Avis sur le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif » tel qu'adopté par le Conseil des ministres le 21 février 2018 - adoption à l'unanimité

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0105 du 6 mai 2018
Record NumberJORFTEXT000036877217
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication06 mai 2018

" Comme les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, celles qu'on peut éluder affaiblissent la législation. "
Montesquieu
1. Par le présent avis sur le projet de loi " pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif ", la CNCDH souhaite alerter le Gouvernement sur un certain nombre de dispositions du projet de loi gravement attentatoires aux droits fondamentaux qu'elle a pour mission de protéger et promouvoir (1). A titre liminaire, elle tient à faire remarquer que ce n'est pas une " crise migratoire " à laquelle la France doit faire face, mais à l'incapacité des pouvoirs publics à répondre à la réalité des enjeux de l'accueil et de l'intégration des personnes étrangères. La CNCDH rappelle qu'objectivement les flux migratoires sur le territoire français restent très relatifs et mesurés (2) et ne peut dès lors que déplorer l'instrumentalisation anxiogène de ces questions à des fins politiques (3). Une nouvelle fois, la CNCDH regrette une approche morcelée (4), technique et à court terme de la politique publique d'asile et d'immigration qui interdit une véritable réflexion et un débat de fond sur les réponses à apporter alors que l'élaboration d'une telle politique, qui prenne acte de la réalité et de la pérennité du fait migratoire comme de ses enjeux, notamment géopolitiques, dans une perspective mondiale, est un véritable défi à relever.
2. Si elle se félicite comme il se doit d'avoir été saisie par le ministre de l'Intérieur, bien que tardivement au regard de l'importance des enjeux, aux fins de rendre un avis sur le projet de loi, la CNCDH relève qu'au-delà de l'avis donné par le Conseil d'Etat lui-même non exempt de certaines critiques (5), ce projet nourrit de tumultueux débats parlementaires. Il a suscité, en outre, de multiples réactions de la part de personnalités et d'associations de défense des droits de l'homme (6).
3. En premier lieu, la CNCDH regrette que le projet de loi n'ait pas mis en place une nouvelle stratégie publique fondée sur " l'exacte mesure des défis à relever et sur des choix structurants orientant les services publics vers un exercice plus efficace de leur mission ", comme l'a souligné le Conseil d'Etat dans son avis du 15 février 2018 (7). Ainsi, 18 lois ont été adoptées depuis 1980 (8) et cette inflation législative est source d'une complexité croissante qui rend le droit illisible, confus et inefficient.
4. La CNCDH rappelle l'exigence démocratique de garantir la qualité de la loi. Or, les maux de ce projet de loi sont notamment liés à la faiblesse de l'étude d'impact caractérisée par l'absence d'un diagnostic complet et exhaustif de la situation des demandeurs d'asile et des étrangers en France (9) et par l'absence de prise en compte de l'échec des politiques la régissant. Comme l'a souligné le Conseil d'Etat, " s'emparer d'un sujet aussi complexe à d'aussi brefs intervalles rend la tâche des services chargés de leur exécution plus difficile et diminue sensiblement la lisibilité du dispositif ". Ainsi, la CNCDH regrette que, loin de remédier aux principales difficultés de la législation actuelle, le projet de loi ne comporte aucune stratégie d'ensemble caractérisant une véritable politique qui prenne acte du contexte dans lequel elle s'insère. La CNCDH s'inquiète en outre de ce qu'aucun engagement ne soit pris en matière de moyens budgétaires et humains.
5. La CNCDH tient également à rappeler la situation des territoires d'Outre-mer qui font face à des problématiques spécifiques en matière d'asile et d'immigration et dans lesquels le respect des droits fondamentaux est d'autant moins assuré que les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur des enjeux locaux. A titre d'exemple, pour les territoires de Mayotte et de Guyane, l'insuffisant maillage des services publics, les fragiles infrastructures et moyens de communication ainsi que les difficultés d'accès à la justice peinent à faire face à l'enjeu que représentent l'accueil des personnes étrangères, le traitement de leur situation et le nombre variable des arrivées (10). C'est pourquoi, la CNCDH renouvelle sa recommandation visant à un changement profond de la politique migratoire mise en œuvre dans les territoires ultra-marins et encourage le Gouvernement à promouvoir une nouvelle dynamique prenant en considération ce contexte particulier (11). Elle recommande également de multiplier les efforts de rapprochement diplomatique avec les pays limitrophes afin de construire une réponse concertée dans un cadre régional, seule voie permettant, à terme, de réguler les mobilités tout en respectant les droits des personnes migrantes.
6. L'absence de mise en perspective de la politique migratoire dans un contexte mondial et européen est également particulièrement regrettable. Ainsi, au-delà des recommandations qu'elle peut formuler sur un certain nombre de dispositions du projet de loi affectant les droits et libertés des étrangers, la CNCDH est préoccupée par les silences du texte sur des questions essentielles de la politique d'asile et d'immigration relevant aujourd'hui de l'Union européenne. A cet égard, la CNCDH se doit d'abord de rappeler que la politique nationale d'asile et d'immigration comme la politique européenne ne sauraient ignorer les objectifs mondiaux énoncés dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 19 septembre 2016 à l'unanimité des Etats Membres (12), renforçant et améliorant les mécanismes de protection des migrants dont la mise en œuvre doit être assurée par deux nouveaux pactes internationaux en cours d'élaboration, l'un sur les migrations et l'autre sur les réfugiés, dont l'adoption est prévue en 2018.
7. Enfin, la CNCDH souhaite saluer particulièrement l'engagement et l'investissement des agents de l'Etat, des associations, des bénévoles, des avocats et autres défenseurs des droits de l'homme, qui s'efforcent de rendre effectifs les droits en matière d'asile et de séjour des étrangers. La CNCDH rappelle que le respect des droits fondamentaux ne saurait être ressenti comme une contrainte imposée par des conventions internationales, mais qu'il est au contraire, les raisons d'être et de vivre de la République française.
8. La CNCDH entend attirer l'attention du Gouvernement d'une part sur la régression de l'effectivité du droit d'asile (I) et d'autre part sur l'altération des droits des étrangers (II).

