Avis relatif au racisme et aux discriminations dans le sport

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0273 du 25 novembre 2018
Date de publication25 novembre 2018
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000037642008

Assemblée plénière du 20 novembre 2018 - Adopté à l'unanimité
1. Le sport occupe une place conséquente dans la vie culturelle de la France. Le terme de " sport " fait non seulement référence à une multitude de pratiques sportives - les pratiques familiales, amateurs, semi-amateurs, professionnelles, associatives ou encore de formation des enseignants - mais également, à une multitude d'acteurs - joueurs, entraîneurs, publics et médias. Le sport se veut le domaine par excellence qui réunit des actrices et acteurs de tous âges, de tous horizons et de tous milieux, autour de valeurs humanistes - des valeurs qui résonnent avec celles de la démocratie, de la République française.
2. La France se positionne comme une " championne internationale " lorsqu'il s'agit d'organiser des événements sportifs (1). Cependant, le sport se caractérise par la tension paradoxale entre les valeurs qu'il entend transmettre et les préjugés qu'il contribue à véhiculer. Les pratiques sportives en elles-mêmes peuvent, même à corps défendant, alimenter voire légitimer des postures racistes ou discriminatoires (2). La culture sportive repose toujours sur la sélection, la compétition, la masculinité et surtout, sur un entre soi puissant. Le sport est un écosystème qui se suffit à lui-même, une sorte de cercle fermé qui entretient une relation distanciée avec la loi nationale. En ce sens, la manière dont les valeurs sont portées dans les pratiques sportives revêt une importance particulière. Des études fournies et variées, en nombre croissant, mettent en évidence que ce spectacle à échelle mondiale où sont héroïsés ses actrices et acteurs peut charrier le meilleur comme le pire. Le sport s'impose donc comme un terrain singulier et stratégique dans la lutte contre le racisme et les discriminations qui y sont liées, puisque l'utilisation du sport comme un outil de développement du pays est une pratique répandue mondialement.
3. Les pouvoirs publics, les associations de défense des droits de l'homme, tout comme les acteurs de la scène sportive conçoivent que cet écosystème particulier peut favoriser les actes ou les propos à caractère raciste ou discriminatoire. D'où l'éclosion, depuis des années déjà, d'engagements multiples et différenciés pour l'émergence d'un autre sport, plus inclusif dans les faits et non pas simplement dans les principes.
4. Convaincue du potentiel du sport pour porter les valeurs humanistes de la République et contribuer à une société pleinement démocratique, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), dans cet avis sur le racisme et les discriminations dans le sport, souhaite éclairer les divers acteurs impliqués dans le sport sur les mécanismes inhérents aux pratiques sportives contribuant à l'exclusion de divers groupes sociaux ou individus. La CNCDH entend également saluer l'investissement de toutes celles et ceux engagés pour un sport plus inclusif et l'incroyable corpus de travaux déjà produit par les institutions et les associations sur ces enjeux. Dans ce cadre, l'ambition de la CNCDH est de nourrir la réflexion et les débats publics autour de l'ambivalence des pratiques sportives, ainsi que de la responsabilité singulière des médias et de l'éducation à l'égard de ce champ social et culturel.
5. La CNCDH abordera d'abord le sport dans sa dimension d'écosystème qui laisse place à des discriminations (I) avant de souligner la nécessité de renforcer l'effectivité d'un sport inclusif centré sur le jeu (II).

