Avis sur la révision des condamnations pénales en cas d'erreur judiciaire (Assemblée plénière ― 13 février 2014)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0044 du 21 février 2014
Date de publication21 février 2014
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000028626643



1. « Une erreur judiciaire est une force en marche : des hommes de conscience sont conquis, sont hantés, se dévouent de plus en plus obstinément, risquent leur fortune et leur vie, jusqu'à ce que justice soit faite. » Cet hommage aux indignés de l'injustice que Zola exprime dans sa Lettre à la jeunesse en 1897 prouve que la lutte contre l'erreur judiciaire est l'un des grands combats pour le respect des droits de l'homme.
2. L'acte de juger, étant une œuvre humaine, est, par essence, faillible. Il peut ainsi se révéler qu'une décision définitive a été rendue à la suite d'une erreur de fait, conséquence, par exemple, d'un faux témoignage, d'une méprise ou plus simplement d'un concours malheureux de circonstances (1). L'image d'un innocent expiant un crime qu'il n'a pas commis est ce qu'évoque traditionnellement l'erreur judiciaire (2), dont la procédure de révision reste le mode privilégié de correction.
3. Certains Etats, comme l'Allemagne, considèrent le triomphe de la vérité comme constituant le but principal de la révision et admettent ce recours exceptionnel, qu'il soit à l'avantage ou au détriment du condamné, et qu'il porte sur une erreur de fait ou une erreur de droit (3). En revanche, dans les Etats où règne la crainte que ne soit portée une atteinte grave à l'autorité de la chose jugée, comme c'est le cas dans certains Etats des Etats-Unis, la révision n'est pas autorisée. Seule la grâce permet de réparer les conséquences d'une erreur judiciaire (4).
4. Pour sa part, le législateur français a opté pour une solution médiane. La chose jugée, dont l'article 6 du code de procédure pénale (CPP) fait l'une des causes d'extinction de l'action publique, est la situation qui se réalise lorsque, toutes les voies de recours ayant été épuisées ou les délais pour les exercer écoulés, une décision juridictionnelle est devenue définitive. Cette décision bénéficie alors de la présomption légale prévue par l'article 1350 (4°) du code civil (« res judicata... »), dont il résulte qu'elle est couverte du manteau de la vérité judiciaire. L'autorité de la chose jugée, socialement indispensable pour éviter que les procès ne s'éternisent, n'en est pas moins entachée d'un « vice congénital » : au nom de la présomption de vérité, elle fait triompher la valeur de la sécurité sur celle de la justice (5). Il est donc logique qu'en cas d'erreur judiciaire ayant entraîné la condamnation d'un innocent, ladite présomption soit écartée, au nom de la sauvegarde de la justice.
5. Pour autant, Henri Angevin a raison de relever qu'entre « les deux impératifs que constituent le respect de l'autorité de la chose jugée et la nécessité de réparer l'erreur judiciaire, la marge de manœuvre des législateurs est étroite. S'il est indispensable qu'une soupape de sûreté soit prévue pour permettre de réexaminer une décision répressive définitive lorsqu'il existe sinon une certitude, du moins de suffisantes présomptions qu'elle a été prononcée à la suite d'une erreur de fait, l'exercice de ce recours exceptionnel doit, sous peine de ruiner le principe de l'autorité de la chose jugée, être subordonné à des conditions strictement déterminées » (6).
6. Ainsi, pour corriger et réparer les erreurs judiciaires, la loi française connaît une voie de recours extraordinaire dont les conditions d'ouverture sont draconiennes (7). La procédure de révision est codifiée aux articles 622 et suivants du CPP. Cette matière connaît, au moins en substance, une réelle stabilité juridique, les réformes intervenant de manière très ponctuelle depuis la promulgation du code d'instruction criminelle (8). Et même si cette procédure est régulièrement évoquée dans les médias à propos d'affaires célèbres, elle demeure « la grande oubliée » de la doctrine et se voit assez peu commentée par les praticiens du droit (9).
7. Il convient néanmoins de relever qu'une loi n° 89-431 du 23 juin 1989 « relative à la révision des condamnations pénales » a introduit dans le code d'importantes modifications, qui concernent principalement :
― l'assouplissement des conditions d'exercice du recours en révision par l'élargissement du quatrième cas d'ouverture, en substituant à l'exigence du fait nouveau ou de la pièce inconnue « de nature à établir l'innocence du condamné » celle, plus souple, de « fait nouveau » ou « d'élément inconnu de la juridiction au jour du procès de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné » ;
― la « judiciarisation », en substituant au filtre du garde des sceaux une commission composée de magistrats de la Cour de cassation ayant pour mission d'instruire les demandes et de saisir la cour de révision de celles qui lui paraissent pouvoir être admises ;
― le caractère contradictoire des débats menés devant les commission et cour de révision ;
― la motivation des décisions rendues par ces deux formations.
8. Une loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 a en outre facilité la suspension de l'exécution de la peine en permettant qu'elle soit assortie des obligations afférentes à une libération conditionnelle (article 624 du CPP), avant qu'une récente loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ne crée un « filtre du filtre » (10) en permettant au président de la commission de rejeter par « ordonnance motivée » toute demande en révision « manifestement irrecevable » (article 623, dernier alinéa, du CPP).
9. Si ces dernières évolutions dénotent une recherche d'équilibre entre la nécessaire garantie des droits fondamentaux du demandeur en révision et l'exigence d'efficacité de cette procédure, il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre d'améliorations peuvent encore être réalisées. Une mission d'information sur la révision des condamnations pénales a été créée dans ce sens le 24 juillet 2013 par le bureau de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Les rapporteurs, MM. les députés Alain Tourret et Georges Fenech, ont, dans le cadre de leurs travaux, notamment procédé à l'audition de la présidente de la CNCDH (11), avant de déposer leur rapport en décembre 2013 (12). Une proposition de loi a ensuite été finalisée (13) et son examen dans l'hémicycle est annoncé pour le 27 février 2014. A cette occasion, la CNCDH entend formuler plusieurs recommandations destinées à garantir au demandeur en révision « des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » (14).
I. ― Propositions tendant à garantir une meilleure lisibilité et accessibilité des règles du code de procédure pénale relatives à la procédure de révision


