Observations du Gouvernement en réponse aux saisines du Conseil constitutionnel en date des 3 et 7 décembre 1998 par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°300 du 27 décembre 1998
Record NumberJORFTEXT000000393485
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication27 décembre 1998

LOI DE FINANCEMENT DE LA SECURITE SOCIALE POUR 1999

La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, adoptée le 3 décembre 1998, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés ainsi que par plus de soixante sénateurs. Huit séries de dispositions de la loi sont plus particulièrement contestées, par des moyens qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I. - Sur la suppression de la déductibilité des dépenses de recherche de l'assiette de la contribution de l'industrie pharmaceutique (art. 10)

A. - L'article 10 de la loi déférée tend à corriger les dispositions juridiquement fragiles de l'article 12 de l'ordonnance no 96-51 du 24 janvier 1996.

1. Cet article avait instauré trois prélèvements à la charge de l'industrie pharmaceutique, qui ont été recouvrés en août 1996. A l'occasion d'un recours contentieux dirigé contre l'un de ces prélèvements, il est apparu qu'il s'exposait à un risque sérieux d'annulation pour méconnaissance du droit communautaire. En effet, le mécanisme de ce prélèvement prévoyait d'en minorer l'assiette du fait des seules dépenses de recherche effectuées en France. Le critère ainsi retenu défavorisait les filiales de groupes étrangers établies en France, pour lesquelles la recherche est effectuée à l'étranger, et qui se trouvaient, par conséquent, exclues du bénéfice de la minoration.

Il a donc paru nécessaire de corriger ce dispositif en supprimant cette minoration du fait des dépenses de recherche, sans attendre une censure contentieuse, et en en modifiant corrélativement le taux.

2. Pour contester cet article, les auteurs des saisines font valoir plusieurs moyens.

Ils en critiquent d'abord le caractère rétroactif. Ils soutiennent qu'il méconnaît les exigences constitutionnelles relatives aux validations législatives et à la rétroactivité des lois fiscales. Les requérants jugent cet article contraire à des principes de sécurité juridique, de confiance légitime et d'annualité qui auraient, selon eux, valeur constitutionnelle. Ils considèrent que cette rétroactivité méconnaît, également, le principe d'égalité.

Les auteurs de la saisine estiment, par ailleurs, que la disposition qu'ils critiquent est entachée d'« incompétence négative ».

B. - Le Gouvernement considère, pour sa part, que ces critiques ne sont pas fondées.

1. S'agissant du caractère rétroactif de ce dispositif, l'argumentation soumise au Conseil constitutionnel appelle trois séries d'observations.

a) Il convient d'abord de souligner que les requérants se méprennent sur la portée exacte de cette disposition.

L'article 10 de la loi déférée n'a, en aucune manière, le caractère d'une mesure de validation. Il n'a pas pour objet de mettre un acte administratif à l'abri d'une censure contentieuse en lui donnant la base légale qui lui ferait défaut. Il vise, au contraire, à corriger le dispositif initialement adopté, précisément en supprimant l'illégalité dont il s'avère qu'il était entaché.

Il apparaît en effet, notamment à la lumière des conclusions prononcées par l'avocat général, le 1er décembre dernier, devant la Cour de justice des Communautés européennes, que l'issue de ce contentieux risque, selon toute probabilité, d'être défavorable à la thèse de la conformité au droit communautaire de l'assiette du prélèvement institué en 1996. Ce magistrat a, en effet, estimé que le fait de subordonner la déduction des dépenses de recherche à la condition que celles-ci aient été effectuées en France contrevient, non seulement aux dispositions des articles 52 et 58 du traité de Rome relatifs à la liberté d'établissement, mais encore à celles de l'article 92 concernant les aides d'Etat.

Au vu de la réponse que la CJCE fournira à la question préjudicielle que le Conseil d'Etat lui avait soumise par sa décision société Baxter et autres du 28 mars 1997, ce dernier ne pourra qu'annuler en totalité les dispositions contestées devant lui.

Cette annulation priverait ainsi de base légale les prélèvements opérés en 1996, dès lors que le mécanisme litigieux de minoration de l'assiette est évidemment indivisible des autres éléments du dispositif.

La Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés serait alors contrainte de restituer aux entreprises concernées les sommes en cause, dans le courant de l'exercice 1999. C'est la perspective de voir les finances de la sécurité sociale amputées du montant correspondant, soit 1,2 milliard de francs, qui a conduit le Gouvernement à proposer au Parlement d'abroger les dispositions litigieuses sans attendre qu'elles soient annulées.

