Saisine du Conseil constitutionnel en date du 30 juin 1999 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et citée dans la décision no 99-416 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°172 du 28 juillet 1999
Record NumberJORFTEXT000000379267
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication28 juillet 1999
LES DEPUTES AUTEURS DE LA SAISINE RELEVENT DANS LA LOI 99641 DU 27-07-1999 PORTANT CREATION D'UNE COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE LES GRIEFS SUIVANTS:
LA CMU INSTITUERAIT DU FAIT DE L'EFFET DE SEUIL DE GRAVES INEGALITES ENTRE LES ASSURES SOCIAUX (SELON QU'ILS GAGNENT UN PEU PLUS OU UN PEU MOINS DE 3500FRS) SANS QUE CELA NE SOIT JUSTIFIE PAR UNE REELLE DIFFERENCE DE SITUATION NI PAR UN MOTIF D'INTERET GENERAL.
LA CMU CREERAIT D'IMPORTANTES INEGALITES ENTRE LES ORGANISMES DE PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE ET LES CAISSES PRIMAIRES D'ASSURANCE MALADIE,AU DETRIMENT DES PREMIERS.LES CPAM SERAIENT DANS UNE POSITION PRIVILIGIEE POUR PRESENTER AUX BENEFICIAIRES DE LA CMU UNE COUVERTURE COMPLEMENTAIRE.LE MODE DE FINANCEMENT DE LA CMU CREERAIT UNE RUPTURE DE L'EGALITE DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES AU DETRIMENT DES ORGANISMES PRIVES DE PRESTATIONS COMPLEMENTAIRES.L'INSTAURATION DE LA CMU ABOUTIRAIT A LA RESILIATION DE PLEIN SANS INDEMNISATION DES CONTRATS D'ASSURANCE COMPLEMENTAIRE SOUSCRITS PAR LES FUTURS BENEFICIAIRES DE LA CMU ET PORTERAIT ATTEINTE AU PRINCIPE D'EGALITE DEVANT LE SERVICE PUBLIC AU DETRIMENT DES ORGANISMES D'ASSURANCE COMPLEMENTAIRE.
LA CMU SERAIT CONTRAIRE AUX PRINCIPES FONDAMENTAUX DE NOTE PROTECTION SOCIALE (ART. 11 DU PREAMBULE DE 1946) CAR ELLE REMETTAIT EN CAUSE LE PRINCIPE CONTRIBUTIF,METTRAIT SOUS CONDITION DE RESSOURCE UNE PARTIE DE L'ASSURANCE MALADIE ET RISQUERAIT DE PORTER ATTEINTE AU MONOPOLE DE GESTION RECONNU AUX CPAM DU REGIME DE BASE.
L'ART. 14 (MODIFIANT LES REGLES APPLICABLES A LA PROCEDURE D'OPPOSITION A TIERS DETENTEUR PERMETTANT AUX CAISSES DES NON SALARIES D'OBTENIR LE RECOUVREMENT FORCE DES COTISATIONS NON PAYEES ET DES PENALITES DE RETARD) SERAIT CONTRAIRE AU RESPECT DES DROITS DE LA DEFENSE.
L'ART. 27 (FONDS DE FINANCEMENT DE LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE DE LA COUVERTURE UNIVERSELLE DU RISQUE MALADIE) SERAIT CONTRAIRE A L'ART. 34 CAR LE LEGISLATEUR AURAIT CREE UNE NOUVELLE CATEGORIE D'ETABLISSEMENT PUBLIC SANS EN DEFINIR LES REGLES ESSENTIELLES (INCOMPETENCE NEGATIVE).
L'ART. 36 (MODALITES D'ORGANISATION DE LA CARTE D'ASSURANCE MALADIE INFORMATISEE) SERAIT CONTRAIRE AU PRINCIPE DU RESPECT DE LA VIE PRIVEE.
L'ART. 41 (SUBORDONNANT LA COMMUNICATION DES DONNEES STATISTIQUES ANONYMES A UN AVIS CONFORME DE LA CNIL ET DU GOUVERNEMENT) SERAIT CONTRAIRE A LA LIBERTE DE LA COMMUNICATION.
LE TITRE V AJOUTE PAR AMENDEMENT,N'A PAS DE RAPPORT DIRECT AVEC L'OBJET DE LA LOI ET CONSTITUE EN FAIT UN DMOS (DIVERSES MESURES D'ORDRE SOCIAL).CELA CONSTITUERAIT UN DETOURNEMENT DE PROCEDURE ET UNE VIOLATION DES LIMITES INHERENTES AU DROIT D'AMENDEMENT

LOI PORTANT CREATION

D'UNE COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant création de la couverture maladie universelle.

Si chacun s'accorde en effet sur la nécessité d'assurer l'accès de tous aux soins, les moyens mis en oeuvre par la présente loi pour réaliser cet objectif apparaissent contraires à nos droits fondamentaux et porteurs de fortes inégalités.

C'est pourquoi les députés soussignés demandent au Conseil de déclarer la présente loi non conforme à la Constitution pour les motifs suivants :

I. - La couverture maladie universelle

institue de graves inégalités entre assurés sociaux

La présente loi précise en effet que les personnes ayant la qualité de résident et dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil bénéficieront de la couverture maladie universelle dite CMU.

Si le montant de ce seuil n'est pas expressément fixé par la loi, il ressort clairement des déclarations du Gouvernement lors des débats parlementaires que celui-ci sera de 3 500 F de revenus mensuels pour une personne seule.

