Avis sur les discriminations fondées sur la précarité sociale

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0235 du 9 octobre 2013
Date de publication09 octobre 2013
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000028048736

(Assemblée plénière du 26 septembre 2013)

1. A la suite de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, la CNCDH a décidé de se saisir de la question des discriminations fondées sur la précarité sociale (1), afin d'émettre des recommandations visant à une reconnaissance de ce type de discriminations (2) et d'assurer l'effectivité des droits pour tous.
2. La Commission nationale consultative des droits de l'homme, attachée au respect des droits économiques, sociaux et culturels, considère qu'il est primordial de lutter contre toutes les formes de discriminations. Dans un ouvrage publié conjointement avec le mouvement ATD Quart Monde en 1993, la CNCDH soulignait déjà que " certaines personnes sont victimes d'une discrimination caractérisée quand tout à la fois la responsabilité de leur situation leur est imputée, leur passé de misère et d'exclusion leur est reproché, leur parole est discréditée, leurs entreprises ou leurs comportements sont dénigrés du seul fait qu'ils apparaissent comme des individus sans statut reconnu ni représentation agréée. (...) Cette discrimination sociale et politique génère chez ceux qui la subissent des sentiments de honte, de culpabilité et de souffrance de ne pas être considérés à égalité avec les autres êtres humains de leur propre société. Elle cultive chez ceux qui la reproduisent, même de façon passive, une banalisation du mépris ou de l'indifférence à l'encontre des plus pauvres (3) ".
3. La CNCDH rappelle que la pauvreté n'est pas seulement de nature socio-économique, mais qu'elle est aussi liée à la rupture du lien social. Elle s'illustre ainsi notamment par le manque de relations, de participations ou encore de responsabilités réelles dans la vie publique, ainsi que par la négation des références culturelles et des capacités des personnes qui y sont confrontées. En cela, elle constitue une atteinte à la dignité humaine et peut être la source d'inégalités de traitement.
4. Pour venir à bout de ce fléau, il ne suffirait donc pas de réparer un manque qu'il s'agirait de combler. La démarche à adopter doit, au contraire, prendre en compte la pauvreté en termes de violation des droits de l'homme et donc s'attacher à garantir l'effectivité des droits des individus. En ce sens, la reconnaissance de la discrimination en raison de la précarité sociale aurait pour objet de renforcer l'effectivité des droits économiques, sociaux et culturels, civils et politiques garants du respect de l'égale dignité de tous les êtres humains.
5. Les remarques conjointes de la CNCDH et d'ATD Quart Monde ont d'autant moins perdu de leur actualité que, depuis 2008, la France est entrée dans une crise économique sans précédent, se caractérisant notamment par un fort taux de perte d'emplois et par un accroissement de la pauvreté. Les chiffres permettent de mesurer la gravité du problème : selon le rapport de l'ONPES 2011-2012 (4), 7,5 % de la population vit avec un salaire moyen en dessous de 795 euros mensuels, soit 4,5 millions de personnes. La pauvreté n'est pas seulement monétaire ; elle est aussi fonction des conditions de vie. Le rapport établit ainsi qu'un ménage sur cinq est touché par la pauvreté. Les femmes seules avec enfants, qui ne représentent que 5 % de la population, sont deux fois plus nombreuses au sein des populations pauvres. Le taux de pauvreté est supérieur à la moyenne nationale concernant les personnes jeunes (18 % des moins de 18 ans, et 25 % des 18-24 ans), les femmes et les plus de 75 ans (12,5 % dont 70 % de femmes). Si l'emploi est pensé comme le meilleur rempart contre la pauvreté, le taux de pauvreté en France n'en touche pas moins de 6,7 % de la population active.
6. Dans ce contexte, la question de l'effectivité des droits des personnes en situation de précarité se pose avec une acuité particulière, car les discriminations dont peuvent faire l'objet ces personnes contribuent à aggraver leur situation et à accroître l'exclusion sociale. L'image négative et culpabilisante dont pâtissent les personnes en situation de précarité pèse en effet dans les démarches qu'elles entreprennent pour l'accès à la santé, au logement, à l'emploi, à la formation, à la justice, à l'éducation, à la vie familiale, à l'exercice de la citoyenneté ou encore dans leur relation aux services publics. Ainsi, comme l'indiquent les Principes directeurs sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme adoptés en septembre 2012 par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies et confirmés par l'Assemblée générale (5), la discrimination peut être à la fois une cause et une conséquence de la pauvreté. Le phénomène est d'autant plus nocif que les individus en situation de pauvreté se trouveraient alors au croisement de plusieurs discriminations qui ne se contenteraient pas de s'accumuler mais s'aggraveraient mutuellement, constituant ainsi un " enchaînement multidimensionnel des violations (6) ".

A. ― Constats concernant les discriminations sociales

7. Le traitement défavorable et inégalitaire, que subissent parfois les personnes pauvres, trouve son terreau dans la perception négative qui pèse sur elles et que mettent en lumière les enquêtes qualitatives (7). Ainsi ces personnes sont-elles parfois considérées comme responsables de leur situation, et la distinction est fréquemment faite entre " bons " et " mauvais pauvres ", ceux qui feraient des efforts pour " s'en sortir ", et ceux qui se contenteraient de toucher les prestations sociales. Plus généralement, les discours publics instrumentalisant la fraude sociale ont des effets néfastes sur la perception des personnes pauvres. Cette perception peut contribuer au fait que ces personnes renoncent à exercer leurs droits. Ainsi, 50 % des personnes qui auraient droit à un RSA (8) et 29 % des personnes qui auraient droit à la couverture maladie universelle ne les demandent pas (9). Les associations de terrain font ce même constat de non-recours, avec une double difficulté pour les personnes en situation de précarité, d'une part, à solliciter l'application de leurs droits et, d'autre part, à mobiliser les voies de recours face aux dénis de droit (10).
8. Parmi les cas de discrimination exercée à l'encontre des personnes en situation de précarité, la question de l'accès aux soins est sans doute la plus facile à identifier. L'évaluation de la loi CMU, menée en juillet 2009 par le Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, a permis de souligner les obstacles rencontrés par les personnes bénéficiant de la CMU ou de l'AME dans l'accès aux soins...

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