Avis du 25 janvier 2016 relatif à la situation des femmes privées de liberté

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0041 du 18 février 2016
Record NumberJORFTEXT000032070951
Date de publication18 février 2016
CourtCONTROLEUR GENERAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTE
Enactment Date25 janvier 2016


Depuis sa création, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), dans le cadre de ses missions, a eu à connaître de la situation de plus de 900 femmes privées de liberté. Leur situation particulière et les modalités de leur prise en charge justifient aujourd'hui la rédaction d'un avis spécifique.
Les femmes représentent 3,2 % de la population carcérale ; 5 à 6 % de femmes sont placées en rétention administrative. Les jeunes filles prises en charge dans les centres éducatifs fermés (CEF) constituent 6 % de l'ensemble des mineurs. En 2014, sur 81 209 patients admis en établissement de santé mentale sous le régime de soins psychiatriques sans consentement, 38,21 % étaient des femmes (1). Les femmes hospitalisées sous contrainte demeurent donc proportionnellement plus nombreuses que dans d'autres lieux de privation de liberté.
Les établissements de santé reçoivent indifféremment des patients hommes et femmes en raison de la mixité des soins ; en revanche, parmi les 188 établissements pénitentiaires, seuls 56 accueillent des femmes détenues, dont la plupart se trouvent dans la moitié nord de la France. Seuls trois des six établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) reçoivent des jeunes filles et neuf centres de rétention administrative (CRA) sur vingt-cinq accueillent des femmes. Enfin, un seul CEF est réservé à l'accueil des seules mineures, la majorité des autres CEF n'hébergeant que des jeunes hommes.
Il serait loisible de penser que ce faible nombre de femmes privées de liberté faciliterait la prise en charge et permettrait un strict respect des droits fondamentaux. Force est de constater que dans la réalité il n'en est rien et que les femmes ne bénéficient pas des mêmes droits que les hommes privés de liberté. Ainsi, les femmes souffrent davantage de la rupture du lien familial du fait du maillage territorial déséquilibré des établissements susceptibles de les accueillir. Par ailleurs, elles sont hébergées dans des locaux plus exigus et souvent mal aménagés. Leur accès aux activités est moins facile du fait de la non-mixité des activités et de l'enclavement des lieux réservés aux femmes.
Le principe d'égalité entre les hommes et les femmes doit s'appliquer dans l'intégralité de la société, celle du « dedans » comme celle du « dehors », et les personnes privées de liberté doivent également en bénéficier sans restriction. L'enfermement ne doit en aucun cas constituer un obstacle à son application. Les femmes et les hommes doivent être traités de manière égale au sein des lieux de privation de liberté, égalité qui ne doit cependant pas empêcher une prise en compte de certains besoins spécifiques aux femmes.
Le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, proclamé dans le préambule de la Constitution de 1946, en son article 3, « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » a connu des avancées successives. La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, dernière consécration législative de ce principe, a adopté une approche globale visant à combattre les inégalités entre hommes et femmes dans de nombreux domaines comme l'emploi, le partage des responsabilités parentales et la protection des femmes victimes de violences.
Ce principe de non-discrimination est également un principe fondateur du droit international. Il figure dans de nombreux textes internationaux, notamment la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes adoptée le 18 décembre 1979 par l'Assemblée générale des Nations Unies ; en 2010 l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté les Règles des Nations Unies concernant le traitement des femmes détenues et les mesures non privatives de liberté pour les femmes délinquantes - dites Règles de Bangkok.
Les situations très particulières des femmes détenues avec leurs enfants (2) et des personnes transsexuelles incarcérées (3) ne feront pas ici l'objet d'autres développements que ceux déjà évoqués dans les avis respectifs publiés au Journal officiel.
En application de l'article 10 de la loi du 30 octobre 2007 modifiée, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté émet les recommandations suivantes. Elles ont été préalablement communiquées au ministre de la justice, au ministre de l'intérieur et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.


1. Des femmes privées de liberté discriminées par la répartition géographique des établissements et exclues de certaines structures spécialisées


Le faible nombre de femmes présentes dans les lieux de privation de liberté peut parfois constituer, de facto, un obstacle à leur enfermement dans un lieu proche de leurs attaches familiales et au bénéfice d'une prise en charge adaptée au sein de structures particulières.


1.1. Un maillage territorial de nature à porter atteinte au maintien des liens familiaux


L'inégale répartition sur le territoire français des établissements pénitentiaires et des centres de rétention administrative porte atteinte au droit au maintien des liens familiaux des femmes enfermées dans ces lieux.
D'après les chiffres de l'administration pénitentiaire, au 1er septembre 2015, les femmes représentaient 3,2 % de la population carcérale.
Le territoire français comptait, au 1er septembre 2015, 188 établissements pénitentiaires, toutes catégories confondues (maisons d'arrêt, centres de détention, maisons centrales, centres pénitentiaires, établissements pour mineurs, etc.). Parmi ceux-ci, 56 accueillaient des femmes (4).
La France comptant seulement quarante-trois maisons d'arrêt ou centres pénitentiaires dotés d'un quartier « maison d'arrêt » hébergeant des femmes, chaque département ne dispose pas d'une structure carcérale recevant des femmes, comme cela est le cas pour les hommes.
S'agissant plus spécifiquement des établissements pour peines (5), en France métropolitaine, seul un nombre restreint peut accueillir des femmes : le centre de détention de Joux-la-ville, le centre de détention de Bapaume, le centre de détention de Roanne, le centre pénitentiaire de Marseille-les-Baumettes (6), le centre pénitentiaire sud-francilien de Réau et le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. Ne s'y ajoutent que deux établissements entièrement réservés à l'accueil de femmes détenues : la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis (7) et le centre pénitentiaire pour femmes (CPF) de Rennes. La majorité de femmes détenues sont donc incarcérées dans des quartiers « femmes » au sein d'établissements pénitentiaires hébergeant majoritairement des hommes.
Ces établissements pour peines sont inégalement répartis sur le territoire national, la plupart se situant dans une moitié nord de la France. En effet, au 1er septembre 2015, aucun établissement pour peines n'existe au sein des directions interrégionales des services pénitentiaires de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse (Marseille), d'Est-Strasbourg et de Toulouse.
Du fait du nombre réduit de maisons d'arrêt accueillant des femmes et du maillage territorial déséquilibré en matière d'établissements pour peines hébergeant des femmes, ces dernières sont souvent incarcérées dans des établissements éloignés de leurs proches.
Outre qu'elle porte atteinte à leur droit au maintien des liens familiaux, cette situation alimente la surpopulation carcérale générale que connaissent les maisons d'arrêt et les quartiers « maison d'arrêt », y compris ceux hébergeant des femmes. A titre d'exemple, durant la première moitié de l'année 2015 (8), le quartier des femmes de la maison d'arrêt de Nice a connu un taux d'occupation de 153 % en moyenne en raison du manque de places réservées aux femmes détenues au sein des établissements de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille. En janvier 2016, avec 110 femmes présentes, le taux d'occupation de la maison d'arrêt des femmes du centre pénitentiaire des Baumettes était de 164 % par rapport à la capacité théorique (67 places) et de 106 % par rapport à la capacité de couchage (104 lits). Hors quartiers « mineures » et « mère-enfant », le taux d'occupation culmine à 174 % pour les autres femmes détenues tandis qu'il est de 144 % à la maison d'arrêt des hommes au même moment. En effet, depuis la fermeture de la maison d'arrêt de Draguignan en 2010, seules la maison d'arrêt des femmes des Baumettes à Marseille et la maison d'arrêt de Nice accueillent des femmes. De surcroît, l'absence actuelle d'établissements pour peine accueillant des femmes au sein de cette même région (9) et plus généralement, leur faible nombre au niveau national ne font qu'accentuer cette surpopulation.
Le CGLPL réitère sa recommandation concernant l'ouverture d'un quartier « centre de détention » destiné aux femmes dans le sud de la France.
Seuls quelques CRA accueillent des femmes retenues. Leur droit au maintien des liens familiaux peut donc être mis à mal si leur domicile est éloigné du CRA dans lequel elles sont placées.
En effet, aucune disposition spécifique à l'accueil des femmes n'est prévue dans le cadre juridique des CRA. Seul l'article R. 553-3 (10) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) rappelle l'interdiction de la mixité au sein des chambres d'hébergement, hormis pour les familles.
Les visites de ces lieux sont l'occasion de constater que l'organisation diffère d'un CRA à l'autre. Dans certains établissements, une séparation stricte des hommes et des femmes est observée pour l'hébergement de nuit (les femmes, peu nombreuses, étant mêlées à la population masculine la journée) ; à l'inverse, lors de la visite du CRA de Lyon, les contrôleurs ont constaté que le secteur femmes ne pouvait pas être séparé de celui des hommes et qu'ainsi, les femmes étaient cantonnées dans leurs chambres fermées à clef la nuit, au sein de l'aile sud réservée aux femmes et aux familles. Toutefois, les ailes ne sont pas sectorisées et les personnes retenues peuvent par conséquent...

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