Saisine du Conseil constitutionnel en date du 22 décembre 2016 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2016-743 DC

JurisdictionFrance
Record NumberJORFTEXT000033734659
Enactment Date22 décembre 2016
Publication au Gazette officielJORF n°0303 du 30 décembre 2016
Date de publication30 décembre 2016


(LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2016)


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de finances rectificative pour 2016 définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 22 décembre 2016. A l'appui de cette saisine, ils développent les griefs suivants :


I. - Sur l'article [13] modernisant les procédures de contrôle fiscal


Cet article crée une nouvelle procédure de contrôle fiscal dite « examen de la comptabilité des entreprises », ouvrant la possibilité à l'administration fiscale d'examiner depuis le bureau vérificateur - et non plus sur place dans les locaux du contribuable - la comptabilité informatisée d'une entreprise. L'article [13] a également pour objet d'aménager les modalités de traitements informatiques lors des vérifications de comptabilités informatisées.
En premier lieu, cet article méconnaît le principe du respect des droits de la défense.
Dès lors que l'examen de comptabilité est principalement caractérisé par le fait que l'administration ne se déplace pas dans les locaux du contribuable contrôlé mais opère au sein de ses propres bureaux, ces dispositions méconnaissent les droits de la défense. Ainsi, le contrôle de la sincérité des déclarations fiscales pourrait intervenir sans que soit assuré le respect du débat oral et contradictoire qui constitue pourtant l'une des garanties majeures du contribuable vérifié. C'est la présence de l'administration au sein des locaux du contribuable qui est seule à même d'assurer le respect du débat oral et contradictoire. Cette exigence se rattache étroitement au principe des droits de la défense qui constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const. 2 déc. 1976, n° 76-70 DC), principe à valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971. La protection constitutionnelle des droits de la défense ne saurait permettre de légaliser l'emport de documents sans préserver le débat oral et contradictoire. Si l'exposé des motifs de l'article évoque « la possibilité d'un dialogue entre l'administration et l'entreprise », rien n'est précisé dans la loi. Il appartiendra donc au Conseil de préciser que les dispositions adoptées par le législateur ne sauraient avoir ni pour effet ni pour objet de priver le contribuable d'un débat oral et contradictoire avec l'administration, sauf à méconnaître les droits de la défense.
En conséquence, votre Conseil doit émettre une réserve d'interprétation sur l'article [13] de la loi de finances rectificative pour 2016.
En second lieu, l'article 1729 H du code général des impôts ajouté par cet article méconnaît à un double titre les exigences constitutionnelles.
L'article 1729 H du code général des impôts instaure une amende de 5 000 € ou, en cas de rectification et si le montant est plus élevé, une majoration de 10 % des droits. Ces dispositions portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines, qui emporte l'obligation pour le législateur de fixer lui-même le champ d'application des sanctions, présentant le caractère de punition, et de définir les infractions qu'elles sanctionnent en des termes suffisamment clairs et précis. En se référant au « défaut de mise à disposition des documents, données et traitements soumis à contrôle », les dispositions de l'article 1729 H ne définissent pas de manière suffisamment précise et claire les infractions aux obligations qu'elles sanctionnent.
Par ailleurs, ces dispositions sont entachées d'incompétence négative, dès lors que la sanction pour défaut de mise à disposition « selon les normes prévues au II du même article L. 47A » renvoie à un arrêté du ministre du budget, alors même que le législateur n'a aucunement encadré les conditions dans lesquelles l'autorité réglementaire devait définir ces normes. Ce renvoi au pouvoir réglementaire, insuffisamment encadré pour définir les conditions d'application d'une sanction présentant le caractère d'une punition, est contraire à la fois à l'article 34 de la Constitution et au principe de légalité des délits et des peines.
Enfin, ces sanctions méconnaissent le principe de proportionnalité des peines, dès lors que les droits mis à la charge du contribuable peuvent être sans aucun lien avec les manquements, que cette amende a pour objet de sanctionner. Une sanction proportionnelle non plafonnée, applicable à une obligation déclarative, apparaît disproportionnée.
Pour toutes ces raisons, votre Conseil doit censurer le 2° du 1 de l'article [13] de la loi de finances rectificative pour 2016.


