Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 décembre 2004 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2004-511 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°304 du 31 décembre 2004
Date de publication31 décembre 2004
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000000789375



LOI DE FINANCES POUR 2005


Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de finances pour 2005 telle qu'adoptée par le Parlement.
A l'appui de cette saisine, nous développons les motifs suivants concernant le non-respect du principe de sincérité de la loi de finances pour 2005 et à l'encontre en particulier des articles 22, 28, 47, 48, 49, 52, 87 et 112.


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1. Sur le non-respect du principe de sincérité


La loi de finances pour 2005 doit être analysée comme méconnaissant le principe de sincérité tel qu'il s'impose en application de l'article 32 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances et tel que votre jurisprudence récente l'a établi et encadré.
L'exigence de sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire. Elle a été clairement précisée dans la décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002. En effet le considérant 7 rappelle que si, au cours de l'exercice « les grandes lignes de la loi de finances s'écartaient sensiblement des prévisions, il appartiendrait au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative ».


1.1. L'évolution des prévisions de recettes


Vous rappelez, dans le même considérant de la décision citée ci-dessus, qu'une surestimation des recettes fiscales de faible ampleur au regard des masses budgétaires ne porterait pas atteinte au principe de sincérité.
Cette jurisprudence venait qualifier une surestimation de recettes égale à 2,9 milliards d'euros. En effet, dans leur saisine sur le projet de loi de finances pour 2003, les requérants estimaient à ce montant la surestimation des prévisions de recettes. Si en réponse, vous avez considéré qu'il n'y avait pas de manquement au principe de sincérité, vous n'avez pas pour autant autorisé le Gouvernement à proposer systématiquement un projet de loi de finances intégrant une surestimation de cet ordre.
L'élaboration du projet de loi de finances est effectuée sur la base des informations économiques et financières disponibles, qui permettent d'établir le niveau prévisionnel des recettes fiscales et non fiscales. Le Gouvernement n'est en aucune façon autorisé à retenir des hypothèses économiques qui assoupliraient les contraintes auxquelles il doit faire face notamment en matière de solde budgétaire, en tenant compte de la marge de manoeuvre que lui confère votre jurisprudence.
Si tel était le cas, vous ne pourriez que constater le manquement au principe de sincérité, dans la mesure où en agissant de la sorte le Gouvernement ferait part d'une volonté manifeste de dissimulation.
Malheureusement, force est de constater que cette année, le Gouvernement retient des hypothèses de croissance, d'évolution du prix du pétrole, de parité euro-dollar et d'élasticité des recettes fiscales au niveau de croissance, qui non seulement sont éloignées de la réalité des informations disponibles en la matière, mais dont l'effet combiné conduit à une surestimation des recettes de l'ordre de 2,9 milliards d'euros.
Une telle coïncidence ne saurait relever du seul hasard. La pratique budgétaire ne peut tendre vers une surestimation systématique en loi initiale des prévisions de recettes, qui revient à détourner votre jurisprudence, sauf à méconnaître le principe de sincérité.
De même, les observations du considérant 7 de la décision n° 2002-464 DC ne sauraient pour autant justifier qu'une surestimation soit admise, dans la mesure où elle constituerait une erreur certaine, manifeste et volontaire dans la présentation et la détermination des objectifs de recettes ne permettant pas au Parlement d'exercer ses prérogatives.
Il ne s'agit pas d'enfermer le débat sur le respect du principe de sincérité dans une querelle d'experts financiers sur la pertinence des hypothèses économiques, dont le caractère réaliste ou non est inhérent à l'exercice de prévision. Il s'agit au contraire de s'assurer qu'au moment où il vote le projet de loi de finances, le Parlement le fait en toute connaissance de cause.
Une erreur d'appréciation, quel que soit son montant, ne saurait échapper au contrôle de sincérité si elle conduit à dissimuler la réalité au Parlement.
En cours de débat parlementaire, le Gouvernement a mis en place une commission afin d'estimer les effets sur le produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) et sur le produit de la TVA applicable à ces produits de la hausse des prix du pétrole constaté en 2004. Cette commission a confirmé que la hausse des prix du pétrole a conduit à une moindre consommation, et donc à la baisse du produit de TIPP réellement perçu par rapport à celui évalué dans le projet de loi de finances initial pour 2004.
Avant même la mise en place de la commission, cette réalité était connue du Gouvernement, comme le démontre l'évaluation révisée pour 2004 dans le fascicule « Voies et moyens » qui porte à 622 millions d'euros la baisse de produit de TIPP liée à un ralentissement net des consommations à fin 2002, à une croissance atone de la consommation en produits pétroliers en 2003 et à la révision des hypothèses de croissance de consommation en 2004.
Si, dès la présentation du projet de loi de finances pour 2005, le Gouvernement avait intégré la baisse du produit de la TIPP en 2004, les résultats de la commission auraient dû le conduire à réviser à nouveau à la baisse les prévisions de 2004 d'une part, et de 2005, d'autre part, qui seront inévitablement inadaptées en raison de la révision portant sur 2004.
En effet, elle s'est livrée à un chiffrage très précis des moindres recettes. Il apparaît à cet égard que les moindres recettes sur 2004 sont de l'ordre non pas de 622 millions d'euros mais de 855 millions d'euros, dont 770 pour l'Etat et 85 pour les départements.
Le différentiel est ainsi de 148 millions. Il a, de façon automatique, un effet sur la prévision de recettes de TIPP pour l'année 2005 que le Gouvernement n'a à aucun moment pris en compte. En agissant ainsi, il a commis une erreur certaine qui n'a pas permis au Parlement de se prononcer sur la base des dernières informations disponibles.
Même si cette surestimation est de faible ampleur, elle constitue un manquement manifeste au principe de sincérité.