I. - LE SPORT : UN ÉCOSYSTÈME QUI LAISSE PLACE À DES DISCRIMINATIONS

A. - La culture sportive : un équilibre précaire entre inclusion et exclusion

1. Les effets ambivalents des usages sociaux du sport
6. La culture sportive met en avant des valeurs morales et sociales à l'instar de la solidarité, de l'esprit d'équipe, du principe de fair-play et du dépassement de soi et des différences au service du jeu. Corrélativement, cette même culture alimente et entretient des amalgames entre performances sportives et vertus supposées d'un pays, d'un lieu, voire d'un système politique ou d'un gouvernement. Ainsi des valeurs censées transcender les différences des individus et des équipes - unir autour de principes communs - se substituent à des assignations identitaires ou territoriales. Les deux coupes du monde de football remportées par la France, en 1998 puis en 2018, ont donné lieu à des moments de célébration extraordinaires comparables à une communion nationale (3). L'athlète - dans la diversité d'origine affichée des équipes nationales - y a fait figure de modèle victorieux, honorant, selon la formule de Pierre de Courbertin " sa patrie, sa race, son drapeau " (4). Ce phénomène se reproduit à différentes échelles : internationale, nationale, régionale, urbaine, communale et même à l'échelle d'un groupe de personnes s'affrontant dans le cadre de pratiques sportives informelles. L'identité et la supposée qualité du groupe s'affirment alors à travers l'opposition à l'adversaire. Les dynamiques d'identification entre un " nous " et un " eux " parfaitement distincts s'opèrent et les vertus morales de la culture sportive, loin de les contrebalancer, s'en accommodent au nom de la victoire du groupe auquel chacun s'identifie. Cette mise en émotion identitaire du groupe s'enracine souvent dans des histoires locales et des réductions identitaires à la résidence objectivement vectrices d'exclusion, voire de discrimination. La fabrique d'inclusion des uns se fait alors en amont d'une fabrique d'exclusion des autres, créant une réelle tension entre les valeurs affirmées et la réalité des pratiques.
7. L'univers sportif est actuellement largement défini par un esprit de compétition qui privilégie les plus forts face aux plus faibles. Cette vision hiérarchique trouve très vite ses traductions sociales. Dans l'imaginaire collectif, très tôt, " apprendre à faire du sport, c'est apprendre que seuls les meilleurs jouent " (5). Le niveau de performance justifie, de fait, l'exclusion et renforce par-là les formes de discriminations sportives laissant place à des " traitements inégalitaires (qui) touchent principalement des personnes vulnérables " (6). Si la pratique sportive n'est pas synonyme de compétition, qu'il s'agisse de la représentation médiatique du sport ou des définitions élaborées dans des dictionnaires, (7) le sport y est fortement associé. La compétition et le dépassement de soi ne conviennent pourtant pas à tous et peuvent être vecteurs de discriminations - notamment pour les personnes qui ne peuvent ou ne veulent inscrire leurs pratiques dans cette conception.
8. Cette culture sportive particulièrement compétitive est aussi à l'origine de tensions entre le collectif et l'individu : en cas de problème, la pression peut s'avérer forte pour protéger l'équipe, sa discipline, la valeur de sa victoire, sa réputation, quitte à s'effacer en tant que personne et à minimiser ou dissimuler humiliations et/ ou discriminations subies.
9. Ces tensions se retrouvent de l'équipe à la fédération, du cours d'EPS à l'association sportive, du village ou quartier au pays voire au continent ou au monde, et structurent largement le rapport à l'autre, singulièrement marqué par des stéréotypes.
2. Des stéréotypes ancrés dans la culture sportive
10. Historiquement considéré comme une affaire d'hommes, le sport ne s'ouvre que très tardivement aux femmes et plus tardivement encore, à la notion d'égalité entre les sexes. Cette histoire pèse encore lourdement sur la culture sportive et se traduit par la prévalence de la sphère masculine et par des analogies entre la notion de masculinité et celles de puissance et de victoire. Ce " coefficient symbolique négatif " (8) se traduit concrètement par une culture masculiniste ou viriliste ainsi qu'un mépris assumé, voire revendiqué, vis-à-vis de tout ce qui s'apparente à une faiblesse, et par extension vis-à-vis de tout ce qui est assimilé à la faiblesse. Ce préjugé massif alimente une série de stéréotypes discriminatoires à l'encontre des femmes et de la féminité du corps, des homosexuels des deux sexes, ainsi que des hommes dont la virilité est mise en doute ou défiée.
11. Dans la pratique sportive, ces stéréotypes discriminatoires se traduisent par une formidable banalisation des insultes et des propos dévalorisants. De l'entraînement à la compétition, en passant par les pratiques informelles du sport, c'est un sexisme ordinaire qui s'exprime à travers des paroles déplacées, des quolibets et des insultes, ainsi que le placement des sportifs sur le terrain et leur participation ou non aux compétitions. Le sexisme s'exprime tout autant à travers le dénigrement physique, l'usage d'humour machiste et l'établissement de relations fondées sur un impératif de séduction. Les divers chants, remarques, insultes et comportements homophobes sont généralement perçus comme faisant partie intégrante de la culture sportive et s'expriment alors en toute impunité. Enfin, ces stéréotypes sont renforcés par les représentations construites autour de la pratique sportive avec, par exemple, l'usage d'un vocabulaire différent selon que l'on s'adresse à un homme ou une femme (9) qui alimente le machisme dans le sport. Supposé encourager au dépassement de soi, ce type de comportement éloigne simultanément du sport toutes celles et ceux LGBTI ou, de manière plus générale, toutes celles et ceux qui refusent de s'identifier à des pratiques d'exaltation d'un machisme brutal et exclusif.
12. Les médias sont partie prenante de cette culture stéréotypée du sport. Ils l'entretiennent en retour, par une moindre diffusion ou une diffusion à des horaires de faible audience des compétitions féminines et ce, malgré des audiences réelles et les masses financières loin d'être négligeables qu'elles représentent. Il en va de même en termes d'affichage : peu de sportives font les couvertures de magazines ou de journaux dédiés. Lorsque tel est le cas, c'est bien souvent pour évoquer, voire mettre en question, leur féminité...

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