Saisine du Conseil constitutionnel en date du 17 mai 2011 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2011-631 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0139 du 17 juin 2011
Record NumberJORFTEXT000024191844
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication17 juin 2011




LOI RELATIVE À L'IMMIGRATION,
À L'INTÉGRATION ET À LA NATIONALITÉ


Monsieur le président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.
Certaines des dispositions du texte appellent votre censure sur la base du même fondement, l'atteinte aux principes inscrits aux articles 66 de la Constitution et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lesquels l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle et qu'est proscrite toute rigueur qui ne serait pas nécessaire ; elles seront donc traitées ensembles. Les autres dispositions en cause seront considérées individuellement.


Sur les manquements aux articles 66 de la Constitution
et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen


Conformément à l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
Cette disposition constitutionnelle implique non seulement que toute personne privée de sa liberté puisse avoir accès à un juge, mais encore que ce juge puisse exercer un contrôle effectif sur la décision contestée. Or les requérants considèrent que les dispositions de la loi ici disputée relatives au délai d'intervention du juge des libertés (§ 1), aux purges des nullités (§ 2), à la limitation des moyens invocables devant le juge de la zone d'attente (§ 3) ainsi qu'au délai de recours suspensif accordé au ministère public (§ 4) méconnaissent toutes ces exigences constitutionnelles fondamentales pour la protection des libertés individuelles.
Il ressort en effet sans ambiguïté aucune de la jurisprudence de votre haute juridiction qu'aussi bien le maintien d'un étranger en zone d'attente (n° 92-307 DC du 25 février 1992, cons. 15) que son maintien en centre de rétention administrative (n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 51) constituent des mesures affectant la liberté individuelle qui appellent l'intervention pleine et entière du juge judiciaire (1).
Comme il découle de l'article 9 de la Déclaration de 1789 (2) que la « liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire » (n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010, cons. 5).

(1) Cf. également Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, 15e éd, p. 546, § 13 (2) « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

