Saisine du Conseil constitutionnel en date du 15 décembre 1999 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°16 du 20 janvier 2000
Date de publication20 janvier 2000
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000000386143

Les députés défèrent au Conseil constitutionnel la Loi relative à la réduction négociée du temps de travail. Ils soulèvent les griefs suivants :
I - Le législateur méconnaît l'étendue de sa compétence
Les députés font valoir que le législateur s'est borné à renvoyer à un décret en Conseil d'Etat la détermination des modalités de suspension du bénéfice de l'allégement des cotisations sociales patronales (art.19) sans fixer lui-même des critères objectifs permettant d'apprécier le respect ou non de cette exigence de "compatibilité" entre les horaires de travail et les limites définies à l'article 19. Ainsi, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
Selon les requérants, d'autres dispositions encourent aussi le reproche de l'incompétence négative. Les députés estiment que les articles 1er-IV, 17, 19 et 30 sont contraires à la Constitution.
II. - La loi relative à la réduction négociée du temps de travail porte atteinte à la liberté proclamée par l'article 4 de la Déclaration de 1789
A - La loi porte atteinte à la liberté contractuelle
des partenaires sociaux
Selon les requérants, l'économie des contrats serait gravement remise en cause par la loi déférée. Le législateur bouleverserait l'économie des conventions négociées en modifiant les dispositions les plus importantes que les partenaires sociaux avaient mises en oeuvre, conformément à la demande du législateur.
Les Députés font valoir que l'article 8 (instaurant un régime unique de modulation), l'article 9 (déterminant les conditions de prise de journées ou de demi-journées de repos) et l'article 19 (subordonnant l'octroi du nouvel allégement de cotisations sociales) poseraient tous les trois une durée annuelle maximale de 1600 heures et remettraient ainsi en cause la plupart des accords.
Les requérants soutiennent que l'article 11 de la loi instituerait une réglementation spécifique pour les cadres qui contredirait la plupart des dispositions des accords de branche.
De plus, ils font valoir que l'article 17, prévoyant l'organisation de la formation professionnelle en tout ou partie sur le temps libéré par la réduction du temps de travail, tendrait à rendre les accords de branche inopérants.
Concernant les garanties salariales, la loi ne respecterait pas l'équilibre instauré par les accords de branche, sur la compensation de la réduction de la durée du travail, en instituant, à l'article 32, une compensation financière intégrale de la réduction du temps de travail pour les salariés au SMIC qui s'appliquerait aussi aux nouveaux embauchés.
Dès lors, les requérants concluent que l'ensemble de ces dispositions (art. 2, 5, 8, 9, 11, 17, 19, 28 et 32) porterait à l'économie des accords légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaîtrait manifestement la liberté contractuelle et bouleverserait l'économie des conventions, sans que l'intérêt général ou des exigences constitutionnelles ne puissent justifier une telle remise en cause.
Selon les députés, l'article 19 prévoirait un nouvel allégement des cotisations sociales patronales et ferait ainsi peser une pression sur les partenaires sociaux telle qu'il les obligerait à conclure des accords collectifs. Cet article porterait une atteinte manifestement excessive à la liberté contractuelle des partenaires sociaux et serait non conforme à la constitution.
B - La loi relative à la réduction négociée du temps
de travail porte atteinte à la liberté d'entreprendre
Les députés soulignent qu'en fixant à 1 600 heures par an le volume annuel d'heures au-delà duquel se déclenchent les heures supplémentaires en cas d'annualisation de la durée du travail, les articles 8, 9 et 19 de la loi porteraient une atteinte excessive à la capacité productive des salariés.
Selon les requérants, les articles 2, 3, 4, 5, 8, 9, 11, 17 et 19 réduiraient ainsi de façon manifestement disproportionnée la capacité productive annuelle de chaque salarié et entraîneraient un rationnement excessif de la capacité productrice des entreprises, au regard des objectifs poursuivis par la loi et porteraient ainsi à la liberté d'entreprendre des limitations injustifiées.
Les Députés font valoir que l'article 19 met de façon excessive la gestion quotidienne des entreprises sous le contrôle d'autorités administratives. Ils invoquent ainsi une atteinte à la liberté d'entreprendre. L'intrusion dans la gestion quotidienne des entreprises et la menace de suppression des aides financières donneraient un pouvoir exorbitant à ces autorités pour accorder, suspendre ou supprimer le bénéfice des allégements de charges.
C - La loi relative à la réduction négociée du temps
de travail porte atteinte à la liberté des salariés
Les députés notent que la loi opère, à la place des salariés eux-mêmes, un choix arbitraire de plus de temps libre et de moins de revenus, sans qu'aucun motif d'intérêt général ne justifie cette réduction massive du temps de travail. Ils estiment que le système envisagé par la loi revient à taxer les salariés qui travaillent plus dans certaines entreprises pour financer les baisses des charges sociales des entreprises où les salariés travaillent moins. Ce système constituerait une atteinte injustifiée à la liberté du travail et compromettrait le principe de juste rémunération que mérite tout travail.
III. - La loi relative à la réduction négociée du temps
de travail porte atteinte au principe d'égalité
A - La loi relative à la réduction du temps de travail
crée des inégalités entre les entreprises
Les requérants font valoir que la différence de traitement relative au bénéfice de l'allégement des charges sociales ne répond pas à certaines exigences constitutionnelles, à savoir que la différence de traitement doit avoir un rapport direct avec l'objet de la loi et être fondée sur des critères objectifs et rationnels.
Ils ajoutent que le bénéfice des allégements des charges serait subordonné à une décision arbitraire de l'administration en raison de l'imprécision de la loi en ce qui concerne l'incompatibilité des durées et des horaires de l'entreprise avec les 35 heures et le respect de l'engagement en termes d'emplois.
Les députés concluent que la différence de traitement entre les entreprises ayant signé un accord et celles qui n'en ont pas signé pour le bénéfice de l'allégement des charges sociales porte une atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques qui n'est justifiée ni par une différence de situation, ni par des critères objectifs et rationnels, ni par un intérêt général. Les articles 19 et 21 seraient contraires à la Constitution.
B - La loi relative à la réduction négociée du temps
de travail crée des inégalités entre salariés
Les requérants estiment que la principale inégalité entre les salariés est celle opérée par l'article 32 relatif au salaire minimum de croissance et au complément différentiel de salaire.

