Saisine du Conseil constitutionnel en date du 15 novembre 2017 présentée par au moins soixante sénateurs en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution et visée dans la décision n° 2017-755 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0281 du 2 décembre 2017
Record NumberJORFTEXT000036126781
Date de publication02 décembre 2017

LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2017

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
L'article 1er de la loi de finances rectificative pour 2017, présenté à l'Assemblée nationale le 2 novembre 2017, instaure une contribution exceptionnelle ainsi qu'une contribution additionnelle toutes deux assises sur l'impôt sur les sociétés (ci-après IS ).
L'exposé des motifs de cette mesure indique qu'elle fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017 n° 2017-660 QPC, qui a jugé la contribution de 3 % prévue par l'article 235 ter ZCA du code général des impôts contraire à la Constitution. Il est ainsi précisé qu'il résultera de cette décision une charge supplémentaire pour le budget de l'Etat de l'ordre de 10 milliards d'euros , et les contributions envisagées pour compenser cette charge permettront de maintenir une trajectoire budgétaire compatible avec un retour à l'équilibre des comptes publics, et au-delà, de respecter nos engagements européens .
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'article 1er de la loi de finances rectificative pour 2017 définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 15 novembre 2017.
A titre liminaire, il y a lieu de relever que ces contributions exceptionnelle et additionnelle mises en place diffèrent tant par leurs caractéristiques que par le contexte de leur adoption et leur portée de précédentes contributions qui ont pu être validées par le Conseil constitutionnel (1).
En particulier, ces contributions exceptionnelle et additionnelle s'en distinguent par :

- les critères retenus pour en définir les redevables : respectivement 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires et 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires s'agissant de la contribution exceptionnelle sur l'IS de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts ;
- la très forte concentration en conséquence de ses redevables : de l'ordre de 300 s'agissant de la surtaxe exceptionnelle contre 1 200 pour la contribution exceptionnelle de l'article 235 ter ZAA ;
- le rendement attendu : 5 milliards pour les deux surtaxes contre 1,5 milIiard pour la contribution de l'article 235 ter ZAA ;
- l'exigence du paiement de sommes parfois très importantes par ses redevables dans un délai excessivement court et imprévisible.

Ces éléments conduisent à s'interroger sur le respect par les surtaxes de certains principes constitutionnels.

