Le respect de la vie privée et familiale en protection de l'enfance : un droit fondamental difficilement assuré dans un dispositif en souffrance

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0132 du 31 mai 2020
Record NumberJORFTEXT000041939518
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication31 mai 2020

Assemblée plénière du 26 mai 2020, adopté par 39 voix pour et 3 abstentions


Crise sanitaire Covid-19 : La CNCDH se doit, dans le cadre de cet avis, d'attirer l'attention sur les graves conséquences de la situation sanitaire liée à la crise du Covid-19 pour les quelques 300000 enfants suivis en protection de l'enfance, situation qu'elle a dénoncée dans sa lettre de l'observatoire de l'état d'urgence sanitaire du 15 avril 2020. Cette crise a encore accentué les difficultés que rencontrent habituellement les acteurs de la protection de l'enfance, faisant ressortir les nombreuses disparités locales et l'insuffisance de moyens. Par ailleurs, les dysfonctionnements que le présent avis met en évidence, ont pesé sur les réactions de l'ASE. La CNCDH déplore la gestion lacunaire et précipitée de certaines situations, obligeant certains enfants à être renvoyés dans des familles instables, sans préparation ni suivi effectif, et d'autres à être confinés en foyer ou en famille d'accueil, sans possibilité de voir leurs familles, créant des ruptures de liens indispensables à la sécurité psychique des enfants. Les mesures prises pour protéger de l'épidémie ont parfois exposé les enfants à d'autres formes de violence, que ce soit dans les foyers ou dans leurs familles. Le nombre d'appels au 119 a augmenté de plus de 20% depuis le début du confinement.
La fermeture des écoles est également une source d'inquiétude car elle a réduit les possibilités de contact de certains enfants et de signalements, de même que le suivi scolaire, absolument indispensable pour ces enfants.
La CNCDH s'inquiète à présent de la sortie de la crise sanitaire : les éducateurs et l'ensemble des acteurs de la protection de l'enfance vont récupérer des situations extrêmement dégradées, parfois sans suivi éducatif effectif pendant plusieurs mois. La mobilisation et les efforts qui devront être déployés pour apaiser et retrouver une certaine stabilité nécessiteront du temps et des moyens. La CNCDH attend du gouvernement qu'il prenne des mesures fortes à la hauteur des enjeux, afin que l'intérêt supérieur de l'enfant soit respecté.

