Saisine du Conseil constitutionnel en date du 26 mai 2008 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2008-564 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0148 du 26 juin 2008
Record NumberJORFTEXT000019066267
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication26 juin 2008



LOI RELATIVE AUX ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS

Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de déférer à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative aux organismes génétiquement modifiés.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et les moyens suivants.

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I.-Sur la violation de la procédure législative

Les conditions dans lesquelles la loi relative aux organismes génétiquement modifiés a été adoptée portent atteinte aux principes fondamentaux de la procédure parlementaire.
A. ― Sur l'adoption d'une question préalable par l'Assemblée nationale :
Par un vote en deuxième lecture du 13 mai 2008, l'Assemblée nationale a adopté une question préalable sur le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés. Les députés ont ainsi adopté une motion de procédure, dont l'objet est de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer » selon la définition de l'article 91, alinéa 4, du règlement de l'Assemblée nationale. Selon ce même texte, L'adoption de l'une ou l'autre de ces propositions entraîne le rejet du texte à l'encontre duquel elle a été soulevée ».
Or, dans cette hypothèse, le règlement de l'Assemblée prévoit explicitement dans son article 84, alinéa 3, que Les propositions repoussées par l'Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an ». Le Gouvernement a pourtant convoqué une commission mixte paritaire, qui s'est réunie le 14 mai 2008, permettant par la suite le vote définitif du texte. Alors que l'Assemblée nationale avait rejeté par une question préalable la version du projet de loi votée par le Sénat, ce même texte a, dès le lendemain, repris le cours normal de la procédure parlementaire. Aucune modification formelle n'a été apportée : le texte identique à celui rejeté par l'Assemblée nationale a été soumis à la commission mixte paritaire.
Le projet de loi a donc été adopté en violation des articles 91-4 et 84-3 du règlement de l'Assemblée nationale, en ce que l'adoption d'une question préalable a entraîné le rejet du texte qui n'aurait pas dû être soumis avant un an à une nouvelle discussion.
Les règlements des assemblées n'ont certes pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, de sorte que leur méconnaissance ne saurait avoir directement pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution (CC, n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984). Le Conseil constitutionnel a cependant estimé, par la même décision, qu'une disposition réglementaire pouvait avoir valeur constitutionnelle si elle constituait le prolongement nécessaire d'une disposition de la Constitution ou qu'elle la reproduit.
En l'espèce, les articles précités du règlement peuvent être considérés comme le prolongement de l'article 34, alinéa 1, de la Constitution, qui dispose : La loi est votée par le Parlement. » D'ailleurs, Michel Debré, président du comité d'élaboration de la Constitution du 5 octobre 1958, indiquait lui-même que tout ce qui intéresse la procédure législative constitue des dispositions qui dépassent le caractère réglementaire au sens strict. Elles sont d'inspiration constitutionnelle, elles touchent au mécanisme des institutions. »
La violation de tels articles du règlement prive en effet les députés, représentants de la Nation, du sens de leur vote, qui est l'essence même de leur compétence. En poursuivant la procédure, le Gouvernement n'a pas respecté la volonté expresse de l'Assemblée nationale de décider qu'il n'y avait pas lieu à délibérer, ôtant ainsi tout effet utile à la procédure de la question préalable. Il s'agit purement et simplement d'une négation de la raison d'être du vote parlementaire.
D'autant que l'adoption de la question préalable ne s'est pas faite en vue de couper court à une éventuelle obstruction de l'opposition. Le Conseil constitutionnel admet en effet la poursuite de la procédure parlementaire lorsque l'adoption de la question préalable s'est faite selon des conditions qui faisaient clairement apparaître que son vote était souhaité non pas pour marquer une opposition de fond au texte, mais pour mettre fin au débat (...) en vue d'accélérer la procédure d'adoption de ce texte par le Parlement » (CC, n° 95-370 du 30 décembre 1995).
En l'espèce, l'opposition n'a pas abusé de son droit d'amendement tandis que l'initiative et l'adoption de la question préalable n'étaient pas souhaitées par le Gouvernement et la majorité dans une perspective de lutte contre l'obstruction parlementaire. De manière évidente, l'adoption de la question préalable témoigne ici d'une opposition de fond au projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés.
De plus, toujours en l'espèce, la violation des articles 91-4 et 84-3 du règlement de l'Assemblée nationale remet en cause le droit d'amendement que les députés tiennent de l'article 44 de la Constitution : Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement. » Certes, en adoptant la question préalable, les députés ont renoncé à exercer leur droit d'amendement, mais ce renoncement s'est fait au nom du rejet du texte.C'est la logique même de la procédure de la question préalable. Or, en continuant la procédure législative en dépit du vote d'une question préalable et du rejet du texte, la procédure suivie a empêché les députés d'exercer leur droit d'amendement. Puisque après la réunion de la commission mixte paritaire, Aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement » indique l'article 45 de la Constitution. Le non-respect des articles 91-4 et 84-3 du règlement de l'Assemblée nationale est donc indirectement constitutif d'une violation de l'article 44 de la Constitution.
Par conséquent, dans les conditions où elle est intervenue en l'espèce, l'adoption de la question préalable rend inconstitutionnelle la suite de la procédure suivie. La censure pour violation de la procédure parlementaire est donc encourue sur ce point.
B. ― Sur le détournement de la procédure prévue à l'article 45 de la Constitution :
L'article 45 de la Constitution prévoit la possibilité de réunir une commission mixte paritaire à la suite d'un désaccord entre les deux assemblées ». Le rôle de cette commission est de tenter d'élaborer un texte de compromis acceptable par les deux chambres. Or, le contexte procédural dans lequel est intervenue la convocation, par le Premier ministre, de la commission mixte paritaire, ne correspond pas aux conditions posées à l'article 45 de la Constitution.
Le vote d'une question préalable par l'Assemblée nationale n'a pas pour effet de créer un désaccord » entre les deux chambres relativement à un texte. Il s'agit au contraire, selon les termes du règlement de l'Assemblée, d'un rejet » du texte qui s'apparente à une décision de ne plus l'inscrire à son ordre du jour pendant une durée d'un an.
Par ailleurs, la Constitution prévoit que la Commission est chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion ». Or, en l'espèce, aucune disposition ne demeure en discussion, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un désaccord entre les deux chambres mais d'un rejet de l'ensemble du texte.
Enfin, l'article 45 de la Constitution prévoit que la commission mixte paritaire ne peut intervenir qu'après deux lectures » du texte par chacune des assemblées. En l'espèce, il n'y a pas eu deux lectures dans la mesure où l'adoption de la question préalable a eu pour effet d'interrompre la procédure avant la seconde lecture par l'Assemblée nationale.
En l'absence de texte adopté par l'Assemblée nationale, l'objet de la réunion d'une commission mixte paritaire était inexistant. Ainsi, la réunion de la commission mixte paritaire par le Premier ministre constitue un détournement de procédure qui contrevient à l'article 45 de la Constitution ainsi qu'au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.
II. ― Sur la violation de l'article 88-1 de la Constitution et de l'exigence constitutionnelle de transposition des directives communautaires
Les auteurs de la présente...

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