En effet, une annulation survenant en cours d'année se traduirait immédiatement par le décaissement des sommes correspondantes, tandis qu'il serait pratiquement impossible d'y substituer, dans le même temps, une mesure permettant de remédier au déséquilibre ainsi créé : l'instauration, sur des bases entièrement nouvelles par rapport à 1996, d'une imposition exceptionnelle, nécessite à la fois des études économiques et des contacts avec les représentants du secteur concerné, qu'il est impossible de mener à bien dans un laps de temps si court. En outre, une telle mesure, qui pourrait trouver place dans une loi de financement de la sécurité sociale, interviendrait trop tard dans l'année pour qu'un nouveau prélèvement puisse être effectif au cours de l'exercice 1999. Il y aurait ainsi un impact sur les comptes de la sécurité sociale de 1999 et, en tout état de cause, un coût important de trésorerie avant l'entrée en vigueur d'une telle mesure.

C'est pourquoi il a été jugé préférable de faire adopter par le Parlement, sans plus attendre, la mesure contestée, laquelle ne fait que mettre en oeuvre l'objectif d'équilibre financier de la sécurité sociale auquel est reconnu un caractère constitutionnel (no 97-393 DC du 18 décembre 1997). Elle le fait, en outre, en s'efforçant d'affecter le moins possible la situation des entreprises concernées.

Se contentant d'anticiper sur la constatation d'une illégalité, en la faisant d'emblée disparaître de l'ordonnancement juridique et en affectant celui-ci dans la seule mesure strictement nécessaire à cet effet, l'article 10 ne peut donc, sans contresens, être qualifié de mesure de validation.

Au demeurant, il aurait été parfaitement vain de proposer au Parlement une validation de l'article 12 de l'ordonnance de 1996, dès lors que l'illégalité en cause réside dans une méconnaissance du droit communautaire : il résulte, en effet, de l'article 55 de la Constitution que la loi nationale est inapte à faire échec aux engagements internationaux, ce que le juge de la légalité a déjà eu l'occasion d'opposer à une loi de validation (CE 5 mai 1995, ministre de l'équipement c./ SARL Der).

Dans ces conditions, l'argumentation que les saisissants tirent de l'encadrement constitutionnel des lois de validation est inopérante. En tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus de l'objet de cette mesure, au regard de l'équilibre financier de la sécurité sociale, que, si la condition d'intérêt général propre aux lois de validation était requise, elle serait assurément remplie.

b) On observera ensuite que les autres moyens invoqués pour contester la rétroactivité de cette mesure se heurtent tous à la jurisprudence constitutionnelle.

En premier lieu, c'est à tort que les requérants, soulignant le fait que le Conseil d'Etat n'a pas définitivement statué sur le recours contre la disposition, antérieurement en vigueur, de l'ordonnance du 24 janvier 1996, mettent en cause le caractère préventif de cette mesure.

En effet, et à supposer même qu'il puisse être utilement contesté pour critiquer une mesure comme celle-ci, il est clair que le caractère préventif d'une intervention rétroactive du législateur n'est pas de nature à en affecter la conformité à la Constitution (no 94-357 DC du 25 janvier 1995 ; no 95-364 DC du 8 février 1995). En pareil cas, en effet, ce caractère est précisément de nature à éviter l'écueil d'une atteinte aux droits qui pourraient avoir été reconnus par une décision de justice.

En deuxième lieu, cette intervention rétroactive du législateur ne saurait se voir utilement opposer un principe de sécurité juridique, auquel serait reconnu une valeur constitutionnelle, à partir des principes de sûreté et de garantie des droits énoncés par les articles 2 et 16 de la Déclaration de 1789. En effet, et comme a pu le relever un commentateur de la décision no 97-391 DC du 7 novembre 1997 qui écartait des griefs analogues, « la sécurité juridique n'est pas une norme constitutionnelle » (J.E. Schoettl, AJDA 1997 p. 971).

Ce principe de sécurité juridique ne saurait davantage se déduire, comme le suggère l'argumentation des députés saisissants, du caractère annuel des lois de financement de la sécurité sociale énoncé par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. En cette matière, comme dans celle des lois de finances, ce caractère annuel n'a pas, par lui-même, pour objet, ni pour effet, d'interdire au législateur de modifier, au besoin rétroactivement, l'assiette d'une contribution, alors même que l'exercice en cause serait clos.

Sans doute est-il exact qu'il s'agit ici d'une contribution qui a déjà été payée par les entreprises assujetties. Mais les ajustements auxquels donnera lieu le dispositif adopté ne se heurtent à aucun obstacle juridique ni pratique : l'éventualité d'avoir, en 1999, à verser un complément ou, au contraire, à bénéficier d'un remboursement au titre d'un exercice clos en 1996, est exactement similaire à celle à laquelle peut avoir à faire face une entreprise qui fait l'objet d'une procédure de redressement ou qui, au contraire, se voit reconnaître le bénéfice d'un dégrèvement à la suite d'une réclamation.

Contrairement, en effet, à ce qui a été soutenu, les ajustements qu'entraînera l'application de l'article 10 - dont il faut souligner qu'il ne jouera, par construction, qu'à la marge - n'affecteront nullement les comptes...

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