Saisine du Conseil constitutionnel en date du 19 décembre 2014 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2014-707 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0301 du 30 décembre 2014
Record NumberJORFTEXT000029992194
Date de publication30 décembre 2014
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Enactment Date19 décembre 2014


LOI DE FINANCES POUR 2015


Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de finances pour 2015, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 18 décembre 2014. A l'appui de cette saisine, ils développent les griefs suivants :
I. - Sur l'insincérité de la loi de finances pour 2015 :
Le principe de sincérité des textes financiers a été dégagé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel à partir de 1993 par l'intermédiaire de la décision du 21 juin 1993 sur la loi de finances rectificative pour 1993 (1). Dans son commentaire sur la décision du 28 juillet 2011 sur la loi de finances rectificative pour 2011 (2), votre Conseil fait, en effet, remonter la naissance de ce principe à la décision précitée, décision qui n'entraina pas de censure sur ce fondement.
A ce titre, il convient de rappeler que le principe de sincérité des textes financiers, comme exigence constitutionnelle, se fondait à l'époque sur l'article 16 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, au terme duquel : « Les recettes sont prises en compte au titre du budget de l'année au cours de laquelle elles sont encaissées par un comptable public ».
Aujourd'hui, cette exigence constitutionnelle s'appuie sur la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, conformément à l'article 34 de la Constitution qui dispose que : « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».
Peu de temps après que cette loi organique ne soit appliquée, la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République est venue conforter cette exigence constitutionnelle en ajoutant à la Constitution un nouvel article 47-2 au terme duquel : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ».
Enfin, pour achever de décrire la base constitutionnelle sur laquelle est assis ce principe constitutionnel de sincérité budgétaire, il convient de signaler que celui-ci a été rattaché au corpus constitutionnel originel de 1789. Ainsi, le dossier documentaire joint à la décision du 28 juillet 2011 sur la loi de finances rectificative pour 2011 montre à quels éléments du corpus constitutionnel ce principe de sincérité budgétaire peut être arrimé (3). Il s'agit de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 au terme duquel : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée », mais aussi de l'article 15 qui dispose que : « La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
La lecture de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances est donc sans équivoque en ce qui concerne le respect de ce principe constitutionnel de sincérité budgétaire. Plusieurs de ses articles renvoient directement à cette exigence. Les plus abondamment cités sont les suivants : l'article 27 au terme duquel : « Les comptes de l'Etat doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière » ; et l'article 32 au terme duquel : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ». Cependant, comme le montre le dossier documentaire précité, le principe de sincérité budgétaire doit se comprendre comme un élément essentiel d'une méthode comptable que vont décrire les articles 27, 31, 32, 34, 51, 53 et 55.
II convient également de rappeler comment le Conseil constitutionnel interprète ce principe de sincérité budgétaire, et donc comment il exerce son contrôle. Dans cette perspective, la lecture de la décision du 25 juillet 2001 sur la loi organique relative aux lois de finances est fondamentale. En effet, aux termes de celle-ci : « dans le cas de la loi de finances de l'année, des lois de finances rectificatives et des lois particulières prises selon les procédures d'urgence prévues à l'article 45, la sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances », tandis que « la sincérité de la loi de règlement s'entend en outre comme imposant l'exactitude des comptes » (4).
Dans le cadre de l'analyse des orientations générales et de l'équilibre budgétaire de la loi déférée, si les requérants considèrent que les prévisions économiques sur lesquelles s'appuie le Gouvernement pour les années 2015 à 2017 sont trop optimistes, leurs divergences par rapport aux projections actuelles des économistes n'est pas d'une ampleur telle qu'elle relèveraient d'une intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances.