1. Sur la méconnaissance des dispositions combinées de l'article 39 de la Constitution et de l'article 15 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques
L'article 15 de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques dispose que :
Lorsque le Gouvernement prévoit de déposer à l'Assemblée nationale un projet de loi de finances rectificative ou un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, il informe sans délai le Haut Conseil des finances publiques des prévisions macroéconomiques qu'il retient pour l'élaboration de ce projet. Le Gouvernement transmet au Haut Conseil les éléments permettant à ce dernier d'apprécier la cohérence du projet de loi de finances rectificative ou du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, notamment de son article liminaire, au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques .
Par ailleurs, la première phrase du deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution prévoit que les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat . Le Conseil constitutionnel a déduit de ces dispositions qu'il en résulte que l'ensemble des questions posées par le texte adopté par le conseil des ministres doivent avoir été soumises au Conseil d'Etat lors de sa consultation (2).
La jurisprudence du Conseil constitutionnel (3) considère que le respect des exigences fixées par l'article 39 de la Constitution impose que l'avis du Haut Conseil des finances publiques doit être rendu avant que le Conseil d'Etat ne soit conduit à examiner l'avant-projet de loi de finances rectificative.
En effet, le Conseil constitutionnel a jugé que l'avis du Haut Conseil des finances publiques est au nombre des questions posées par le texte adopté , au sens de la jurisprudence précitée relative à l'article 39 de la Constitution.
Dans son avis HCFP-2017-5 relatif au premier projet de loi de finances rectificative pour l'année 2017 du 30 octobre 2017 (4), le Haut Conseil des finances publiques a estimé que l'absence d'actualisation des prévisions de recettes et de dépenses dans ce projet de loi ne le mettait pas en situation de porter une appréciation d'ensemble sur le cadre macroéconomique et la prévision de finances publiques associées à ce PLFR et ne permettait pas en outre, de situer le dispositif proposé dans un cadre économique et financier actualisé afin d'en apprécier pleinement les conséquences .
Le Haut Conseil n'a été valablement saisi ni des prévisions macroéconomiques retenues par le Gouvernement ni des éléments lui permettant d'apprécier la cohérence du projet de loi de finances rectificative au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques, contrairement aux exigences de l'article 15 précité.
Le Haut Conseil des finances publiques n'a donc pas été en mesure de formuler l'avis prévu par ces dispositions.
En tout état de cause, l'émission de cet avis lors de l'examen du second projet de loi de finances rectificative par le Haut Conseil des finances publiques est sans incidence sur le caractère irrégulier de cette procédure, dès lors que cet avis interviendrait après l'examen par le Conseil d'Etat du premier projet de loi de finances rectificative.
En conclusion, la procédure d'adoption de la loi de finances rectificative pour 2017 a méconnu les exigences de l'article 39 de la Constitution, puisque l'examen du Conseil d'Etat ne pouvait pas prendre en considération l'avis du Haut Conseil des finances publiques.
Au surplus, il convient de souligner que, dans sa décision précitée du 13 décembre 2012, le Conseil constitutionnel n'a pas exclu de faire droit à un grief de cette nature puisqu'il y indique que si, par suite des circonstances, l'avis du Haut Conseil des finances publiques venait à être rendu postérieurement à l'avis du Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel apprécierait, le cas échéant, le respect des dispositions des articles 13, 14 et 15 au regard des exigences de la continuité de la vie de la Nation (5). Or en l'espèce, la déclaration d'inconstitutionnalité du premier projet de loi de finances rectificative ne sera pas de nature à compromettre les exigences de la continuité de la vie de la Nation .

2. Sur l'inadéquation de la mesure au regard de l'objectif fixé par le législateur et l'atteinte au principe d'égalité devant l'impôt
L'article 1er de la loi déférée est contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques énoncés respectivement aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (ci-après DDHC ) de 1789.
En effet, en instituant une contribution exceptionnelle et une contribution additionnelle à la charge des entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur respectivement à 1 et 3 milliards d'euros, l'article 1er instaure une différence de traitement entre les grandes entreprises dont le chiffre d'affaires excède ces seuils, qui sont assujetties aux nouvelles contributions, et les autres entreprises dont le chiffre d'affaires n'atteint pas ces seuils, qui échappent auxdites contributions.
Or, les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques imposent au législateur de traiter de la même façon des personnes se trouvant dans une situation identique. La loi ne peut y déroger que pour des raisons d'intérêt général et à condition que la différence de traitement instituée soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
En l'espèce, toutes les entreprises se trouvent dans la même situation au regard de l'objet des nouvelles contributions, et la différence de traitement instituée par le texte est sans rapport avec l'objet de la loi. II en résulte une atteinte aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques.
En outre, les contributions vont peser pour l'essentiel sur un nombre très restreint d'entreprises qui ne bénéficieront pas, ou très marginalement, des remboursements de contribution de 3 % que ces nouvelles contributions viennent pourtant compenser.
Il en résulte une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Pour rappel, le principe d'égalité devant l'impôt se décline, d'une part, par le principe d'égalité devant la loi fiscale et, d'autre part, par le principe d'égalité devant les charges publiques (6).
Le principe d'égalité devant la loi fiscale est fondé sur l'article 6 de la DDHC qui dispose que la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse .
Il résulte du principe d'égalité devant la loi fiscale que le législateur peut régler de manière différente des situations différentes, et déroger au principe d'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit (7).
L'article 13 de la DDHC vise précisément le principe d'égalité devant l'impôt, aux termes duquel : Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés .
En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT