "orientations” présentées dans le rapport figurant à l'annexe I de la loi déférée ne relèvent (..) d'aucune des catégories de textes législatifs prévues par la Constitution et ne sont dès lors pas revêtues de la valeur normative qui s'attache à la loi (2002-460 DC du 22 août 2002, cons. 21. Cf. également 2002-461 DC, 29 août 2002, cons. 90). Pour autant, vous aviez considéré un temps que les dispositions dépourvues de caractère normatif (...) ne sauraient (..) être utilement arguées d'inconstitutionnalité (2003-467 DC, 13 mars 2003, cons. 90).
Puis votre jurisprudence a évolué, et vous avez été amené à prononcer la censure de certaines dispositions sur le fondement de cette absence de caractère normatif. Ainsi avez-vous censuré l'article 4 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales qui, du fait de sa portée normative incertaine , ne respectait pas le principe de clarté de la loi (2004-500 DC du 29 juillet 2004, cons. 15). De même est-ce parce que vous aviez considéré que ses dispositions étaient manifestement dépourvues de toute portée normative que vous aviez censuré le II de l'article 7 de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école (2005-512 DC du 21 avril 2005, cons. 17).
Ainsi, au regard de votre jurisprudence antérieure à la révision constitutionnelle de 2008, il n'aurait fait aucun doute que l'article 1er de la loi qui vous est ici déférée aurait été censuré.
Par la révision constitutionnelle de 2008, le pouvoir constituant a inséré un antépénultième alinéa à l'article 34 de la Constitution aux termes duquel : Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'Etat .
Mais est-ce à dire que, dans ce cas, sous prétexte d'intituler un projet de loi d'orientation et de programmation, le législateur pourrait dorénavant faire fi des exigences de clarté et d'intelligibilité de la loi que lui impose par ailleurs la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ?
Car c'est bien de cela dont il s'agit ici. En effet, cette exigence de normativité des lois, vous l'avez déduite de l'article 6 de la Déclaration de 1789 dont vous avez considéré qu'il résultait, comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative (2005-512 DC du 21 avril 2005, cons. 8).
Or, cette jurisprudence ne résultait pas d'une quelconque volonté de votre part de museler arbitrairement le législateur, mais répondait à la légitime préoccupation, comme l'indique le commentaire aux cahiers de cette décision, de condamnation de la "loi bavarde” (...) justifiée par la nécessité d'enrayer le processus de dégradation de la qualité de la législation (cahier n° 19). De cette préoccupation ô combien salutaire, vous ne devriez vous départir.
Aussi vous appartient-il aujourd'hui de vous prononcer sur la validité d'une disposition qui n'a manifestement pas de caractère normatif, au regard de la nouvelle rédaction de l'article 34 de la Constitution.
Cette absence de caractère normatif de l'article 1er et du rapport auquel il renvoie doit à tout le moins emporter une conséquence : débaptiser la loi de son titre de loi de programmation.
En effet, elle ne saurait recevoir cette qualification car, contrairement à son prédécesseur, la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, elle ne possède pas de disposition programmant les moyens de la sécurité intérieure. Or c'était justement en vous fondant sur cette programmation que vous aviez admis la valeur normative de l'article 2 de ladite loi (2002-460 DC du 22 août 2002, cons. 21. Cf. mutatis mutandis pour la programmation de moyens de la justice votre décision n° 2002-461 DC, 29 août 2002, cons. 90).
Ici, en revanche, les seuls moyens à venir envisagés figurent dans des tableaux annexés à la loi, pas dans le corps de la loi elle-même. Et, de surcroît, la seule programmation envisagée porte en réalité uniquement sur les années 2012 et 2013. Quant aux années antérieures, 2009, 2010 et 2011, elles relèvent de lois de finances déjà votées et pour partie exécutées, ce qui lui ôte de facto tout caractère prospectif.

Sur l'article 4

L'article 4 de la loi insère à l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique après le quatrième alinéa du 7 du 1 deux alinéas aux termes desquels :
Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l'article 227-23 du code pénal le justifient, l'autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent 1 les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l'accès sans délai.
Un décret fixe les modalités d'application de l'alinéa précédent, notamment celles selon lesquelles sont compensés, s'il y a lieu, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs.
Cette disposition vise ainsi à autoriser l'autorité administrative à exiger des fournisseurs d'accès internet (FAI) qu'ils instaurent un système de filtrage limitant l'accès à des sites internet contenant des images ou des représentations de mineurs présentant un caractère pornographique.
Il n'est pas dans l'intention des auteurs de la saisine, comme en atteste l'ensemble de leurs interventions en commissions et en séance, de mettre en cause la légitimité et l'impérieuse nécessité de lutter contre la pédopornographie. Mais, aussi légitime que soit pourtant l'objectif poursuivi, cette disposition encourt néanmoins votre censure, tant le législateur, au regret des requérants, a recouru à des moyens manifestement inappropriés à la poursuite de cet objectif (1), tout en restant en deçà de sa compétence, en ne fournissant pas les garanties suffisantes contre des éventuelles atteintes arbitraires à la liberté d'expression protégée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (2).

1. Quant au caractère inapproprié des moyens
au regard de l'objectif poursuivi

Il est constant que votre haute juridiction ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement (2010-605 du 12 mai 2010, cons. 23). Mais s'il ne vous appartient pas de rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies , c'est néanmoins à condition que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées (99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 10). Ainsi avez-vous récemment censuré le dispositif sur la contribution carbone au motif notamment qu'il comportait des régimes d'exemption totale contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique (2009-599 DC du 29 décembre 2009, cons. 82). Vous venez en outre de juger que le dispositif d'indemnisation des avoués tel qu'il était envisagé par la loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel au motif qu'il était contraire à l'exigence constitutionnel du bon usage des deniers publics (2010-624 DC du 20 janvier 2011, cons. 17).
Or non seulement de nombreux spécialistes de la lutte contre la cybercriminalité s'accordent sur le fait que, qu'il s'agisse de prévenir l'accès par inadvertance ou volontaire aux sites concernés, ces dispositifs de filtrage de sites pédopornographiques sont absolument inefficaces, mais, qu'au contraire, ils contribuent à rendre encore plus difficile la répression de ce fléau, quand ils ne la découragent pas tout simplement.
La littérature sur le sujet est abondante (1) et éclairera utilement votre haute juridiction. Les auteurs de la saisine se contenteront ainsi de rappeler la conclusion sans appel de l'étude d'impact du blocage des sites pédopornographiques établie par la Fédération française des télécoms et des communications électroniques selon laquelle les solutions de blocage d'accès aux sites pédopornographiques ne permettent d'empêcher que les accès involontaires à des contenus pédopornographiques disponibles sur le web , et qu'en revanche toutes les techniques de blocage, sans exception aucune, sont contournables et n'empêcheront pas des utilisateurs malveillants de trouver des parades pour accéder aux contenus illégaux .
Comme il a pu l'être relevé à l'occasion des débats au Sénat, vouloir bloquer les sites pédopornographiques en bloquant l'accès à internet revient à vouloir bloquer des avions en plein vol en dressant des barrages routiers au sol (compte rendu intégral des débats du 8 septembre 2010).
Mais plus grave encore, et toujours selon la Fédération française des télécoms et des communications électroniques, dès lors que le blocage sera effectif, les sites spécialisés dans les techniques de contournement vont se multiplier, réduisant ainsi fortement l'efficacité du dispositif .
Or les techniques de contournement, qu'elles passent par le recours à des réseaux privés ou de renforcement des systèmes de cryptage, auront toutes pour effet de rendre encore plus difficile le repérage, et donc, in fine, la répression des criminels à l'origine de la...

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