Le dispositif CMU établit donc un seuil couperet. Si une personne a des revenus inférieurs à 3 500 F par mois, elle bénéficiera de la couverture maladie universelle, c'est-à-dire de la gratuité totale des soins sans avance de frais. Si ses revenus sont supérieurs, ne serait-ce que de quelques francs, elle en sera automatiquement exclue, quelle que soit sa situation sociale.

Rappelons tout d'abord que l'article 2 de notre Constitution affirme que « la République assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens ». De même, l'article 6 de la Déclaration universelle de 1789 rappelle que « la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Ce principe d'égalité est d'autant plus important en matière de couverture maladie que l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme quant à lui que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Ce droit constitutionnel à l'égalité d'accès aux soins a d'ailleurs été reconnu par le Conseil dans sa décision no 75-54 DC du 15 janvier 1975 et confirmé à plusieurs reprises depuis.

Rappelons par ailleurs que, selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel considère, d'une part, depuis sa décision no 78-101 DC du 17 janvier 1978, que « le principe d'égalité devant la loi énoncé par l'article 6 de la déclaration de 1789, s'il implique qu'à des situations semblables il soit fait application de règles semblables, n'interdit aucunement qu'à des situations différentes soient appliquées des règles différentes ». D'autre part, depuis sa décision no 87-232 DC du 7 janvier 1988, le Conseil admet également que « le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi ».

Il convient donc de déterminer si les inégalités manifestes créées par l'effet de seuil de la CMU sont justifiées soit par une différence de situation réelle entre les assurés sociaux, soit par un motif d'intérêt général en rapport avec l'objet poursuivi par la loi.

1. Y a-t-il une réelle différence de situation entre les bénéficiaires de la CMU et les autres assurés sociaux à faibles revenus ?

Du fait de l'effet de seuil, une personne dont les revenus mensuels sont de 100, 200 ou 300 F supérieurs au seuil de 3 500 F ne bénéficiera pas de la CMU.

Il a ainsi été rappelé lors des débats qu'une personne âgée allocataire du minimum vieillesse dont le montant est, à ce jour, de 3 540,42 F ne bénéficiera pas de la CMU. De même, une personne handicapée qui perçoit l'allocation adulte handicapé, dont le montant est aujourd'hui de 3 540,41 F par mois, ne bénéficiera pas de la CMU.

Certes, dans ce deuxième cas, elle bénéficie, en application de l'article L. 381-27, des prestations maladie et maternité sans cotisation lorsqu'elle n'est pas assujettie à un autre régime obligatoire d'assurance maladie mais elle devra, dans tous les cas, supporter le coût de plus en plus lourd d'une couverture complémentaire.

Il apparaît pourtant difficile d'affirmer que les 40 F de revenus supplémentaires, dont bénéficient ces personnes par rapport au bénéficiaire de la CMU, permettent de considérer qu'elles ne sont pas défavorisées et qu'elles sont dans une situation différente quant à leur accès aux soins.

Cela est d'autant plus évident que, selon les statistiques de l'INSEE, le seuil de pauvreté en France est fixé à 3 800 F de revenus par mois, soit 300 F de plus que le seuil d'accès à la CMU. Certes, le Gouvernement a rappelé que les études de l'INSEE établissent ce seuil dans une fourchette allant de 3 200 à 3 800 F. Cependant, cet argument ne permet pas de justifier le bien-fondé du seuil de 3 500 F d'autant que le titre même de la loi aurait dû conduire le Gouvernement à retenir, en ce domaine, le seuil le plus élevé, comme l'avait d'ailleurs demandé l'ensemble des députés membres de la commission des affaires sociales de l'Assemblée en votant en première lecture un amendement fixant le seuil d'accès à la CMU à 3 800 F par mois.

Certes, le Gouvernement a indiqué lors des débats que l'effet de seuil pourrait, dans une certaine mesure, être limité par les systèmes d'aide sociale, les fonds d'action sociale des caisses et la création d'un fonds à l'initiative des organismes privés de prestations complémentaires. Il convient cependant de noter tout d'abord que les financements des systèmes d'aide sociale vont en grande partie être utilisés pour mettre en place la CMU et que ces mécanismes de soi-disant lissage de l'effet de seuil sont laissés à l'entière initiative des collectivités, des partenaires sociaux et des acteurs de la protection sociale. La loi ne fixe en conséquence aucun dispositif réel permettant de remettre en cause effectivement les effets négatifs du seuil couperet, fixé par l'article 3, pour de nombreuses personnes défavorisées.

De plus, il convient de signaler que l'instauration de la couverture maladie universelle ne permettra pas de résoudre les différences de couverture sociale, notamment de couverture maladie, existant entre les différents régimes de sécurité sociale. En conséquence, du fait de l'affiliation obligatoire à certains régimes, certaines personnes vont continuer à cotiser pour un régime de base alors que leurs revenus sont inférieurs au seuil d'accès à la CMU. Il en est ainsi d'un agriculteur gagnant moins de 3 500 F par mois mais disposant d'une certaine surface d'exploitation. Il devra en conséquence, comme l'a fait remarquer à plusieurs reprises la Mutuelle sociale agricole, continuer à cotiser à la MSA, contrairement à un non-agriculteur ayant les mêmes revenus ou encore un agriculteur ayant une surface d'exploitation plus petite. Le même type de situation interviendra également pour les étudiants qui ne sont pas éligibles à la CMU. A cette objection le Gouvernement s'est contenté de répondre, lors des débats, que la présente loi ne modifie pas les régimes professionnels.

Il paraît donc évident que l'inégalité, créée par l'instauration de la CMU, entre des personnes défavorisées ayant un niveau de revenu voisin ne peut être justifiée par une différence réelle de situations.

2. Les inégalités créées par...

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