Avis relatif à l'expertise génétique aux fins de détermination des traits morphologiques apparents

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0084 du 9 avril 2016
Record NumberJORFTEXT000032377272
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication09 avril 2016


(Assemblée plénière du 17 mars 2016 - adopté à l'unanimité assortie de 3 abstentions)


1. La découverte, le « séquençage » et l'exploitation de l'ADN (acide désoxyribonucléique) ont constitué, en moins d'un demi-siècle, une révolution scientifique et médicale. De manière plus discrète mais également efficace, le recours à l'ADN a profondément modifié les techniques de recherche et d'identification des auteurs d'infractions. Le recours aux données génétiques a été juridiquement encadré par le législateur, principalement aux articles 16-10 et 16-11 du code civil (1), ainsi que dans le code de procédure pénale (2). Cet encadrement législatif s'inscrit dans le prolongement d'une recommandation du Conseil de l'Europe sur l'utilisation de l'ADN dans le cadre du système de justice pénale du 10 février 1992 (3).
2. C'est dans ce cadre juridique que la Cour de cassation s'est prononcée en 2014 sur la question de savoir si le juge d'instruction pouvait ordonner une expertise aux seules fins de révéler des « caractères morphologiques apparents de l'auteur inconnu d'un crime à partir de l'ADN que celui-ci avait laissé sur les lieux » (4). La chambre criminelle de la Cour de cassation, à l'encontre de l'avis de l'avocat général, a admis une telle possibilité, approuvant l'arrêt des juges du fond qui avaient considéré que les règles posées par les articles 16-10 et 16-11 du code civil ne trouvaient pas à s'appliquer dans ce type d'hypothèse (5).
3. Le ministère de la justice a, quant à lui, mené des travaux pour apporter des réponses opérationnelles et cohérentes aux juges d'instruction et aux procureurs. C'est dans ce contexte que la garde des sceaux, ministre de la justice, a par courrier en date du 26 novembre 2015 saisi la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) en vue d'obtenir l'avis de la Commission sur les modalités concrètes de mise en œuvre de ces prérogatives et sur les recommandations qu'elle pourrait effectuer en la matière.


I. - Aspects techniques


4. L'ADN regroupe l'ensemble de l'information génétique d'un être vivant. Il est présent, de manière identique, dans toutes les cellules d'un individu. Il est composé de séquences de nucléotides qui, portion après portion, constituent les différents gènes. L'ensemble des gènes d'un individu constitue un génotype.
5. Si certaines portions de l'ADN permettent de fabriquer des molécules (les allèles, ou ADN dit « codant »), d'autres, en revanche, n'ont pas cette fonction (les locus, ou ADN dit « non codant »). Sans préjudice des débats scientifiques autour de la fonction de ces portions non codantes, celles-ci permettent de distinguer avec un degré de certitude très élevé un individu parmi d'autres. En effet, le séquençage de nucléotides y est extrêmement variable et donc quasiment unique pour chaque individu. En examinant plusieurs de ces locus, on peut donc identifier un individu précis (le nombre de 13 locus étant généralement indiqué pour une identification).
6. Le séquençage et les recherches d'identification de gènes sont devenus une pratique d'investigation courante dans de nombreux protocoles thérapeutiques ou de recherche scientifique. Il s'agit alors de rechercher des anomalies génétiques pouvant entraîner des pathologies (en particulier maladies rares) ou des particularités physiques spécifiques (albinisme par exemple). Les développements des biotechnologies vont permettre des thérapies génétiques, comme celle mise en œuvre pour traiter avec succès les « enfants bulles ». De tels examens et de tels traitements impliquent un consentement explicite et écrit du patient et l'avis d'un comité de protection des personnes s'il s'agit d'un protocole de recherche.
7. Dans le champ concerné par la présente demande d'avis, l'ADN peut être utilisé à deux finalités distinctes.
D'une part, l'identification d'une personne par ses « empreintes génétiques ». A l'instar des empreintes digitales, l'enjeu n'est alors pas de savoir si une personne a telle ou telle caractéristique, mais d'identifier une « empreinte » ou un « profil génétique », non signifiant en tant que tel mais permettant, seul ou associé à d'autres éléments, d'identifier un individu avec une quasi-certitude. L'empreinte génétique est créée à partir des portions d'ADN non codantes propres à chaque individu.
D'autre part, l'examen du profil génétique de la personne, donc de l'ADN codant, permettant notamment de définir ses caractéristiques physiques (couleur de peau, des yeux, des cheveux, écartement des yeux…). Bien entendu, le séquençage complet peut aussi permettre d'identifier d'autres anomalies que les caractéristiques physiques apparentes. Tel est notamment le cas lorsque le séquençage de l'ADN est utilisé, par exemple, aux fins d'identifier si une personne est porteuse du ou des gènes à l'origine d'une particularité génétique.
8. En d'autres termes, et pour simplifier des éléments scientifiques éminemment complexes, le premier usage, sans rien dire des caractéristiques d'un individu, va permettre avec un degré de probabilité extrêmement élevé d'associer un matériel biologique à une personne, et donc de l'identifier avec une quasi-certitude ou d'établir un lien de parenté entre deux individus ; tandis que le second usage va permettre de déterminer des caractéristiques d'un individu (ex. : couleurs des yeux, des cheveux, anomalies génétiques, etc.) sans pour autant permettre son identification directe.


II. - Utilisation de l'ADN à des fins d'identification et la détermination des caractères morphologiques apparents : cadre juridique


9. Le cadre juridique de l'utilisation de l'ADN est fixé par les articles 16-10 et suivants du code civil, et plus précisément par les articles 16-10 et 16-11 relatifs respectivement à l'examen des caractéristiques génétiques et à l'identification à partir d'empreintes génétiques. Ces dispositions sont issues des lois du 29 juillet 1994, n° 94-654 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à...

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