Pour 2015, les prévisions économiques sur lesquelles sont assises les prévisions de recettes et ensuite la trajectoire du solde public, à savoir un taux de croissance du produit intérieur brut de 1 %, semblent effectivement surévaluées au regard des estimations fournies par la Commission européenne qui envisage une croissance de 0,7 %. Pour 2016, la croissance de 1,7 % envisagée par le Gouvernement est là encore en décalage avec celle prévue par la Commission, qui prévoit une croissance de 1,5 %, pourtant beaucoup plus optimiste que certaines agences de notation qui évoquent une croissance limitée à 1,2 % du produit intérieur brut en 2016.
Nonobstant ces considérations macroéconomiques à moyen terme qu'il est difficile d'évaluer avec précision, les requérants souhaitent alerter le Conseil constitutionnel sur la détermination des recettes fiscales exposées dans l'évaluation des voies et moyens (tome I).
En effet, les recettes attendues dans cette loi de finances s'élèvent à 69,5 milliards d'euros pour l'impôt sur le revenu (en hausse de 600 millions d'euros par rapport aux recettes révisées pour l'exercice 2014), à 33,1 milliards d'euros pour l'impôt sur les sociétés (en baisse de 2,3 milliards d'euros par rapport aux recettes révisées pour l'exercice 2014) et à 142,6 milliards d'euros pour la taxe sur la valeur ajoutée (en hausse de 4,8 milliards d'euros par rapport aux recettes révisées pour l'exercice 2014).
Les requérants ont ainsi été interpellés par ces prévisions qui leur semblent manifestement surévaluées, notamment à l'aune des écarts qui ont pu être constatés entre les mêmes prévisions de recettes pour l'exercice 2014 et les recettes effectivement constatées après révisions pour ce même exercice 2014.
En effet, l'évaluation des voies et moyens réalisée à l'occasion de cette loi de finances pour 2015 consacre un chapitre aux écarts substantiels entre les prévisions de recettes en loi de finances initiale pour 2014, et les recettes fiscales nettes révisées à la fin de ce même exercice.
Ainsi, le document budgétaire précité indique en ce qui concerne l'impôt sur le revenu que celui-ci s'élèverait à 68,9 Md€ pour 2014, « en baisse de 5,5 Md€ rapport à la prévision de LFI pour 2014 ». De la même manière, les recettes issues de l'impôt sur les sociétés s'élèveraient à 35,4 Md€ pour 2014, « en baisse de 3,4 Md€ par rapport à la LFI pour 2014 ». Enfin, l'évaluation des voies et moyens confirme que ce phénomène de tassement des recettes concerne également la taxe sur la valeur ajoutée, puisque celle-ci s'établirait à 137,8 Md€ pour 2014, en baisse de 1,7 Md€ par rapport à la prévision de LEI pour 2014.
Une explication possible de ces écarts manifestes entre les recettes prévues et les recettes révisées en fin d'exercice tiendrait aux éléments suivants. En ce qui concerne l'impôt sur le revenu l'évaluation nous indique que : « la révision à la baisse supplémentaire tient pour majeure partie à la dégradation de l'évolution spontanée ». Pour l'impôt sur les sociétés, l'évaluation des voies et moyens explicite la méthodologie du comptable public dans la réalisation des corrections nécessaires entre les prévisions de loi de finances initiale et de loi de finances rectificative, et les exécutions : « la dégradation des hypothèses concernant le résultat fiscal 2013 suite à l'analyse de l'exécution 2013 (en moins-value de 2,5Md€ par rapport aux prévisions de LFR pour 2013) puis des deux premiers acomptes et du solde, a en effet contribué à réviser à la baisse l'évolution spontanée de l'impôt, qui s'établirait à - 0,6 % contre près de 7 % escomptés en LFI pour 2014 ». En matière de taxe sur la valeur ajoutée, les diminutions de recettes sont à mettre à l'actif des résultats macroéconomiques.
Il ressort de ces explications que, du fait des évolutions spontanées de l'impôt, les prévisions de recettes ont été surévaluées, que cela soit pour les exercices 2013 ou 2014, Aussi, l'analyse des recettes fiscales tirées de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés pour les exercices 2013 et 2014, indique que l'évaluation des recettes souffre davantage de la mauvaise appréciation des évolutions spontanées de l'impôt, c'est-à-dire de la dynamique naturelle de l'assiette de l'impôt, que d'une mauvaise détermination des indices macroéconomiques.
malgré les erreurs substantielles dans l'évaluation des recettes pour les exercices 2013 et 2014, et cela pour des raisons aujourd'hui parfaitement connues, il semble que le Gouvernement n'ait pas tenu compte de ces erreurs passées dans l'évaluation des recettes fiscales pour l'exercice 2015.
En effet, il est attendu une hausse des recettes fiscales nettes pour 2015 de l'ordre de 5,6 milliards d'euros par rapport aux recettes révisées en cours d'exercice 2014...

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