Saisine du Conseil constitutionnel en date du 4 décembre 2013 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2013-682 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0298 du 24 décembre 2013
Record NumberJORFTEXT000028373715
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication24 décembre 2013




LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2014


Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 et, notamment, ses articles 8, 13, 14, 47, 48, 49 et 82.
A. ― Concernant l'article 8 de la loi déférée :
L'article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 met fin à l'application du régime dit des « taux historiques » en matière de prélèvements sociaux aux produits de placement dans des contrats d'assurance-vie et applique le taux en vigueur des prélèvements sociaux à l'intégralité des gains constitués depuis 1997, et ce à l'ensemble des revenus générés dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie.
Le texte initial du projet de loi de financement pour la sécurité sociale, tel qu'il avait été soumis à l'Assemblée nationale et adopté par celle-ci en première lecture, prévoyait la suppression du régime des « taux historiques » pour l'ensemble des revenus du capital exonérés d'impôt sur le revenu (à savoir les produits issus des plans épargne en actions de plus de cinq ans, les primes versées avant le 26 septembre 1997 sur des contrats d'assurance-vie multisupports, l'épargne salariale, les primes versées dans le cadre des comptes et plans épargne-logement ainsi que les intérêts acquis sur des plans d'épargne-logement de moins de dix ans souscrits avant le 1er mars 2011).
L'objectif initial du dispositif était un objectif de simplification par harmonisation des règles de calcul des prélèvements sociaux (1). Il s'agissait, en effet, pour le législateur d'harmoniser les règles de calcul des prélèvements sociaux pour tous les produits de placement.
Néanmoins, par une série d'amendements présentée par le Gouvernement en deuxième lecture devant l'Assemblée nationale et adoptée par cette même Assemblée le 25 novembre 2013, le champ d'application de la mesure de suppression des taux historiques a été limité aux seuls contrats d'assurance-vie exonérés d'impôt sur le revenu, excluant de cette manière les PEL, les CEL, les PEA ainsi que l'épargne salariale.
Les requérants considèrent que la limitation du champ d'application de cette disposition aux produits des contrats d'assurance-vie est contraire au principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques, en tant que corolaire de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (« La loi est l'expression de la volonté générale. [...] Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ») et en application de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (« Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés »).
Or, si l'objectif initial du texte visait à harmoniser les régimes des prélèvements sociaux, cela passait nécessairement par la suppression de l'application du régime des « taux historiques » à l'ensemble des produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu.
En ce sens, Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget, a rappelé durant les débats au Sénat, en première lecture, lors de la séance du 13 novembre 2013, que la mesure en cause consiste « à faire en sorte que tous les produits d'épargne, par souci de simplification et d'harmonisation, soient taxés de manière identique ».
Cependant, le législateur en écartant du champ d'application de cette mesure la plupart des produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu mais soumis aux prélèvements sociaux selon le régime des « taux historiques » pour ne conserver que les contrats d'assurance-vie, est apparue une différence de traitement entre les produits de placement soumis jusqu'alors au principe des « taux historiques » ne reposant sur aucun critère objectif et rationnel au regard de l'objet de la loi. En cela, elle entraîne donc une rupture d'égalité entre les redevables des prélèvements sociaux.
Les requérants considèrent également que le dispositif de l'article 8 est rétroactif et ne respecte pas les exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel il ne saurait porter « aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant » ni la jurisprudence constante de votre conseil.
D'abord, la réforme du calcul des prélèvements sociaux sur les produits de placement, prévue à l'article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, porte atteinte à une situation légalement acquise.
En effet, il ressort de l'examen des travaux parlementaires dont est issue la loi ayant institué le régime du taux historique qu'il s'agit d'une disposition qui, aux yeux du législateur, n'avait pas pour objet d'introduire un régime dérogatoire mais précisément d'éviter la rétroactivité qui aurait découlé de l'absence d'une telle mesure.
En faisant référence au caractère « rétroactif » de l'augmentation du taux des prélèvements sociaux pour les produits de placement dont le fait générateur se situe au dénouement du contrat de capitalisation, alors même que les produits en question ont été acquis précédemment, le législateur a donc entendu sanctuariser le régime fiscal applicable aux produits acquis sur ces contrats avant chacune des dispositions ayant entraîné une augmentation des prélèvements sociaux.
Par suite, le contribuable pouvait légitimement se fonder sur cette pratique législative pour considérer que les augmentations successives ne seraient jamais applicables aux produits acquis avant leur entrée en vigueur. Dès lors, modifier ce taux a posteriori, en remettant en cause ces dispositions législatives sanctuarisant, à chaque augmentation, les produits acquis antérieurement, revient à porter atteinte à une situation légalement acquise pour le contribuable.
En outre, au cas présent, l'objectif de simplification et d'harmonisation des règles de calcul d'une imposition ne saurait constituer un motif d'intérêt général suffisant permettant de justifier la remise en cause d'une disposition dont l'objectif était de limiter les effets dans le temps d'une modification de la loi fiscale. Et, admettre qu'un objectif d'harmonisation et de simplification soit de nature à justifier la remise en cause de ce qu'il est convenu de qualifier de « clauses de grand-père » reviendrait à priver totalement de portée le principe même de ces dispositions, qui ont pour objet, tout au contraire, de stabiliser les situations juridiques existantes à une date donnée, en maintenant des régimes distincts de ceux qui ont vocation à s'appliquer pour les mêmes situations juridiques constatées pour l'avenir.
B. ― Concernant l'article 13 de la loi déférée :
Les requérants estiment que l'article 13 de la loi de financement de la sécurité sociale qui a pour objet de créer, à rendement constant, une troisième tranche de la taxe sur le chiffre d'affaires de la vente en gros, assise sur le montant de la marge rétrocédée aux pharmacies d'officine est contraire aux principes constitutionnels de liberté d'entreprendre et de liberté contractuelle.
Il convient donc de rappeler que la liberté d'entreprendre se fonde sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, il en va de même pour le principe de liberté contractuelle, comme le précise la décision du 19 décembre 2000 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 : « la liberté contractuelle découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » (2).
De plus, à travers l'alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », votre conseil se trouve naturellement amené à examiner des dispositions qui auraient pour conséquence de créer une situation monopolistique qui serait par nature contraire à la libre concurrence.
Or, les dispositions de l'article 13 vont immanquablement créer une distorsion de concurrence entre les deux principaux canaux de distribution de médicaments princeps (prescrits remboursables) pour les pharmaciens que sont les ventes directes et les grossistes, distorsion de concurrence qui conduira mécaniquement à une situation monopolistique en faveur des grossistes contraire au principe de libre concurrence.
Il convient alors de rappeler que les dispositions de l'article 13 consistent à taxer à 20 % la remise concédée au pharmacien sur les médicaments princeps (prescrits remboursables).
Or, le niveau de remise concédée au pharmacien est significativement plus important dans le canal des ventes directes où ce niveau de remise s'élève à 4 % en moyenne que dans le canal grossiste où le niveau de remise avoisine les 1 %. En conséquence de quoi, la taxe sur les 20 % aura des effets résolument distincts selon que le pharmacien fasse appel à l'un ou à l'autre des deux canaux de distribution.
Aussi, parce que l'article 13 conduit à une situation de monopole des grossistes sur l'approvisionnement des médicaments prescrits remboursables, cet article est contraire au principe constitutionnel de liberté d'entreprendre et de liberté contractuelle et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
C. ― Concernant l'article 14 de la loi déférée :
L'adoption de l'article 14 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 par laquelle ont été déclarés contraires à la Constitution le 2° du paragraphe II de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi ainsi que, par application de sa...

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