A. ― Simplifier la définition des cas d'ouverture à révision


10. A ce jour, il existe quatre cas d'ouverture à révision définis à l'article 622 du CPP au bénéfice d'une personne définitivement condamnée pour un crime ou un délit. Les trois premiers sont dits déterminés, car ils visent trois hypothèses spécifiques : l'inexistence d'un homicide (15), les condamnations inconciliables (16) et le faux témoignage (17). Le dernier cas d'ouverture est quant à lui indéterminé, dès lors que la révision peut être demandée dans l'hypothèse suivante : « Après une condamnation, vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné. » En pratique, depuis la réforme de 1989, c'est sur lui que se fonde le plus grand nombre des recours introduits devant la commission de révision (18).
11. La simple lecture des dispositions de l'article 622 montre que les quatre hypothèses font toutes intervenir la survenance d'un nouvel élément, qu'il soit purement factuel ou ait une connotation juridique, depuis la condamnation (19). En conséquence, le quatrième cas d'ouverture englobant les trois premiers, la CNCDH recommande, dans un souci de simplification, de supprimer les trois premiers cas pour ne maintenir que le dernier. A la rigueur, autre option possible, les trois premiers cas d'ouverture deviendraient les trois derniers en tant qu'illustration de la notion de fait nouveau ou d'élément inconnu de la juridiction de condamnation au jour du procès (la production de pièces attestant que la victime d'un meurtre est vivante, l'inconciliabilité d'une seconde condamnation avec la première, objet de la demande de révision, ou encore la condamnation pour faux témoignage d'un témoin à charge...). Néanmoins, la suppression pure et simple des actuels 1°, 2° et 3° de l'article 622 du CPP aurait pour avantage de simplifier considérablement la rédaction du texte et d'en atténuer le caractère dérogatoire. Les magistrats seraient ainsi symboliquement invités à interpréter la recevabilité et le bien-fondé des demandes de révision de manière moins stricte (20), voire moins restrictive, et à initier une pratique « plus ouverte » de cette procédure.
12. L'examen de la jurisprudence montre que la chambre criminelle ne distingue pas toujours nettement « l'élément inconnu » du « fait nouveau » (21). La doctrine a de son côté tendance à fondre la notion d'« élément inconnu » dans celle de « fait nouveau » (22). La CNCDH craint que ces incertitudes ne puissent être à l'origine d'une délimitation floue variant au gré des espèces, voire d'une restriction du champ d'application de l'article 622 (4°) du CPP. De manière à y remédier, si l'on accepte l'idée que l'ignorance de « l'élément » entendu au sens large peut tenir soit à son inexistence au jour du procès (découverte ultérieure de la présence d'un suspect sur les lieux du crime, survenance ultérieure d'une preuve scientifique nouvelle, aveux ultérieurs d'une personne étrangère au premier procès...), soit à la méconnaissance de son existence à cette même date (découverte, après le procès, d'une pièce à décharge auparavant dissimulée...), force est de conclure que la notion d' « élément inconnu », par sa généralité même, d'une part, englobe souvent celle de « fait nouveau » (23), d'autre part, a pour conséquence d'assouplir les conditions d'admission de la révision. La CNCDH propose donc que, dans sa nouvelle rédaction...

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