Ils soulignent qu'une inégalité apparaîtrait pour les salariés des entreprises nouvellement créées. En effet, selon eux, si l'entreprise ne souscrit pas d'elle-même, pour les salariés au SMIC, au principe du paiement de 39 heures pour 35 heures de travail afin d'obtenir les aides correspondantes, les salariés au bas de l'échelle percevraient une rémunération mensuelle minimale calculée sur 35 heures, alors que les salariés des entreprises ayant réduit le temps de travail, à durée de travail égale, seraient payés sur la base de 39 heures.
Les députés font valoir que, dans la même entreprise, des salariés à temps plein (35 heures) pourraient être payés 39 heures tandis que d'autres salariés à temps plein pourraient être payés 35 heures. Ils soulignent que l'inégalité se poursuit aussi entre les salariés à temps partiel.
Les députés invoquent une autre inégalité en ce qui concerne le régime des heures supplémentaires (article 5). Ils estiment que certaines différences portent atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.. Ainsi, selon eux, l'article 5 doit donc être considéré comme non conforme à la Constitution.

En conclusion, les députés estiment que les articles 2, 3, 4, 5, 8, 9, 11, 17, 19, 21, 28, 30 et 32 sont non conformes à la Constitution. De plus, en raison du caractère indivisible de ces dispositions avec l'ensemble de la loi, les requérants ajoutent que l'ensemble de la loi relative à la réduction négociée du temps de travail doit être considérée comme non conforme à la Constitution.

LOI RELATIVE A LA REDUCTION NEGOCIEE

DU TEMPS DE TRAVAIL

Prévue par l'article 13 de la loi no 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, la loi relative à la réduction négociée du temps de travail confirme le principe de la réduction de la durée légale à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et au 1er janvier 2002 pour l'ensemble des entreprises et détermine les conditions de la généralisation du processus de réduction du temps de travail amorcée par la loi no 98-461 du 13 juin 1998.

Comme la première loi sur les 35 heures, la seconde loi sur les 35 heures soulève plusieurs problèmes de conformité à notre Constitution.

Dans sa décision no 98-401 DC du 10 juin 1998 relative à la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail (première loi sur les 35 heures), le Conseil constitutionnel a déjà posé plusieurs principes précis sur la faculté pour le législateur de réglementer la durée du travail et notamment relatifs à la seconde loi annoncée. Or, la seconde loi ne respecte pas plusieurs de ces principes.

En effet, si le Conseil constitutionnel a considéré qu'il est « loisible au législateur, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de l'article 34 de la Constitution qui range dans le domaine de la loi "les principes fondamentaux... du droit du travail...", de fixer la durée légale hebdomadaire du travail effectif et, dans ce cadre, d'instituer des mécanismes d'incitation financière propres à favoriser, dès l'entrée en vigueur de la loi, la...

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