Résumé : Dans cet avis, intervenant sur la saisine du Secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, la CNCDH constate que, globalement, la protection de l'enfance fonctionne mal, de façon disparate selon les départements, souvent en raison de l'absence persistante de moyens et d'une coordination efficace entre les acteurs. Les parents sont insuffisamment associés aux décisions concernant leurs enfants, et les droits effectifs des enfants peu garantis. Pour respecter le droit à la vie privée et familiale de l'enfant, la CNCDH recommande de renforcer la prévention et d'apporter aux parents l'aide appropriée dont ils ont besoin. Les mesures de placement doivent rester l'exception, les modalités d'exercice de l'autorité parentale doivent être explicitées et les droits de visites ne plus être entravés par le manque de moyens. L'intérêt supérieur de l'enfant doit guider toute action afin de garantir les liens d'attachement et les besoins spécifiques de l'enfant.
1. La CNCDH se prononce régulièrement sur la protection de l'enfance et rappelle, en application du droit au respect de la vie privée et familiale reconnu par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après CEDH), et par des textes internationaux (1), que tout doit être fait pour permettre aux enfants d'être élevés par leurs parents, raison pour laquelle les soutiens doivent être orientés d'abord vers l'ensemble de la famille (2). Dans la continuité de son avis sur les 30 ans de la Convention internationale des droits de l'enfant (ci-après CIDE) (3), elle rappelle également que, dans toutes les décisions qui le concernent, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale, conformément à l'article 3 de cette Convention. C'est pourquoi elle salue la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2019 (4), reconnaissant pour la première fois le caractère " d'exigence constitutionnelle " de l'intérêt supérieur de l'enfant (5), qui devient ainsi la pierre angulaire de toute politique publique. La CIDE toute entière poursuit l'objectif d'assurer le bien-être de l'enfant afin de garantir, dans sa globalité, son intégrité physique, psychologique, morale et spirituelle (6). Son préambule rappelle à cet effet que la famille est le milieu naturel de l'enfant afin de lui permettre d'avoir un épanouissement harmonieux (7). Dans ce contexte, il convient de concilier le droit de l'enfant au respect de sa vie privée et familiale (articles 7 et 9 de la CIDE) et son droit d'être protégé (article 19 de la CIDE). L'Etat doit veiller à assurer le respect de l'autorité parentale et des relations nouées avec l'enfant au sein de son environnement familial mais aussi à apporter une aide appropriée aux parents afin de leur permettre d'élever leurs enfants (8). Même en cas de placement, le droit au maintien des liens est consacré, à moins que celui-ci ne soit incompatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant.
2. En France, les mesures de l'aide sociale à l'enfance s'élevaient au 31 décembre 2018 à 306 800, et incluaient plus de 170.000 mesures de placement (9), ce qui situe la France dans la moyenne haute des Etats européens, en quantité de placements. La protection de l'enfance couvre des situations extrêmement variées et concerne tous les enfants : quels que soient leur origine sociale, leur état de santé, leur vulnérabilité particulière, leur situation de handicap (10), leur situation administrative (telle celle des mineurs non accompagnés), leur âge (11)… Les motifs de placements sont également très divers (maltraitance, mise en danger sérieuse de l'enfant, parents avec troubles psychologiques, état de santé, négligences graves, mais aussi situation matérielle précaire…).
3. La protection de l'enfance est un système complexe à appréhender. Caractérisée par une dualité entre la protection sociale exercée par le conseil départemental et la protection judiciaire confiée en particulier à un juge spécialisé, le juge des enfants, elle est marquée par de fortes évolutions, notamment de philosophie. Ainsi, à partir des années 80, elle change de paradigme, passant d'une éviction des parents à une implication systématique des familles si bien que le dispositif a même été qualifié par certains de " familiariste " ou " parentaliste " (12). Ce système, jugé parfois créateur d'instabilité pour les enfants, a ensuite été réajusté. La loi du 5 mars 2007 (13) a tenté de retrouver un équilibre entre la protection des enfants et les droits des parents, en redéfinissant l'action de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et en intégrant pour la première fois l'intérêt supérieur de l'enfant dans le code de l'action sociale et des familles (CASF) (14), tout en plaçant les parents dans une démarche participative. Puis, prenant en compte les nombreuses critiques portées sur l'effectivité des droits des enfants, la loi du 14 mars 2016 (15), puis la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux des enfants en protection de l'enfance et le plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, lancé le 1er mars 2017, ont tenté de consacrer une approche concrète par les droits de l'enfant. La nouvelle définition de la protection de l'enfance, qui vise " à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits (16) " mérite d'être saluée.
4. Pour autant, la réalité des pratiques demeure préoccupante et il est désormais impératif et urgent de réfléchir à l'organisation concrète et audites pratiques administratives et judiciaires, à la formation des différents professionnels, aux moyens mis en œuvre et d'agir au quotidien afin que l'intérêt supérieur de l'enfant guide effectivement les actions de la protection de l'enfance. La CNCDH est consciente que cette protection doit concilier des intérêts contradictoires entre celui des enfants à se construire dans une stabilité affective et le droit à une vie familiale. C'est pourquoi, elle est heureuse d'avoir été saisie par le Secrétaire d'Etat chargé de la protection de l'enfance auprès de la Ministre des Solidarités et de la Santé, afin d'analyser la question du maintien du lien de l'enfant placé avec son milieu familial mais aussi en ayant égard à son intérêt supérieur.
5. Cette saisine intervient dans le cadre de la concertation sur la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance 2020-2022, laquelle a notamment pour objectif de renforcer la prévention, de garantir les droits fondamentaux des enfants protégés dans le cadre de parcours continus et cohérents ainsi que de mobiliser les différents acteurs et la société civile auprès d'eux. La question liminaire à laquelle la CNCDH répond en annexe, est de savoir si le droit français est compatible avec la CEDH. Ensuite, le présent avis a pour objet d'apporter les éléments de réflexion et d'analyse sollicités par le Secrétaire d'Etat en questionnant en premier lieu le fonctionnement de la protection de l'enfance puis en examinant le droit au respect de la vie privée et familiale au regard des mesures d'assistance éducative. Enfin, la Commission soumettra des pistes de réflexions et des recommandations.

I. - La protection de l'enfance en question
A. - Une organisation et une gouvernance insuffisantes

6. La protection de l'enfance reste en 2016 le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de défense des droits de l'enfant. Les réclamations reçues alertent, de manière extrêmement préoccupante, sur l'insuffisance des moyens dédiés à la protection de l'enfance et dans certains cas sur leur mauvaise répartition, depuis la prévention jusqu'à la prise en charge des jeunes majeurs.
7. L'hétérogénéité des pratiques au sein d'un système...

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