Avis du 17 décembre 2018 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes étrangères au sein des centres de rétention administrative

JurisdictionFrance
Record NumberJORFTEXT000038150442
Date de publication21 février 2019
Publication au Gazette officielJORF n°0044 du 21 février 2019
Enactment Date17 décembre 2018


Les personnes retenues dans les centres de rétention administrative (CRA) bénéficient du droit fondamental à la protection de la santé, consacré par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, qui implique, outre la sécurité sanitaire, un égal accès aux soins ainsi que leur continuité. Les soins doivent être prodigués aux étrangers dans le respect du code de la santé publique et de la déontologie médicale, dans l'intérêt du patient et le respect de sa dignité. Il convient, à cet égard, de veiller à ce que les considérations sécuritaires n'entravent pas le soin porté aux personnes et à ce que la lutte contre l'immigration irrégulière ne se fasse pas au détriment du droit à la protection de la santé.
La prise en charge sanitaire des personnes retenues est confiée aux unités médicales (UMCRA), présentes au sein de chaque centre de rétention administrative. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) les a systématiquement visitées lors des soixante visites de CRA qu'il a effectuées depuis 2008. Il a également procédé dans le cadre de la préparation de cet avis à trois vérifications sur place portant spécifiquement sur la prise en charge sanitaire des personnes retenues. Les constats opérés révèlent une grande hétérogénéité des pratiques au sein des centres de rétention. Des recommandations sont régulièrement adressées aux pouvoirs publics relatives à une atteinte ou un risque d'atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui sont enfermées.
Dans le contexte de l'extension de la durée maximale du placement en rétention administrative, qui est passée de sept jours lors sa création en 1981 (1) à quatre-vingt-dix jours à compter du 1er janvier 2019 (2), il est apparu nécessaire au CGLPL de revenir en détail sur les conditions de prise en charge sanitaire des personnes retenues et de rappeler ses recommandations en la matière.


1. Une réorganisation des unités médicales est nécessaire
L'encadrement juridique de l'organisation des UMCRA doit être actualisé


L'organisation des soins dans les CRA, les prestations sanitaires et les conditions techniques dans lesquelles elles doivent être assurées sont précisées dans une circulaire interministérielle du 7 décembre 1999 (3). Par ailleurs, les modalités de prise en charge sanitaire au sein des CRA relèvent de nombreux textes législatifs et règlementaires - dispersés dans les codes de la santé publique, de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et de l'action sociale et des familles - ainsi que de plusieurs circulaires et instructions, spécifiques ou non aux personnes retenues, qui ont évolué depuis vingt ans. Il en résulte que les professionnels du terrain ne connaissent pas toujours les textes applicables (4) et sont demandeurs d'une clarification sur les droits des patients retenus et obligations des soignants.
Il ressort, par ailleurs, des visites d'établissements et des correspondances adressées au CGLPL que l'absence de textes actualisés et diffusés entraine une hétérogénéité des pratiques professionnelles au sein des UMCRA, d'autant plus préoccupante que certaines sont susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes retenues.
Il revient aux autorités publiques d'accompagner le personnel médical et paramédical dans le contexte particulier de la rétention administrative, en lui fournissant des outils de référence et un cadre juridique clair et actualisé.
Afin de garantir les droits des personnes retenues, il est impératif que la circulaire du 7 décembre 1999 soit actualisée, comme le préconise le CGLPL depuis plusieurs années, pour tenir compte des nombreuses modifications législatives et réglementaires intervenues. Les professionnels doivent disposer d'un document juridique de référence exhaustif, clair et actualisé, assorti d'un guide méthodologique sur l'ensemble de la prise en charge sanitaire et sociale des personnes retenues.


Les missions des UMCRA doivent être étendues


L'allongement de la durée maximale du placement en rétention à quatre-vingt-dix jours impose de redéfinir les missions dévolues au personnel médical et paramédical intervenant au sein des UMCRA.
Il doit tout d'abord être rappelé que les personnes accueillies dans les CRA nécessitent une prise en charge particulière au regard de leur précarité administrative, sociale et médicale, de leur éventuel isolement linguistique, de la prévalence de certaines pathologies (5) et des troubles psychiques qui peuvent résulter de l'enfermement et de l'imminence d'un éloignement.
Actuellement les équipes ont pour mission d'effectuer les soins de base immédiats répondant aux symptômes présentés par les personnes retenues, de mettre en place un dispositif répondant aux urgences (la nuit, les week-ends et les jours fériés) et d'assurer la continuité des soins déjà engagés sur le territoire français.
Outre ces missions, qui doivent être maintenues, il est désormais indispensable d'élargir le champ de vision et d'intervention des UMCRA en leur permettant d'avoir une perspective alliant les nécessités de la santé publique et les obligations éthiques de tout médecin face à un patient en souffrance.
C'est ainsi qu'il apparaît en premier lieu nécessaire de mettre en place un dépistage de la tuberculose, pathologie contagieuse très fréquente au sein des populations de migrants, et qui nécessite des mesures de prévention tant pour les personnes retenues et leurs proches que pour le personnel et les intervenants. Plus généralement, en l'absence de diagnostic et d'examen de santé, le risque existe de développement d'une maladie infectieuse et/ou contagieuse pour la personne ainsi que le danger de transmission aux autres personnes présentes dans le centre (6).
Ensuite il faut prévoir la possibilité d'effectuer des examens complémentaires et d'envisager le recours à des spécialistes (par exemple pour les soins dentaires ou pour des examens d'imagerie), notamment si des symptômes présentés par des personnes retenues exigent une investigation ou une consultation spécialisée afin d'établir un diagnostic et éventuellement mettre en œuvre un traitement.
Par ailleurs, dans une optique de santé publique, il convient de proposer systématiquement un dépistage des maladies sexuellement transmissibles (hépatites B et C, VIH, syphilis), et de permettre aux personnes ainsi informées de prendre les mesures qu'appelle leur état de santé après la rétention. En complément, des actions de prévention et d'éducation thérapeutique peuvent utilement être proposées, en faisant intervenir, le cas échéant, des partenaires associatifs locaux.


Les financements et le pilotage des UMCRA doivent être renforcés


Pendant la durée de leur séjour en rétention, les étrangers sont soignés gratuitement. Pour remplir cette mission, les UMCRA doivent disposer de personnel de santé suffisant en effectif et en spécialités, être équipés de locaux et de moyens matériels adaptés aux soins dispensés. Le financement de ce dispositif relève du ministère de l'intérieur et fait l'objet de conventions (7) conclues entre les services des préfectures et les services hospitaliers locaux. Ces conventions définissent le temps de présence du personnel médical, infirmier et pharmacien ainsi que les coûts de fonctionnement des unités médicales en fonction de la taille de chaque centre (capacité inférieure à 50 places, de 50 à 100 places et de plus de 100 places) sans prévoir d'adaptation à l'évolution de la population retenue et à la durée de rétention. Or, les CRA sont désormais utilisés de manière plus intensive ; de 14 260 personnes retenues en 1999, leur nombre est passé à 44 086 en 2016 (8). En outre, le CGLPL constate régulièrement, lors des visites de centres, que les effectifs et le temps de présence réelle des médecins au sein de leur UMCRA respectent rarement la convention passée avec l'établissement hospitalier de proximité et ne respectent pas toujours les dispositions de la circulaire de 1999. Les moyens dont disposent les UMCRA se révèlent ainsi disparates selon les préfectures et les centres hospitaliers concernés.
Le financement et le pilotage des UMCRA par les agences régionales de santé expliquent pour partie l'hétérogénéité des pratiques au sein des unités médicales et conduisent à ce que les étrangers ne bénéficient pas d'une qualité de prise en charge sanitaire suffisante et égale selon le lieu où ils sont retenus.
Les conditions d'un financement approprié et pérenne des UMCRA doivent donc faire l'objet d'une réflexion conjointe des ministères de la santé et de l'intérieur en tenant compte de l'ensemble des charges (structures, personnels, moyens matériels et investissements). Dans la perspective d'une évolution de la prise en charge sanitaire en CRA, des dispositions devront notamment être prévues afin que les frais médicaux relatifs aux consultations spécialisées, hors cas d'urgences, soient pris en charge par l'Etat (9). En outre, le rôle des agences régionales de santé (ARS) doit être réaffirmé, afin de garantir une égale qualité de prise en charge sanitaire des personnes retenues. Elles doivent en particulier veiller à la manière dont les hôpitaux remplissent les obligations que leur impose l'article L. 6112-2 du code de la santé publique en matière de prévention et de soins aux personnes retenues.


2. L'accès aux soins des personnes retenues doit être garanti, dans le respect des règles déontologiques
L'accès aux soignants doit être facilité


A son arrivée en CRA, l'étranger « est informé dans une langue qu'il comprend et dans les meilleurs délais du fait qu'il bénéficie, dans le lieu de rétention, du droit de demander...

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