I. - Une régression de l'effectivité du droit d'asile

9. La CNCDH s'inquiète d'une complexification croissante du droit d'asile qui conduit à multiplier les obstacles à un accès effectif à ce droit. Elle rappelle que la dernière réforme en la matière date de moins de trois ans et que le projet de loi dont elle est saisie a été déposé avant qu'un véritable bilan n'en soit dressé (13). Elle déplore par ailleurs que, malgré les discours affichés, le projet de loi actuel comporte des dispositions parmi les plus restrictives et dissuasives de ces dernières décennies. Certaines mesures, qu'il convient de saluer, comme l'extension du droit au séjour pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et du statut d'apatride ou la réunification familiale, sont mises en avant, mais elles ne peuvent compenser les atteintes portées au droit d'asile et notamment aux droits de la majorité des demandeurs d'asile (14).
10. La CNCDH se doit d'abord de rappeler qu'au-delà de la protection internationale que la Convention de Genève sur les réfugiés du 28 juillet 1951 offre à ces derniers (15), la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a consacré le " droit d'asile " comme un " droit fondamental " en l'amarrant à cette Convention et au traité instituant la Communauté européenne (article 18). Internationale donc, la protection de ce droit est également nationale, dès lors que, se fondant sur le 4e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui reconnaît un " droit d'asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ", le Conseil constitutionnel a lui aussi consacré le droit d'asile comme un " droit fondamental " et un " principe à valeur constitutionnelle " (16). La CNCDH rappelle que l'exigence constitutionnelle d'effectivité du droit fondamental d'asile ne permet pas d'en réduire la portée (17). Cette spécificité du droit d'asile devrait exclure une approche purement quantitative et économique des politiques d'asile mettant en exergue une relative hausse du nombre de demandeurs en jouant sur les peurs (18) et l'accroissement des coûts. En ce sens, laisser penser que la célérité, maître mot du projet de loi, est la seule manière de remédier aux maux actuels en protégeant mieux les demandeurs d'asile est un leurre. Les réponses censées être apportées par le projet de loi sont en réalité inadaptées en ce qu'elles portent atteinte à l'objectif de protection des demandeurs d'asile (A). En outre, si certaines difficultés ont été identifiées, loin d'être réglées, elles sont même aggravées (B).

A. - Des réponses inadaptées à l'objectif de protection des demandeurs d'asile

11. Le projet de loi fixe comme objectif " prioritaire " " la réduction des délais de la procédure d'asile en dotant les acteurs de l'asile de nouveaux outils qui permettront d'atteindre une durée moyenne de six mois d'instruction des dossiers, recours juridictionnels compris ".
12. La CNCDH note qu'elle n'est pas opposée par principe à la réduction des délais de procédure dans la mesure où une procédure rapide peut bénéficier en premier lieu aux demandeurs d'asile. En revanche, la réduction des délais de procédure ne saurait dispenser du respect des garanties procédurales. Il convient de rappeler que l'article 31.2 de la directive " Procédures " (19) consacre le principe du délai raisonnable de la procédure d'asile en posant que les Etats membres veillent à ce que la procédure d'examen soit menée à terme dans les meilleurs délais, sans préjudice d'un examen approprié et exhaustif. Certes, aux termes de l'article 31-3, les...

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