Avis sur la laïcité

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0235 du 9 octobre 2013
Record NumberJORFTEXT000028048756
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication09 octobre 2013



(Assemblée plénière du 26 septembre 2013)


1. Par lettre du 6 juin 2013, le président de l'Observatoire de la laïcité a sollicité un avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur « les voies et moyens d'une bonne application du principe de laïcité, respectueuse des libertés fondamentales et du principe de non-discrimination ».
2. La CNCDH a été conduite à se prononcer à plusieurs reprises, et depuis de nombreuses années, sur des questions relatives à l'application du principe de laïcité (1), et ce en vertu des droits garantis par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l'homme et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), notamment l'égalité et le principe de non-discrimination, la liberté de pensée, de conscience et de religion et la liberté d'expression. Au fil de ses avis et études, la CNCDH a acquis une légitimité et une expertise forte sur ces questions.
3. La CNCDH a toujours rappelé son attachement au principe de laïcité. Consacrée depuis plus d'un siècle, la laïcité constitue un principe fondateur de la République française, conciliant la liberté de conscience, le pluralisme religieux et la neutralité de l'Etat. Les débats qui ont suivi la publication, en mars 2013, de deux arrêts de la Cour de cassation (2) en matière de manifestation de l'appartenance religieuse sur le lieu de travail, ont mis au jour une méconnaissance de la laïcité, tantôt réduite à un simple principe de tolérance, tantôt déformée jusqu'à réclamer un rejet de tout signe religieux dans l'espace public. Or, non seulement la République « assure la liberté de conscience », mais la République respectant « toutes les croyances » (art. 1er de la Constitution) « garantit le libre exercice des cultes » (art. 1er de la loi de 1905). La séparation des Eglises et de l'Etat ne doit donc pas être comprise comme visant à l'éviction hors de l'espace public de toute manifestation d'une conviction religieuse (3).
4. En France, la laïcité obéit à un régime juridique précis, issu pour l'essentiel de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, dont les articles 1er et 2 disposent que : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. » « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. » Le principe de laïcité a acquis une valeur constitutionnelle avec la Constitution de 1946 (4), réaffirmée dans l'article 1er de la Constitution de 1958.
5. La France est également liée par un ensemble de textes internationaux dans lesquels la notion de laïcité n'apparaît pas. C'est sous l'angle de la liberté de conscience et du pluralisme religieux que sont appréhendés, au plan international, les rapports entre Eglises et Etats par des textes qui garantissent l'absence de discrimination pour raisons religieuses et le respect de la liberté religieuse, mais admettent des restrictions légitimes à la manifestation de cette liberté (5). Ainsi, la Convention européenne des droits de l'homme affirme, dans son article 9, le droit de toute personne à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Le texte précise que ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, et que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction s'exerce tant individuellement que collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. Il est toutefois possible, selon ce même article, de limiter la liberté de manifester sa religion à la triple condition que cette ingérence soit prévue par la loi, qu'elle poursuive un but légitime et qu'elle soit nécessaire dans une société démocratique (sécurité publique, protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, protection des droits et libertés d'autrui).
6. Le régime juridique de la laïcité est à la fois épars, car dispersé dans de nombreuses sources juridiques (6), et divers, car la laïcité ne s'applique pas de la même manière sur l'ensemble des territoires de la République (7). Dans ce corpus juridique éclaté, le rôle du juge a été fondamental : c'est principalement de la jurisprudence que se sont dégagées les règles juridiques applicables, à partir des dispositions constitutionnelles, législatives ou réglementaires, mais aussi à partir des conventions et traités internationaux. Le développement d'une abondante jurisprudence (Conseil constitutionnel, Conseil d'Etat, Cour de cassation, Cour européenne des droits de l'homme [CEDH]) montre combien l'application du principe de laïcité touche tous les domaines de la vie sociale et combien les réponses doivent s'adapter à des réalités diverses. Cet éclatement du corpus juridique n'impose pas nécessairement l'adoption d'une loi nouvelle. Il est bien connu qu'il est sage de ne pas demander à la loi ce qu'elle ne peut produire.
7. Sur le fondement des textes internationaux, des dispositions législatives internes et des jurisprudences qui en découlent, le principe de laïcité comporte une double exigence : la neutralité de l'Etat, d'une part, la protection de la liberté de conscience, d'autre part. Ces deux exigences ne sont nullement incompatibles, mais bien complémentaires. Toutefois les débats et polémiques qui se font jour en France témoignent de l'existence d'interrogations et d'incompréhensions, parfois de tensions, quant à l'application du principe de laïcité dans certaines sphères des activités économiques et sociales.
8. Pour autant, le dispositif juridique actuel permet de manière pragmatique de concilier respect des droits individuels et respect des droits collectifs. Si des interrogations subsistent, si des crispations peuvent apparaître, elles résultent pour une large part d'une méconnaissance du droit. Mais elles témoignent également des difficultés qui peuvent exister quand il s'agit de résoudre des problèmes très divers, très concrets et souvent complexes, problèmes qui appellent des réponses pragmatiques et spécifiques. Si, en matière de liberté de conscience et de neutralité religieuse, le droit applicable peut se révéler complexe et difficile à appréhender pour la plupart des citoyens, si les conciliations peuvent être difficiles, il est toutefois illusoire de penser que la loi pourra permettre de répondre aux questions particulières qui peuvent se poser. En la matière, il est sans doute préférable d'user de la voie conventionnelle (8) plutôt que de la voie législative pour résoudre d'éventuels conflits. Il convient donc de montrer que le droit positif actuel permet de répondre aux situations particulières qui peuvent se poser, soit dans le service public (I), soit dans les entreprises privées (II), et que la voie conventionnelle, bien plus que législative, permet d'apporter les réponses pertinentes là où une question spécifique se pose.


