Avis Etat d'urgence sanitaire et Etat de droit

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0108 du 3 mai 2020
Date de publication03 mai 2020
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000041842574

(Assemblée plénière du 28 avril 2020 - Adoption à 43 voix " pour " et 3 abstentions)

1. Tous les aspects de la vie sociale, économique, institutionnelle, subissent les effets de la pandémie du covid-19. Un nouveau régime d'exception - l'état d'urgence sanitaire - conférant à l'Exécutif le pouvoir de limiter les libertés individuelles et collectives, a été institué par la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 du 23 mars 2020 (1).
La Commission nationale consultative de droits de l'homme a bien conscience que la pandémie par son ampleur, les angoisses justifiées qu'elle suscite, et les morts qu'elle provoque, peut impliquer que soient prises des mesures exceptionnelles susceptibles de peser à la fois sur la vie individuelle et collective, et l'équilibre des institutions.
2. Réservant à des études plus détaillées le contenu des dispositions adoptées par voie d'ordonnance, la CNCDH s'interroge sur la pertinence de la création d'un état d'urgence sanitaire au regard des textes préexistants ainsi que sur son impact sur le fonctionnement des institutions, la vie démocratique et le respect des libertés individuelles et collectives.
3. La CNCDH rappelle en préalable que si des mesures limitatives des droits et libertés peuvent être prises, compte tenu de situations exceptionnelles, c'est à la condition qu'elles respectent les principes de stricte nécessité, d'adaptation et de proportionnalité. De même, il est impératif que ces mesures respectent le principe de non-discrimination qui interdit notamment toute discrimination fondée sur le handicap, l'âge ou l'origine sociale. Dans l'application des mesures générales, une attention particulière doit être apportée aux besoins spécifiques des groupes vulnérables, comme les migrants, les mineurs non accompagnés et les personnes en situation d'extrême pauvreté, les chômeurs et les travailleurs précaires. En vertu de ces principes, la CNCDH exerce une vigilance (2) sur les mesures prises, en particulier sur leur durée d'application.
I. - La nécessité et la portée de l'état d'urgence sanitaire
4. La CNCDH relève en premier lieu que l'institution d'un nouveau régime d'exception n'allait pas de soi au regard des outils dont le Gouvernement disposait déjà pour gérer la crise sanitaire. Par sa dénomination d'" état d'urgence sanitaire ", la loi du 23 mars 2020 souligne sa parenté avec l'état d'urgence institué par la loi de 1955 (3) et que l'étude d'impact du projet de loi présente comme " l'état d'urgence de droit commun " (4). Mais la définition qui est donnée par la loi de ce nouveau régime d'exception ne permet pas de l'identifier clairement.
5. En effet, la mise en œuvre de l'état d'urgence sanitaire est autorisée en cas de " catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population " (5). En s'abstenant de définir la " catastrophe sanitaire ", la loi reste imprécise et ne permet pas de distinguer l'urgence sanitaire de l'urgence exigée pour la mise en oeuvre de la loi du 3 avril 1955 (6) ou des " menaces sanitaires " relevant du régime de police administrative spéciale défini par le code de la santé publique (article. L. 3131-1).
6. La CNCDH rappelle à cet égard qu'un état d'exception a pour objet même la dérogation au cadre juridique de l'Etat de droit. Sa mise en place exige un encadrement strict, en particulier quant au caractère exceptionnel des circonstances, à leur impact sur la vie de la Nation, ainsi qu'à son maintien.
7. La CNCDH ne peut que s'inquiéter de l'imprécision de la définition de l'état d'urgence sanitaire par la loi du 23 mars 2020, qui ouvre le risque d'y recourir dans n'importe quelle circonstance, et ce d'autant que le Parlement n'est appelé à intervenir pour le proroger qu'un mois après sa déclaration en conseil des ministres (7), comme l'a admis le Conseil d'Etat dans son avis du 18 mars 2020 sur le projet de loi (8), alors que ce délai est bien supérieur au délai de 12 jours prévu par la loi de 1955. (9)
8. La CNCDH rappelle par ailleurs que, dès lors que la situation sanitaire ne justifie plus la mise en œuvre de ce régime d'exception, le Gouvernement doit...

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