Saisine du Conseil constitutionnel en date du 9 juillet 1998, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 98-403 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°175 du 31 juillet 1998
Date de publication31 juillet 1998
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000000572861

LOI D'ORIENTATION RELATIVE A LA LUTTE

CONTRE LES EXCLUSIONS

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel les articles suivants de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, adoptée définitivement le 9 juillet 1998.

Ils demandent au Conseil constitutionnel de décider que ces articles ne sont pas conformes à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous :

I. - Sur la taxe dite d'inhabitation (art. 51)

Cet article instaure un système d'imposition des logements vacants, appelé communément taxe d'inhabitation, en insérant un article 232 au code général des impôts (CGI).

Il convient tout d'abord de rappeler que, dans sa décision no 94-358 DC (Rec. p. 176) portant sur la loi relative à la diversité de l'habitat, le Conseil constitutionnel a affirmé qu'« aux termes du dixième et du onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 (...), la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle » (considérants nos 5 à 7).

Or, selon une jurisprudence constante du Conseil, un objectif de valeur constitutionnelle doit s'entendre comme étant une directive donnée au législateur d'agir dans un but défini en conformité avec les règles constitutionnelles générales et sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

Le Conseil l'a rappelé, dans sa décision no 94-352 DC du 18 janvier 1995 (loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, Rec. p. 170, § 2), à propos d'un autre objectif à valeur constitutionnelle, la sauvegarde de l'ordre public :

« La prévention des atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d'infractions sont nécessaires à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle ; (...) qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnelles garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir ainsi que l'inviolabilité du domicile ; (...) que la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle. »

L'article 51 de la présente loi méconnaît les règles de répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir exécutif ainsi que certains de nos principes constitutionnels les plus fondamentaux. Les députés soussignés demandent donc au Conseil de le déclarer inconstitutionnel pour les raisons suivantes :

Cet article doit tout d'abord être censuré pour incompétence négative :

En vertu du seizième alinéa de l'article 34 : « la loi détermine... le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ».

La taxe instituée par le présent article porte atteinte, de manière manifeste, au droit de propriété et plus particulièrement au principe de libre disposition de son bien par le propriétaire puisqu'elle oblige ce dernier à le louer. Sa mise en oeuvre relève donc bien de la compétence du législateur.

Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs, dans sa décision de 1995 précédemment citée (no 94-359 DC, Rec. p. 176), défini avec précision la compétence du législateur en matière de logement en indiquant dans son considérant 8 que :

« Il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en oeuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ; que le législateur peut à cette fin modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieurement promulguées à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes de valeur constitutionnelle qu'elles avaient pour objet de mettre en oeuvre. »

En conséquence, le législateur ne peut légitimement modifier le droit du logement qu'à la seule condition que cette modification se justifie par une amélioration de la protection des droits en cause.

L'article 51 de la présente loi ne répond manifestement pas à cette exigence.

Il instaure en effet une taxe d'inhabitation annuelle qui concerne, aux termes de la loi, « les logements vacants dans les communes appartenant à des zones d'urbanisation continue de plus de 200 000 habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, au détriment des personnes à revenus modestes et des personnes défavorisées, qui se concrétise par le nombre élevé de demandeurs de logement par rapport au parc locatif et la proportion anormalement élevée de logements vacants par rapport au parc immobilier existant ».

La seule lecture de cet article montre l'imprécision des critères édictés et fait pressentir les multiples atteintes à des droits fondamentaux tels que le droit de propriété ou l'égalité devant les charges publiques qu'elle ne manquera pas d'engendrer.

Ainsi, le « déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements » paraît-il difficile à mesurer. Qu'est-ce qu'un déséquilibre marqué ? Qui pourra le mesurer et donner cette appréciation réclamée par la loi pour son application ? Existe-il des instruments objectifs de mesure de ce déséquilibre ? Aucune réponse à ces diverses questions n'est donnée par l'article 51.

La notion de « personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées » pose elle aussi de réelles difficultés de définition. Aucun critère objectif ne permet de dire que telle personne est « défavorisée » ou a des « revenus modestes ». Ici encore, ces notions devront être appréciées subjectivement alors que le code de la construction et de l'habitat utilise, dans d'autres cas, des critères objectifs de définition, tel par exemple que la notion de « personne dépourvue de logement » (art. L. 641-2).

Le critère selon lequel le déséquilibre qu'entend réparer l'article 51 de la loi est concrétisé par « le nombre élevé de demandeurs de logements par rapport au parc locatif et la proportion anormalement élevée de logements vacants par rapport au parc immobilier existant » n'est quant à lui pas plus précis. La loi ne dit en effet rien du seuil au-delà duquel le nombre de logements vacants devra être considéré comme « anormalement élevé » au regard du parc immobilier existant et encore moins de l'autorité qui pourra définir un tel seuil.

Enfin, par son imprécision manifeste, le nouvel article 232-I du code général des impôts ne fixe pas les règles de recouvrement de la taxe qu'il institue et est donc contraire aux dispositions du sixième alinéa de l'article 34 de la Constitution qui donne compétence au législateur pour fixer les règles concernant « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». Dans sa décision no 85-191 DC du 10 juillet 1985 (Rec. p. 46), le Conseil a réaffirmé clairement la nécessité pour le législateur d'exercer pleinement sa compétence en ce domaine.

Les mêmes griefs peuvent être invoqués à l'encontre des II et IV de l'article 232 qui se contentent d'indiquer que « la taxe est due pour chaque logement vacant depuis au moins deux années consécutives » et que « la taxe n'est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable ». Dans l'un et l'autre cas, aucun critère, autre que la bonne foi, n'est défini pour vérifier que le propriétaire doit ou non être soumis à la taxe d'inhabitation.

Cette grave absence de précision dans la définition de la vacance involontaire et les conséquences qu'elle ne manquera pas d'entraîner pour les droits des propriétaires, ont d'ailleurs été largement évoquées par les parlementaires lors des débats à l'Assemblée, comme devant le Sénat. Il convient d'ailleurs de relever que, auditionné à plusieurs reprises par les commissions parlementaires, notamment au Sénat, le secrétaire d'Etat au logement a indiqué qu'aucun texte réglementaire fixant une liste exhaustive des cas de vacances involontaires ne serait établie et a par là même reconnu l'imprécision qui prévaudrait à l'application de son texte.

Par ailleurs, l'absence de définition précise des cas de vacances involontaires fait supporter la charge de la preuve de cette vacance subie au seul propriétaire.

Or, la loi ne définit en rien quelles seront les preuves que devra apporter le propriétaire de l'insuffisance, par exemple, de ses ressources pour procéder aux travaux de réhabilitation de son logement. De même, quel élément devra-t-il fournir pour justifier de ses démarches en vue de la location de son logement ? L'absence de définition minimale des critères d'évaluation de ces vacances involontaires risque de conduire à des interprétations divergentes d'un service fiscal à l'autre et de créer en conséquence des inégalités manifestes entre propriétaires en plus de celles déjà expressément affirmées par la loi.

De même, le renvoi à un décret pour fixer la liste des communes où la taxe sera instituée est contraire à l'article 34 de la Constitution. De nombreux parlementaires ont d'ailleurs critiqué ce renvoi au pouvoir réglementaire en considérant qu'il n'apportait pas les garanties minimales de protection dues aux propriétaires. Il a notamment été rappelé que l'article 18 de la loi no 89-462 du 6...

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