Observations du Gouvernement sur la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0284 du 7 décembre 2013
Record NumberJORFTEXT000028279565
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication07 décembre 2013



Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante sénateurs, d'un recours dirigé contre la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I. ― Sur l'article 1er
A. ― L'article 1er de la loi déférée reconnaît aux associations de lutte contre la corruption déclarées depuis au moins cinq ans et ayant fait l'objet d'un agrément la possibilité d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne des infractions limitativement énumérées entrant dans le champ de la corruption et de la fraude électorale.
Les requérants soutiennent que la possibilité ainsi donnée à une association de se constituer partie civile méconnaîtrait le droit au respect à la vie privée et le principe de la présomption d'innocence.
B. ― Ces griefs ne pourront qu'être écartés.
1. Sur la méconnaissance du droit au respect de la vie privée.
Les requérants considèrent qu'en donnant à des associations qui ne présenteraient aucune garantie de probité la possibilité de déclencher l'action publique, la loi porterait atteinte au droit au respect à la vie privée.
Une telle critique n'est pas fondée.
La loi a déjà largement ouvert la faculté pour des associations régulièrement déclarées de pouvoir exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne des infractions qui portent atteinte aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre. Les articles 2-1 à 2-22 du code de procédure pénale comme un certain nombre de dispositions spécifiques (comme les articles L. 421-2 du code de la consommation et L. 142-2 du code de l'environnement) prévoient cette faculté pour des associations dans de nombreux domaines (lutte contre le racisme, lutte contre les violences sexuelles et les violences intrafamiliales, lutte contre les discriminations, lutte contre la violence routière, protection de la nature, défense des intérêts des consommateurs, défense de la langue française, etc.).
Il convient également de relever que la Cour de cassation, dans un arrêt du 9 novembre 2010, a admis, sur le fondement de l'article 2 du code de procédure pénale, la recevabilité de la constitution de partie civile d'une association ayant pour objet la prévention et la lutte contre la corruption contre des faits de recel et de blanchiment en France de biens financés par des détournements de fonds publics.
La loi permet aux associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile sans que l'action ait été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée et sans devoir justifier de l'accord d'une victime pour tenir compte du fait que, dans la plupart des cas, les infractions d'atteintes à la probité sont des infractions sans victime directe.
Mais le législateur a prévu que seules les associations déclarées depuis au moins cinq ans et agréées dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat pourraient se constituer partie civile.
Une telle procédure d'agrément est déjà prévue pour les associations de défense de la langue française (art. 2-14 du code de procédure pénale et décret n° 95-240 du 3 mars 1995 pris pour l'application de la loi n° 94-655 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française), les associations de défense des consommateurs (art. L. 411-1 et R. 411-1 et suivants du code de la consommation), les associations de protection de l'environnement (art. L. 621-1 et R. 141-2 du code de l'environnement) ou les associations ayant pour but l'étude et la protection archéologique (art. 2-21 du code de procédure pénale et R. 141-1 et suivants du code du patrimoine).
Cet agrément sera délivré au vu de l'activité de l'association sur au moins cinq ans. Cette procédure permettra ainsi de s'assurer qu'elle mène une action effective dans le domaine de la lutte contre la corruption et que sa gestion est désintéressée. Elle est donc de nature à garantir la probité de l'association répondant ainsi à l'inquiétude formulée par les auteurs de la saisine.
2. Sur le respect de la présomption d'innocence.
Les requérants estiment qu'en omettant de prévoir les garanties de procédure nécessaires pour les individus mis en cause, la loi porte atteinte à la présomption d'innocence.
Cette critique n'est pas non plus fondée.
Comme il a déjà été indiqué, la loi prévoit une procédure d'agrément de nature à empêcher le dépôt de plaintes abusives.
Elle ne modifie, par ailleurs, aucune des garanties du code de procédure pénale qui assurent le respect de la présomption d'innocence conformément à l'article préliminaire de ce code.
Dans ces conditions, les griefs dirigés contre l'article 1er de la loi déférée ne pourront qu'être écartés.