I. ― Laïcité et service public


9. Le principe de laïcité impose une stricte neutralité dans les services publics. Si des difficultés peuvent apparaître, elles proviennent moins du principe de laïcité lui-même que de l'identification du service public. Les prises de positions des uns et des autres témoignent souvent d'une méconnaissance des éléments qui définissent le service public. Sur ce point, la jurisprudence du Conseil d'Etat est pourtant d'une grande clarté, quand bien même elle ne peut embrasser tous les cas particuliers, ce que la loi ne pourrait pas faire non plus. C'est pourquoi plus que de résoudre un problème de laïcité il s'agit d'assurer une vulgarisation de cette jurisprudence. Il convient donc de distinguer les obligations qu'impose le principe de laïcité au sein du service public, du fait de sa nécessaire neutralité (A), du problème de l'identification du service public (B).


A. ― Neutralité du service public


10. La neutralité de l'Etat est la première composante de la laïcité (la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte). Cette neutralité a deux implications :
― l'égalité (art. 2 de la Constitution) : la laïcité impose d'assurer « l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Les usagers doivent être traités de la même manière quelles que soient leurs convictions ;
― l'administration et les services publics doivent donner toutes les garanties de la neutralité, mais doivent aussi en présenter les apparences pour que l'usager ne puisse douter de cette neutralité. En conséquence, une obligation de neutralité particulièrement stricte s'impose à tout agent du service public (9).
Toute manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service est donc interdite et le port de signes religieux l'est aussi, même lorsque les agents ne sont pas en contact avec le public. Ces règles sont communément admises et il existe très peu de contentieux en la matière.
11. En revanche, les obligations auxquelles peuvent être soumis les usagers des services publics font parfois l'objet de discussions. Il convient de rappeler ici que, conformément aux normes constitutionnelles, internationales et législatives, les usagers du service public ne sont pas soumis au principe de neutralité. Les restrictions qui peuvent s'imposer à eux ne doivent être...

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