1.2. La détermination des plafonds de dépenses


Il est avéré, dès le vote du projet de loi de finances pour 2005, que les objectifs en matière de dépenses ne sont pas sincères.
Le 16 décembre 2004, le ministre du budget a annoncé qu'une réserve de précaution de 4 milliards d'euros, sous la forme de gels de crédits budgétaires, sera constituée dès le mois de janvier.
Vous avez déjà indiqué, notamment dans votre décision n° 2002-464 du 27 décembre 2002, que le « vote du Parlement, dans la loi de finances, des plafonds afférents aux grandes catégories de dépenses et des crédits mis à la disposition des ministres n'emporte pas, pour ces derniers, obligation de dépenser la totalité des crédits ouverts. »
Mais on peut constater depuis trois ans le développement d'une pratique qui consiste à opérer un décalage systématique entre le niveau des dépenses soumis au vote du Parlement et le niveau des dépenses effectivement envisagées et concrètement engagées par le Gouvernement. Cette pratique ne peut pas être le mode normal d'évaluation et de présentation des dépenses de l'Etat.
En agissant ainsi, le Gouvernement détourne manifestement l'esprit de la procédure des mises en réserve de crédits et ce dans le seul but de fausser la sincérité des plafonds de dépenses.
La Cour des comptes l'a régulièrement rappelé ces dernières années. Son rapport au Parlement sur les décrets d'avance des 16 juin, 8 septembre, 17 novembre et 26 novembre 2003 constate en effet que pour financer une partie des ouvertures de crédit mise en oeuvre par voie administrative en cours de gestion, le Gouvernement a recours à des annulations sur certains chapitres budgétaires de crédits manifestement surévalués en loi de finances initiale et que de telles pratiques posent la question de la sincérité du budget soumis au vote du Parlement.
De même, le rapport de la Cour des comptes sur les mouvements de crédits opérés par voie administrative, établi en application de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, déposé conjointement au projet de loi de finances rectificative pour 2004, souligne que les dépenses inscrites sur plusieurs chapitres budgétaires font l'objet de sous-estimations manifestes qui conduiront le Gouvernement à devoir abonder les chapitres en cause en cours d'exécution.
Un premier exemple est fourni par les crédits du ministère de l'agriculture. On peut lire en page 10 du rapport qu'« en soustrayant à la discussion du projet de loi de finances initial les crédits relatifs à la politique d'indemnisation, en renvoyant à un article du collectif budgétaire l'inscription des crédits nécessaires et en induisant un report systématique et intégral des crédits sur l'exercice suivant, cette pratique altère significativement la sincérité de la loi de finances. ». Cette remarque porte sur le chapitre destiné à financer l'indemnisation des calamités agricoles, qui ne relève que formellement de la situation d'urgence prévue par la loi organique. La dotation initiale en 2005 de ce chapitre est de 10 millions d'euros, proche de celle de 2004, et les besoins constatés en 2004 se montent à 232,57 millions d'euros.
Un deuxième exemple présenté en page 17 du même rapport, conduit la Cour des comptes à dénoncer « une entorse répétée à la sincérité du budget de l'Etat » concernant les crédits destinés à couvrir notamment la charge liée à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile. La Cour des comptes ajoute que « des appréciations de même nature en ce qui concerne l'écart entre la dotation initiale de 2004 et...

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