II. - Sur l'article [20] clarifiant la notion de bien professionnel


Cet article étend aux actifs des filiales et sous-filiales l'exclusion du régime des biens professionnels des actifs non nécessaires à l'activité de la société prévue à l'article 885 0 ter du code général des impôts.
Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l'article 13 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, qui visaient à prévoir que « l'exclusion de la catégorie des biens professionnels des éléments du patrimoine non nécessaires à l'activité professionnelle s'applique quel que soit le nombre de niveaux d'interposition entre la société et les biens non nécessaires à son activité » - ce qui revenait à « prendre en compte, dans le patrimoine des personnes physiques détentrices de participations dans des sociétés, des éléments de patrimoine appartenant à des sociétés dans lesquelles ils ne détenaient aucune participation, aux fins d'apprécier le caractère nécessaire des actifs ainsi globalisés » (Jean-Pierre Maublanc, « Non extension aux actifs des filiales et sous-filiales de la limite d'exonération d'ISF des parts sociales », Droit fiscal n° 6, 11 février 2016).
En l'espèce, le juge constitutionnel a estimé que le législateur ne pouvait asseoir l'impôt de solidarité sur la fortune sur ces éléments du patrimoine de la société « alors même qu'il n'est pas établi que ces biens sont, dans les faits, à la disposition de l'actionnaire ou de l'associé » (n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, cons. 96).
Or, l'extension proposée au présent article reviendrait précisément à asseoir l'impôt de solidarité sur la fortune sur des biens logés au sein de filiales et sous-filiales dont il n'est pas établi qu'ils sont, dans les faits, à la disposition du redevable.
Il appartiendra donc au Conseil de garantir la sécurité juridique des dispositions opposables aux contribuables, en précisant qu'aucun rehaussement ne pourrait être effectué à raison des éléments dont il n'est pas établi qu'ils sont, dans les faits, à la disposition du redevable, ou pour lesquelles le redevable, de bonne foi, n'est pas en mesure de disposer des informations nécessaires.
En conséquence, votre Conseil doit émettre une réserve d'interprétation sur l'article [20] de la loi de finances rectificative pour 2016.


III. - Sur l'article [35] portant création d'une contribution pour l'accès au droit et à la justice


L'article 50 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a inséré, dans le code de commerce, un article L. 444-2 dont le troisième alinéa énonce que « peut être prévue une redistribution entre professionnels, afin de favoriser la couverture de l'ensemble du territoire par les professions judiciaires et juridiques et l'accès du plus grand nombre au droit. Cette redistribution est la finalité principale d'un fonds dénommé “fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice” ».
Par sa décision du 5 août 2015, le Conseil constitutionnel a censuré le paragraphe III dudit article 50, instituant une contribution à l'accès au droit et à la justice destinée à financer ce fonds, au motif qu'« en habilitant le pouvoir réglementaire à fixer les règles concernant l'assiette de la taxe contestée, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence » (n° 2015-715 DC, § 48 à 52).
En conséquence, l'article [35] de la loi de finances rectificative pour 2016 propose de créer une contribution annuelle dénommée « contribution à l'accès au droit et à la justice », qui serait due par les personnes titulaires d'un office ministériel ou nommées dans un office ministériel (de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d'huissier de justice, de notaire) ou exerçant à titre libéral l'activité d'administrateur ou de mandataire judiciaire. Elle serait assise sur le montant total hors taxes des sommes encaissées en rémunération des prestations réalisées par ces professionnels au cours de l'année civile précédente ou du dernier exercice clos. Le produit de la contribution serait affecté au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice mentionné à l'article L. 444-2 du code de commerce, dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.
En premier lieu, ce dispositif méconnaît l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme...

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