II. ― Sur l'article 3
A. ― L'article 3 de la loi déférée complète les dispositions de l'article 131-38 du code pénal afin de permettre de prononcer à l'encontre des personnes morales des peines d'amende d'un montant égal au dixième du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits pour les crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect. Lorsqu'il s'agit d'un crime pour lequel aucune peine d'amende n'est prévue à l'encontre des personnes physiques, ce montant pourra être porté à 20 % du chiffre d'affaires moyen annuel.
Les auteurs de la saisine estiment que cet article méconnaît le principe de nécessité des peines et le principe d'égalité devant la loi pénale. Ils estiment également que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence et l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi en ne définissant pas de manière suffisamment précise les peines encourues par les personnes morales.
B. ― Aucun de ces griefs n'est toutefois fondé.
1. Sur les principes de nécessité et d'individualisation des peines.
Le législateur a prévu d'augmenter le quantum des peines d'amende pouvant être prononcées à l'encontre des personnes morales afin d'assurer la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière, objet de la loi déférée.
Une personne morale condamnée pénalement pour une infraction encourt une peine d'amende dont le montant maximal est fixé, en application de l'article 131-38 du code pénal, au quintuple de l'amende prévue pour les personnes physiques.
Le plafonnement de ce montant peut rendre la peine dérisoire au regard de la capacité financière de la personne morale condamnée ou de l'avantage qu'elle a pu tirer de l'infraction.
C'est donc afin d'assurer le respect des principes de proportionnalité et d'individualisation des peines que le législateur a souhaité que puissent être prononcées à l'encontre des personnes morales des amendes dont le montant maximal sera fixé par référence au chiffre d'affaires de l'entreprise.
Ce mode de calcul ne sera applicable que pour les crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement quand ils ont procuré à la personne morale condamnée un intérêt direct ou indirect.
Ce nouveau mode de calcul de l'amende encourue par les personnes morales n'est donc pas disproportionné au regard des infractions en cause. Il sera possible au juge de déterminer le montant de l'amende en tenant compte des ressources de l'auteur de l'infraction, conformément aux dispositions de l'article 132-24.
Dans ces conditions, le principe de nécessité des peines se trouve pleinement respecté.
2. Sur le principe d'égalité devant la loi pénale.
Les requérants estiment que les dispositions de l'article 3 portent atteinte au principe d'égalité devant la loi en instaurant une différence de traitement entre les sanctions pouvant être prononcées à l'encontre des entreprises selon leur taille.
Un tel grief manque en fait.
L'article 3 concerne l'ensemble des personnes morales et n'introduit aucune différence de traitement entre les entreprises en fonction de leur taille et de leur chiffre d'affaires.
3. Les critiques tirées de la méconnaissance de la compétence du législateur et de l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne sont pas fondées.
Les dispositions de l'article 3 définissent, en effet, avec suffisamment de précision la sanction édictée. La notion de profit direct ou indirect, qui est l'une des deux conditions qui permettent de calculer l'amende en fonction du chiffre d'affaires, est une notion claire et non équivoque fréquemment utilisée dans le domaine des saisies et des confiscations pénales. Il est également clair que le chiffre d'affaires qui devra être pris en compte pour le calcul du quantum de la peine d'amende sera le chiffre d'affaires de la personne morale poursuivie et non celui du groupe auquel elle appartient, conformément aux dispositions de l'article 121-1 du code pénal selon lesquelles nul n'est responsable pénalement que de son fait. Il appartiendra, par ailleurs, au juge pénal de fixer le montant de la peine en tenant compte des ressources de l'auteur de l'infraction.
Le législateur n'a donc pas méconnu l'étendue de sa compétence et l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.
Dans ces conditions, les dispositions de l'article 3 de la loi déférée ne méconnaissent aucune exigence constitutionnelle.
III. ― Sur l'article 5
A. ― L'article 5 de la loi déférée étend aux infractions de blanchiment et d'atteintes à la probité le mécanisme dit « des repentis » prévu à l'article 132-78 du code pénal, qui permet d'exonérer ou de réduire la peine des personnes qui, en avertissant l'autorité administrative ou judiciaire, permettent d'éviter ou de faire cesser une infraction et d'identifier, le cas échéant, les auteurs ou complices.
Les sénateurs requérants estiment que cet article méconnaît le principe d'égalité devant la loi pénale, les principes de nécessité et d'individualisation des peines et le respect des droits de la défense.
B. ― Le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter l'ensemble de ces critiques.
1. Sur les principes...

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