Saisine du Conseil constitutionnel en date du 27 décembre 2016 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2016-745 DC

JurisdictionFrance
Record NumberJORFTEXT000033935257
Date de publication28 janvier 2017
Publication au Gazette officielJORF n°0024 du 28 janvier 2017
Enactment Date27 décembre 2016


LOI RELATIVE À L'ÉGALITÉ ET À LA CITOYENNETÉ


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer l'ensemble de la loi relative à l'égalité et la citoyenneté, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 22 décembre 2016.
Ils estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels. A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.


Sur la liberté d'enseignement et la liberté d'association


L'article 39 habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions législatives du code de l'éducation relatives aux conditions d'ouverture des établissements privés d'enseignement.
L'habilitation vise en particulier le remplacement des régimes de déclaration d'ouverture en vigueur par un régime d'autorisation préalable. Elle précise également les motifs pour lesquels les autorités compétentes peuvent refuser d'autoriser l'ouverture de l'établissement ainsi que les dispositions régissant l'exercice des fonctions de direction et d'enseignement de ces établissements.
Les députés requérants estiment que la suppression des régimes de déclaration d'ouverture en vigueur par un régime d'autorisation porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'enseignement, qui est indissociable de la liberté d'association.
La liberté d'enseignement « constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré une valeur constitutionnelle » (1). Le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dispose, en effet, que « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat » (2).
La liberté d'enseignement est également protégée par les articles 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, 2 du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme de 1952. La Cour européenne des droits de l'homme a eu plusieurs fois l'occasion de confirmer la valeur de ce principe (3).
Selon la jurisprudence de votre conseil, la reconnaissance du caractère propre des établissements d'enseignements privés « n'est que la mise en œuvre du principe de la liberté d'enseignement » : l'affirmation selon laquelle l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat « ne saurait exclure l'existence de l'enseignement privé » (4). Ainsi, cette phrase du Préambule n'institue pas un monopole de l'enseignement au profit de l'Etat, la liberté d'enseignement devant s'entendre au sens d'une garantie de la pluralité de l'enseignement et du droit de créer des établissements d'enseignement (5).
Aux yeux des députés requérants, la liberté d'enseignement semble atteinte, dès lors que le droit de fonder un établissement privé n'est plus garanti. Or, cette garantie du droit de fondement d'un établissement privé, lequel peut être créé par des personnes physiques ou des associations, passe précisément par le régime de déclaration préalable qui caractérise le principe de la liberté d'association. Selon la jurisprudence de votre conseil, en vertu de ce principe, « les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable d'association ; (…) ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire » (6).
Cette jurisprudence n'a pas manqué d'être soulevée lors des débats notamment par le député Les Républicains Jean-Frédéric POISSON : « (…) Passer d'un régime de déclaration simple à un régime d'autorisation préalable constitue évidemment un rabotage des libertés fondamentales. J'en veux pour preuve (…) deux décisions très célèbres du Conseil constitutionnel. La première, qui date de 1977, consacre la liberté d'enseignement et de choix de son établissement comme une liberté garantie par la Constitution. La seconde est encore plus intéressante : c'est la célèbre décision du 16 juillet 1971 sur la liberté de création d'une association. Le président Poher avait saisi le Conseil constitutionnel d'une modification de la loi de 1901 qui entendait justement soumettre à autorisation préalable la constitution d'associations loi de 1901. Dans une décision très courte, le Conseil constitutionnel a décidé que soumettre à l'obligation d'une autorisation préalable l'exercice de cette liberté fondamentale que constitue la création d'une association serait contraire à la Constitution de la République française. » (7).
En l'espèce, le remplacement d'une déclaration à l'administration par une demande de permission remet en cause l'exercice des deux libertés fondamentales que sont la liberté d'association et, plus généralement, la liberté d'enseignement. En effet, en matière d'ouverture d'un établissement privé, le régime déclaratif, qu'il soit utilisé par une association ou une personne physique, est le seul susceptible de respecter les libertés garanties par la Constitution.
En outre, si elle a acquis son autonomie comme composante de la liberté d'enseignement, la liberté de créer un établissement d'enseignement scolaire procède également de la liberté de conscience, les parents disposant du droit d'assurer l'éducation et l'enseignement conformément à leurs convictions (8) que l'article 39 vient remettre en cause.


Sur la libre administration des collectivités territoriales


Si le législateur peut, sur le fondement des dispositions des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations et à des charges, c'est à la condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général, qu'elles ne méconnaissent pas la compétence propre des collectivités concernées, qu'elles n'entravent pas leur libre administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée (9).
Le principe de la libre administration des collectivités territoriales doit en conséquence être compris comme « un principe de protection à l'égard des empiétements de l'Etat » (10).
La jurisprudence de votre conseil rappelle que « dans son premier alinéa, l'article 72 de la Constitution consacre l'existence des catégories de collectivités territoriales que sont les communes, les départements et les territoires d'outre-mer, tout en réservant à la loi la possibilité de créer de nouvelles catégories de collectivités territoriales ; que le deuxième alinéa du même article implique que pour s'administrer librement, toute collectivité territoriale doit disposer d'une assemblée délibérante élue dotée d'attributions effectives » (11).
Ses « attributions effectives » supposent donc que les collectivités territoriales puissent exercer pleinement et librement leurs compétences. Ainsi, le législateur ne saurait adopter des mesures qui réduisent les attributions effectives des organes délibérants des collectivités territoriales et qui méconnaissent leurs compétences.
Le principe de la libre administration des collectivités territoriales suppose en outre que les collectivités territoriales puissent disposer librement de leurs ressources, comme le prévoit l'article 72-2 de la Constitution. Ainsi, le législateur ne saurait restreindre la libre disposition des ressources des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration : « les règles posées par la loi sur le fondement [des articles 34 et 72] ne sauraient avoir pour effet de diminuer les ressources globales des collectivités territoriales ou de réduire la part des recettes fiscales dans ces ressources au point d'entraver leur libre administration » (12).
Or, en l'espèce plusieurs articles augmentent les contraintes pesant sur les communes et, en conséquence, restreignent les possibilités d'exercice de leurs missions, au-delà de ce que permettait le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 « Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains ». Ces articles reviennent à vider de sa substance les compétences des collectivités territoriales et donc leur autonomie. Ils conduisent par ailleurs à une aggravation des charges publiques qui excède ce que les communes pourront supporter. Ce faisant, ces articles constituent alors une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.
L'article 70 réforme la politique d'attribution des logements sociaux, notamment en instaurant une obligation d'attribuer un nombre minimum de logements à des ménages aux revenus très modestes en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
Ainsi, sur le territoire des EPCI tenus de se doter d'un PLH ou, ayant la compétence en matière d'habitat et au moins un QPV ainsi que de la commune de Paris et des établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, 25 % des attributions annuelles de logements situés en dehors des QPV, devront être consacrées à des demandeurs appartenant au quartile des demandeurs aux...

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