Saisine du Conseil constitutionnel en date du 30 juin 2000 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 2000-433 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°177 du 2 août 2000
Record NumberJORFTEXT000000766384
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication02 août 2000

LOI MODIFIANT LA LOI No 86-1067 DU 30 SEPTEMBRE 1986

RELATIVE A LA LIBERTE DE COMMUNICATION

Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et lui demandent de la déclarer non conforme à la Constitution, notamment pour les motifs suivants :

1. La loi est contraire à l'article 39 de la Constitution

Considérant que l'article 39 de la Constitution précise que « les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat ». Le premier texte élaboré par le ministère de la communication au mois de septembre 1998 avait reçu un avis négatif du Conseil d'Etat, qui l'avait jugé attentatoire au principe d'indépendance des sociétés de programmes, de la liberté de communication et du pluralisme des courants d'expression. Un nouveau projet a été élaboré au mois de mai 1999. Ce dernier n'a cependant pas été présenté au Conseil d'Etat, ce qui est contraire à l'article 39 de la Constitution.

Considérant qu'au cours de la procédure législative cinquante-trois amendements concernant la télévision numérique et internet ont été déposés par le Gouvernement. Ces amendements auraient dû faire l'objet, compte tenu de leur importance, d'un texte spécifique. Le Conseil constitutionnel a jugé que les amendements gouvernementaux, de même que ceux émanant des parlementaires, sont constitutionnels sous réserve qu'ils ne soient pas sans lien avec le projet débattu, ni excèdent « par leur objet et leur portée les limites inhérentes au droit d'amendement » (décisions no 86-221 DC du 29 décembre 1986 ; no 86-224 DC du 23 janvier 1987 ; no 93-316 DC du 20 janvier 1993 ; décision no 90-277 DC du 25 juillet 1990). Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de censurer une loi au motif que les dispositions ajoutées par amendement excédaient les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement, du fait de leur ampleur et de leur importance (décision no 86-224 DC du 23 janvier 1987). Les cinquante-trois amendements gouvernementaux, présentés en deuxième lecture, ajoutent un chapitre supplémentaire sur le numérique, modifiant de façon conséquente le projet de loi, créant ex nihilo un nouveau régime juridique pour le numérique hertzien. Force est de constater que la phase administrative de la procédure législative n'a pas été respectée.

Pour ces deux motifs, la loi doit être considérée comme contraire à l'article 39 de la Constitution.

2. La loi ne respecte pas la répartition des compétences

des articles 34 et 37 de la Constitution

Sur la réduction de la publicité :

Considérant que l'article 15, paragraphe VI, de la loi sur la liberté de communication prévoit que « pour chacune des sociétés France 2 et France 3, le temps consacré à la diffusion de messages publicitaires ne peut être supérieur à huit minutes par période de soixante minutes ». Cette mesure de réduction de la publicité relève non pas du domaine législatif mais du domaine réglementaire. L'article 34 de la Constitution ne prévoit pas que la réglementation de la publicité tombe dans le domaine législatif. De ce fait, l'article 37 qui prévoit que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire » s'applique. La loi empiète donc sur le domaine réglementaire.

Pour ce motif, l'article 15, paragraphe VI, de la loi sur la liberté de communication doit être considéré comme contraire aux articles 34 et 37 de la Constitution.

Sur la redevance :

Considérant que l'article 15, paragraphe III, dernier alinéa, prévoit « à compter du 1er janvier 2001 tout redevable peut, à sa demande, effectuer le paiement fractionné de la taxe dénommée redevance mentionnée au premier alinéa du présent paragraphe dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et sans que puisse en résulter une perte de ressources pour les organismes affectataires ». De plus, toujours concernant la redevance, il est indiqué au paragraphe V du même article que « les exonérations de redevance audiovisuelle décidées pour les motifs sociaux donnent lieu à remboursement intégral du budget général de l'Etat au compte d'emploi de la redevance audiovisuelle ». Ces deux dispositions sur la mensualisation de la redevance et le remboursement des exonérations de redevance ne relèvent pas de la loi sur la liberté de communication, mais de la loi de finances qui, selon l'article 34 de la Constitution, détermine « les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».

En outre, l'ordonnance no 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances précise en son titre Ier, article 1er, que « les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent ».

Pour ce motif, les paragraphes III et V de l'article 15 de la loi doivent être considérés comme contraires à l'article 34 de la Constitution.

3. La loi est contraire au principe de liberté

de communication figurant dans la Constitution française

Considérant que conformément au Préambule de la Constitution, qui renvoie à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle depuis votre décision du 16 juillet 1971, « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (art. 11). Dans les décisions du 27 juillet 1982 (décision no 82-141 DC), des 10 et 11 octobre 1984 (décision no 84-181 DC), le Conseil constitutionnel a précisé que « s'agissant d'une liberté fondamentale d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ».

Suppression du pouvoir d'appréciation du CSA :

Considérant que les articles 71 et 72 de la loi sur la liberté de communication, l'utilisation du mot : « ordonne », qui remplace les mots : « peut ordonner », transforment un pouvoir discrétionnaire en compétence liée, pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Ainsi, les sanctions que peut prendre le CSA en cas de manquement aux obligations incombant aux chaînes, et notamment l'insertion dans les programmes d'un communiqué dont il fixe les termes et les conditions de diffusion, prennent un aspect automatique.

En supprimant toute marge d'appréciation pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le législateur a manifestement porté atteinte au principe de liberté de communication.

Considérant que l'institution d'une sanction automatique est contraire au principe de nécessité des peines, énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen auquel renvoie la Constitution française (cf. décision no 99-410 DC du 15 mars 1999).

Constatant ces anomalies, le Gouvernement a déposé, en lecture définitive à l'Assemblée nationale, deux amendements visant à rendre au CSA tout son pouvoir d'appréciation. A cet égard, la ministre de la communication a remarqué que « le Conseil constitutionnel ne pourrait que censurer de (telles) disposition(s), car une sanction ne saurait avoir un caractère automatique » (Bulletin AN, 28 juin 2000). Ces amendements n'ayant pas été adoptés...

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