Avis sur les mutilations sexuelles féminines

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0287 du 11 décembre 2013
Record NumberJORFTEXT000028313269
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication11 décembre 2013



(Assemblée plénière du 28 novembre 2013)


1. Au titre de la protection des droits fondamentaux des femmes et des fillettes, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a été amenée à deux reprises à se prononcer sur la question des mutilations sexuelles féminines (MSF). Dans un avis fondateur en 1988, elle interpellait les pouvoirs publics sur la nécessité de s'engager activement dans la lutte contre ces pratiques et la prise en charge des victimes (1). En 2004, la CNCDH a conduit des travaux plus approfondis sur les mutilations sexuelles féminines en France et dans les pays d'origine des populations immigrées. Elle a formulé un certain nombre de recommandations pour améliorer la protection et la prise en charge des fillettes et des femmes (2).
2. Les mutilations sexuelles féminines constituent l'une des violations les plus barbares des droits fondamentaux des femmes aujourd'hui ; elles sont reconnues comme une atteinte grave à l'intégrité de la personne, l'expression d'une domination physique et psychologique exercée sur les jeunes filles et sur les femmes. Elles portent atteinte au respect de la dignité humaine consacré dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Bien qu'illégales dans la plupart des Etats, les mutilations sexuelles féminines sont toujours largement pratiquées dans une trentaine de pays, où elles ne reculent que très lentement. Chaque année, trois millions de fillettes et de jeunes femmes subissent une mutilation sexuelle, soit une fillette ou une femme excisée dans le monde toutes les 15 secondes (3). En France, en 2007, le nombre de femmes et de fillettes mutilées ou menacées de l'être était estimé entre 42 000 et 61 000, soit une hypothèse moyenne de 53 000 femmes (4).
3. Le discours de lutte contre les mutilations sexuelles féminines s'est longtemps fondé sur des problématiques de santé publique, mais les mutilations sexuelles féminines ne peuvent être réduites à ces problématiques médicales. Les mutilations sexuelles féminines doivent avant tout être combattues sur le terrain des droits de la personne humaine. Il convient alors de préférer l'expression « mutilations sexuelles féminines » à l'expression « mutilations génitales » ou au terme d'« excision ». Le mot « mutilation » met l'accent sur la gravité et le caractère destructeur de l'acte. Le terme « excision » renvoie au type de mutilation le plus fréquent, mais il ne rend pas compte de toutes les formes que peut prendre la pratique. L'expression « mutilations génitales » renvoie à l'aspect biologique de la pratique et à ses conséquences médicales, alors que l'expression « mutilations sexuelles féminines » renforce le fait que la pratique est une violation des droits fondamentaux des fillettes et des femmes.
4. Au-delà des questions de cultures et de traditions, les mutilations sexuelles féminines constituent de graves atteintes à l'intégrité physique de la personne. Nul droit à la différence, nul respect d'une identité culturelle ne saurait légitimer des atteintes à l'intégrité de la personne, qui sont des traitements criminels. La prise en compte, légitime, du respect des cultures ne saurait induire un relativisme qui empêcherait d'appréhender les mutilations sexuelles féminines en termes de violation des droits fondamentaux des femmes.
5. Près de dix ans après la publication de son dernier avis, la CNCDH a pu constater que des progrès avaient été réalisés en France dans la lutte contre les mutilations sexuelles féminines. Pour autant, de nombreuses jeunes filles, dont la grande majorité réside habituellement sur le territoire national, sont toujours en situation de danger. C'est pourquoi il paraît nécessaire d'établir un nouvel état des lieux des mutilations sexuelles féminines en France (I) et d'analyser les politiques de lutte et de prévention, mais aussi de protection des victimes, leur mise en œuvre et leur effectivité (II).


I. - Les mutilations sexuelles féminines en France : état des lieux
Définition et typologie


6. Les mutilations sexuelles féminines désignent toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre mutilation de ces organes pratiquée pour des raisons culturelles ou autres et non à des fins thérapeutiques (5).
7. L'OMS a établi une classification plus détaillée des différents types de mutilations :
― type I : ablation partielle ou totale du clitoris : clitoridectomie ;
― type II : ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres : excision ;
― type III : rétrécissement de l'orifice vaginal avec recouvrement par l'ablation et l'accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans excision du clitoris : infibulation ;
― type IV : autres procédés de mutilation : scarification, étirement...
8. En France, les femmes victimes de mutilations sexuelles ont pour la grande majorité d'entre elles (80 %) subi une excision (mutilation de type II). On rencontre également une part non négligeable (15 %) de femmes victimes d'infibulation (mutilation de type III).


Contexte des pratiques et conséquences


9. Les mutilations sexuelles féminines sont généralement pratiquées à domicile, par une exciseuse, sans respect des règles d'hygiène ni anesthésie. Jusqu'au début des années 1990, les excisions étaient le plus souvent pratiquées en France. Les procès médiatisés d'exciseuses de la fin des années 1980 ont contribué à faire fortement diminuer la pratique des mutilations sexuelles féminines sur le territoire français, mais l'on ne peut totalement exclure que des exciseuses continuent à pratiquer en France. C'est désormais à l'occasion d'un voyage dans le pays d'origine de leurs parents (6) que les fillettes, françaises ou résidant habituellement en France, sont victimes de mutilation, parfois à l'insu de leurs parents. A ce titre, la CNCDH rappelle que le juge des enfants a, depuis la loi du 9 juillet 2010 (7), la possibilité de faire inscrire une mineure au fichier des personnes recherchées, pour une durée de deux ans, afin de prévenir sa sortie du territoire en cas de risques de mutilations sexuelles à l'étranger.
10. La pratique des mutilations sexuelles féminines est l'expression de stéréotypes liés au sexe profondément enracinés et inhérents aux communautés patriarcales. Cette pratique fait partie des moyens par lesquels le pouvoir patriarcal s'impose aux femmes. Dans la plupart des sociétés, les mutilations sexuelles féminines sont considérées comme une tradition culturelle, elles sont un marquage corporel de l'appartenance à la communauté :
― elles sont souvent considérées comme faisant partie de la nécessaire éducation d'une jeune fille et de sa préparation à l'âge adulte et au mariage ;
― elles sont souvent motivées par des traditions relatives à ce qui est considéré comme un comportement sexuel approprié. Les mutilations sexuelles féminines réduiraient la libido féminine, préserveraient virginité prénuptiale et fidélité conjugale. Elles sont associées à des idéaux culturels de féminité et de modestie, selon lesquels les jeunes filles sont « propres » et « belles » après l'ablation de parties de leur anatomie considérées comme « masculines » ou « malpropres » ;
― bien qu'aucun texte religieux ne prescrive cette intervention (8), les populations pensent souvent qu'elle a un fondement religieux.
11. Les conséquences pour la santé des femmes, liées au type de mutilations pratiquées, sont de plusieurs ordres et peuvent intervenir à différents moments de la vie. Les conséquences médicales à court terme sont la douleur et l'état de choc consécutif à l'événement. Mais il y a également des risques de décès par hémorragie, d'infections locales, avec parfois un risque accru de contamination par des virus (notamment le VIH), de lésion traumatique des organes de voisinage (vessie, anus), le risque de rétention urinaire. Sur le long terme, les conséquences médicales peuvent être les infections pelviennes, la stérilité, les difficultés menstruelles et les problèmes pendant la grossesse et l'accouchement (déchirures périnéales plus fréquentes et souffrances fœtales), les fistules vésico-vaginales ou recto-vaginales entraînant des problèmes d'incontinence ou une...

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