Saisine du Conseil constitutionnel en date du 24 février 2014 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2014-691 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0072 du 26 mars 2014
Record NumberJORFTEXT000028774991
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication26 mars 2014


LOI POUR L'ACCÈS AU LOGEMENT
ET UN URBANISME RÉNOVÉ

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les articles 3, 6 ter, 9 et 70 quater de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové qui contreviennent à plusieurs principes constitutionnels et à valeur constitutionnelle.
I. ― S'agissant de l'article 3 :
Les requérants estiment que l'article 3 contrevient au principe constitutionnel du droit de propriété énoncé aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Ces articles disposent en effet que : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ", et que " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. "
Cependant, ce n'est qu'à partir de la décision du 16 janvier 1982 sur la loi de nationalisation, que votre Conseil a rattaché le principe constitutionnel de droit de propriété à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dans cette même décision, votre Conseil a relevé l'évolution notable de ce principe, mais a également explicité la manière dont il entend mener ce contrôle de constitutionnalité : " les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d'application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l'intérêt général " (1).
Il ressort de cette jurisprudence maintes fois renouvelée, que le droit de propriété est un principe constitutionnel au caractère élémentaire, mais que toutefois des limitations peuvent être introduites par la poursuite de l'intérêt général. Cette précision n'est cependant pas propre au principe de propriété privée puisque bon nombre d'atteintes à des principes constitutionnels doivent s'apprécier à l'aune de la proportionnalité avec l'objectif recherché, et donc avec l'intérêt général.
La jurisprudence de votre Conseil peut cependant être analysée plus finement comme le fait Jean-François de Montgolfier dans Les Cahiers du Conseil constitutionnel où celui-ci explique que le Conseil constitutionnel assure une protection différenciée du principe de propriété selon que l'atteinte constitue une privation du droit de propriété ou une limitation des conditions de son exercice, dans ce dernier cas : " le Conseil examine si l'atteinte portée aux conditions d'exercice du droit de propriété est justlfiée par des motifs d'intérêt général ". Or, les requérants considèrent que l'article 3 du projet de loi déféré porte une atteinte au droit de la propriété qui ne peut être regardé comme justifié par l'intérêt général.
En effet, l'article 3 vise à introduire un système d'encadrement des loyers dans les zones définies à l'alinéa 10 du même article, à savoir " les zones d'urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant ". En effet, ces zones seront dotées d'un observatoire local des loyers, dont les travaux serviront de base pour le représentant de l'Etat dans le département qui fixera chaque année un loyer de référence, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré.
Les alinéas 16 et 17 précisent ensuite dans quelles fourchettes peuvent évoluer les loyers de référence majoré et minoré précités. Ainsi, le loyer de référence majoré ne peut être fixé à un montant supérieur de 20 % au loyer de référence et le loyer de référence minoré ne peut être fixé à un montant supérieur au loyer de référence diminué de 30 %.
Par ailleurs, l'article 3 prévoit aux alinéas 19 à 27 les modalités d'application du complément de loyer exceptionnel " pour des logements présentant des caractéristiques de localisation ou de confort exceptionnelles par leur nature et leur ampleur par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique ". Dans ce cas, si contestation de la part du locataire il y a, l'alinéa 24 dispose que : " il appartient au bailleur de démontrer que le logement présente des caractéristiques de localisation ou de confort exceptionnelles par leur nature et leur ampleur par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique ".
Il ressort de ces dispositions présentes à l'article 3 que le propriétaire d'un bien immobilier présent dans les zones mentionnées à l'alinéa 10 du même article ne sera pas libre d'établir le loyer qui lui convient le mieux ou qu'il estime nécessaire à la pérennisation de sa situation financière puisque la perception des loyers est pour la plupart des propriétaires un complément de revenu indispensable.
Face à l'atteinte manifeste au droit de la propriété que génère cet article 3, il peut être répondu que le droit du propriétaire à demander le loyer qu'il désire est déjà limité par la loi. Effectivement, il existe des limites à la détermination par le propriétaire du loyer du bien qu'il met en location, mais ces limitations se réduisent à des dispositifs de défiscalisation comme les dispositifs " Scellier " ou " Borloo " qui prévoient des plafonds de loyer en échange d'une réduction d'impôt, ou aux limitations qui concernent les habitations déjà occupées.
Mais dans ces deux cas, la limitation des conditions d'exercice du droit de propriété est soit consécutive d'une décision du propriétaire, soit consécutive de l'occupation du bien immobilier, et dans ce dernier cas, le propriétaire reste libre de demander le loyer qui lui convient.
En d'autres termes, les requérants estiment que l'atteinte au droit de propriété, et plus particulièrement aux conditions d'exercice de ce droit, est, dans le cadre de cet article 3, sans commune mesure avec les dispositions précédemment invoquées.
Bien sûr, l'atteinte au droit de la propriété à l'article 3 relève de la limitation des conditions de son exercice et non d'une privation du droit de propriété.
Cependant, la limitation des conditions d'exercice du droit de propriété présent à l'article 3 par la privation du droit du propriétaire à demander le loyer qu'il souhaite doit être étudiée à l'aune de l'objectif poursuivi par la loi et donc à l'aune de l'intérêt général.
Encore une fois, la limitation des conditions d'exercice du droit de propriété est envisageable si elle proportionnée à l'objectif poursuivi par la loi et motivée par l'intérêt général.
De ce fait, il convient de s'interroger sur les raisons qui ont conduit le législateur à introduire une telle disposition.
L'exposé des motifs présent dans la version initiale du texte ne fait que présenter techniquement les dispositions de l'article 3, sans les justifier.
L'étude d'impact apporte pour seules justifications que : "...

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