1. Quant aux articles 44 et 51

Les articles 44 et 51 prévoient tous deux que, dorénavant, le délai d'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) pour autoriser le maintien en rétention administrative d'un étranger sera de cinq jours, et non plus de quarante-huit heures. En d'autres termes, pendant un délai, a minima, de cinq jours, un étranger pourra se retrouver privé de liberté par l'autorité administrative, sans possibilité aucune d'avoir accès à un juge du siège.
Il est pourtant constant que depuis votre décision n° 79-109 DC, la "liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible" (9 janvier 1980, cons. 4).
Or ce délai de cinq jours ne peut être considéré comme conforme à cette exigence. A cet égard, et à l'instar de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, il convient d'abord de relever que "cet allongement considérable du délai de privation de liberté avant toute intervention du juge judiciaire n'est nullement imposé par la "directive retour”, dont le projet de loi est présenté comme l'application en droit français" (3).
Ensuite et surtout, il ne saurait être regardé comme le plus court délai possible.
Primo, parce que dans de nombreux cas, pour ne pas dire l'essentiel des cas, la décision préfectorale de placement en rétention administrative sera précédée d'une mesure de garde à vue. Dans ces hypothèses, les plus nombreuses, ce n'est donc pas pendant cinq jours que les étrangers concernés seront privés d'accès au juge du siège, mais bien pendant six, voire sept jours. Or, comme vous l'avez expressément indiqué dans votre décision précitée, le maintien "en détention pendant sept jours sans qu'un juge ait à intervenir, de plein droit ou à la demande de l'intéressé (...) n'est pas conforme à la constitution" (cons. 4).
Secundo, que ce soit dans votre décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980 (cons. 4) ou dans celle n° 97-389 DC du 22 avril 1997 (cons. 54), c'est par deux fois en vous fondant sur l'intervention du juge judiciaire dans un délai de quarante-huit heures que vous aviez admis la conformité des dispositifs contestés à l'article 66 de la Constitution. Rappelons d'ailleurs à cet égard que, dans votre décision de 1997, vous aviez validé le passage de vingt-quatre à quarante-huit heures en tenant compte du fait que, dans le même temps, la loi réduisait de six à cinq jours le délai de prorogation du maintien en rétention. De même si, dans votre décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, vous aviez validé l'extension du délai maximal de maintien en rétention, c'est uniquement après avoir rappelé que cet allongement ne remettait "pas en cause le contrôle de l'autorité judiciaire (...) au-delà de quarante-huit heures" (cons. 64). Or, en l'espèce, non seulement l'allongement du délai de recours au juge passe de deux à cinq jours, mais il s'accompagne de l'allongement de la durée maximale de rétention qui passe, elle, de trente-deux à quarante-cinq jours. Aucune circonstance, donc, n'appelle à ce que vous renonciez à votre propre jurisprudence. Tout au contraire.
En effet, hormis les décisions précitées spécifiques à la rétention administrative des étrangers, il ressort de manière générale de vos décisions rendues en matière de garde à vue que l'intervention d'un juge du siège au-delà d'un délai de quarante-huit heures a acquis une valeur constitutionnelle. Ainsi, déjà dans votre décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, aviez-vous jugé qu'au-delà de quarante-huit heures "l'intervention d'un magistrat du siège pour autoriser (...) la prolongation de la garde à vue est nécessaire conformément aux dispositions de l'article 66 de la Constitution" (cons. 25). Et encore tout récemment, comme l'indique le commentaire aux Cahiers de votre décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, vous avez "confirmé qu'au-delà de quarante-huit heures de privation de liberté l'article 66 de la Constitution impose que la privation de liberté soit placée sous le contrôle d'un magistrat du siège". C'est ainsi que vous avez rappelé que la possibilité pour le parquet de retenir pendant une durée de vingt heures un prévenu en attendant sa mise à la disposition de la justice "méconnaîtrait la protection constitutionnelle de la liberté individuelle si la personne retenue n'était pas effectivement présentée à un magistrat du siège avant l'expiration" de ce délai si elle s'appliquait à l'issue d'une garde à vue ayant duré quarante-huit heures (n° 2010-80 QPC du 17 décembre 2010, cons. 11).
Et même quand il s'est agi de vous prononcer sur la constitutionnalité de la prolongation de la garde à vue en matière de terrorisme à six jours, vous ne vous êtes pas contentés de la valider au regard de l'intervention du juge du siège, mais également au regard de l'article 9 de la Déclaration de 1789. Ainsi cette prolongation n'a-t-elle eu grâce à vos yeux, fût-elle prononcée par le juge des libertés, qu'eu égard à son caractère "exceptionnel" qui la rendait conforme au principe de rigueur nécessaire (n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010, cons. 5).
Rien ne justifie qu'il en soit autrement pour les étrangers, puisque si, selon vos propres termes, le législateur peut prendre à leur égard "des dispositions spécifiques", c'est à la condition de "respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République", parmi lesquels figurent en premier lieu "la liberté individuelle et la sûreté" et des "droits de la défense" (n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 3, 84 et 113).
Or, s'agissant d'étrangers dont il n'est pas démontré qu'ils représentent un danger particulier pour la sauvegarde de l'ordre public, c'est en vain que vous rechercherez une exigence constitutionnelle justifiant pareille rigueur dans l'application de la loi.
Les deux principaux arguments avancés par les promoteurs du nouveau dispositif ne sauraient en effet prospérer.
L'argument qu'il vous appartiendra en premier lieu d'écarter, énoncé dans le rapport initial de la commission des lois de l'Assemblée nationale, indique qu'une libération par le JLD pourra se justifier "par l'existence d'une irrégularité liée à la procédure civile ou pénale", mais que dans ce cas elle aura alors "pour conséquence d'empêcher l'exécution d'une mesure d'éloignement légale". Aussi, toujours selon les termes du même rapport, le "passage du délai de rétention administrative de deux à cinq jours permettra dans certaines circonstances d'exécuter la mesure d'éloignement dès que le juge administratif, juge du fond en matière de droit des étrangers, aura rendu sa décision" (rapport n° 2814, 16 septembre 2010, p. 249).
Si les requérants avaient cherché à démontrer que l'objectif véritable poursuivi par le législateur n'était pas celui de la bonne administration de la justice, mais la marginalisation du juge judiciaire, empêcheur "d'expulser en rond", ils ne l'auraient pas dit autrement ! En effet, il s'agit là ni plus ni moins de l'aveu que c'est l'Etat de droit que l'on cherche à contourner, au nom de l'efficacité des mesures de renvoi.
Or le risque que fait peser pareille disposition sur la...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT