Saisine du Conseil constitutionnel en date du 18 septembre 2013 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2013-676 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0238 du 12 octobre 2013
Date de publication12 octobre 2013
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000028056557




LOI RELATIVE À LA TRANSPARENCE
DE LA VIE PUBLIQUE


Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à la transparence de la vie publique.
Les sénateurs auteurs de la présente saisine considèrent en effet que les dispositions de cette loi contreviennent à des dispositions et principes de valeur constitutionnelle, telle que le droit au respect de la vie privée, la liberté d'entreprendre, le principe d'égalité, le droit de la défense, la légalité des délits et des peines et la séparation des pouvoirs.


I. ― Sur l'atteinte au respect de la vie privée


Votre Conseil, par sa décision du 22 avril 1997 sur la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration (1), a estimé que les méconnaissances graves du droit au respect de la vie privée affectent la liberté individuelle. Par suite, dans la décision du 23 juillet 1999 sur la loi portant création d'une couverture maladie universelle (2), votre Conseil a rattaché le respect de la vie privée à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression », précisant ensuite que cet article 2 « implique le respect de la vie privée ».
A mesure que la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en matière de respect de la vie privée s'est développée, le droit au respect de la vie privée a trouvé à s'appliquer à de nombreux domaines, parmi lesquels figure le traitement de données à caractère personnel (fichiers de police et de justice, inscriptions au casier judiciaire, protection des données médicales) comme le montre le commentaire de la décision du 30 mars 2012 sur les conditions de contestation par le procureur de la République de l'acquisition de la nationalité par mariage (3).
Après avoir identifié les dispositions constitutionnelles fondant le respect de la vie privée, et définissant le champ de son application, votre Conseil a progressivement détaillé la manière dont il entendait faire appliquer ce principe constitutionnel du droit au respect de la vie privée.
La décision du 10 juin 2009 sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (4) met en lumière qu'il appartient au législateur « d'assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et d'autres exigences constitutionnelles, telles que la protection du droit de propriété ».
C'est donc par une jurisprudence constante que votre Conseil a estimé que le législateur, dans le cadre du traitement de données à caractère personnel, devait concilier le respect de la vie privée avec les autres exigences constitutionnelles.
Or la loi relative à la transparence de la vie publique dispose aux articles 3 et 10 que de nombreuses personnalités de la vie publique doivent adresser à la Haute Autorité de la transparence de la vie publique une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts.
Ces articles permettent ainsi de dresser une liste de personnalités évoluant dans ou à proximité de la sphère politique, dont les membres du Gouvernement, les représentants français au Parlement européen, les présidents des exécutifs locaux, les conseillers des collectivités territoriales, selon des critères démographiques, les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs du Président de la République, du président du Sénat et du président de l'Assemblée nationale ainsi que toute autre personne exerçant un emploi ou des fonctions à la décision du Gouvernement pour lesquels elle a été nommée en conseil des ministres.
La déclaration de patrimoine susmentionnée devra comprendre les immeubles bâtis et non bâtis, les valeurs mobilières, les assurances-vie, les comptes bancaires courants ou d'épargne, les livrets et les autres produits d'épargne, les biens mobiliers divers, les véhicules terrestres à moteur, bateaux et avions, les fonds de commerce ou de clientèle et les charges et offices, les biens mobiliers, immobiliers et les comptes détenus à l'étranger, les autres biens, et tout cadeau ou avantage reçu susceptible d'influencer le processus décisionnel.
La déclaration d'intérêts susmentionnée devra, quant à elle, comprendre les activités professionnelles donnant lieu à rémunération ou gratification exercées à la date de la déclaration, les activités professionnelles ayant donné lieu à rémunération ou gratification exercées au cours des cinq dernières années, les activités de consultant exercées à la date de la déclaration et au cours des cinq dernières années, les participations détenues à la date de la déclaration ou lors des cinq dernières années dans les organes dirigeants d'un organisme public ou privé ou d'une société, les participations financières directes dans le capital d'une société, à la date de la déclaration, les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents, les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts, les autres liens susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts, et les fonctions et mandats électifs exercés à la date de la déclaration.
Enfin, il est prévu que la Haute Autorité rende publiques la déclaration de situation patrimoniale et la déclaration d'intérêts.
En ce qui concerne les déclarations des membres du Gouvernement, prévues à l'article 3, elles seront rendues publiques dans un délai de trois mois suivant la réception par la Haute Autorité de tous les éléments constitutifs du dossier.
En ce qui concerne les autres déclarations déposées, en application de l'article 10, elles seront rendues publiques alors que les déclarations de situation patrimoniale sont, aux seules fins de consultation, tenues à la disposition des électeurs inscrits sur les listes électorales.
Par conséquent, l'énoncé de ces nouvelles obligations légales ne laisse aucun doute sur le fait que cette loi relative à la transparence de la vie publique est composée de nombreuses atteintes au respect de la vie privée.
Il convient donc de s'interroger, d'abord, sur la conciliation par le législateur du respect de la vie privée avec les autres exigences constitutionnelles et, ensuite, sur la justification apportée par le législateur et sur la proportionnalité de l'atteinte au respect de la vie privée avec l'objectif poursuivi.
Votre Conseil admet certaines atteintes au respect de la vie privée à la condition expresse que le législateur se trouve dans une situation où il lui est imposé de concilier deux impératifs constitutionnels. Cette conciliation, notamment en ce qui concerne le traitement de données à caractère personnel, se fait entre la sécurité (intégrée au principe constitutionnel de liberté) et le respect de la vie privée.
Or dans le cas en l'espèce, l'atteinte au respect de la vie privée n'est nullement le fait d'une conciliation avec un autre principe constitutionnel puisque l'exposé des motifs de la loi précise que celle-ci s'inscrit dans le cadre de la « lutte contre les conflits d'intérêts », et que l'ambition portée par cette loi est de « placer notre pays au rang des démocraties les plus avancées en matière de prévention des conflits d'intérêts, et d'utiliser le principe de transparence au service de cet objectif ».
En ce qui concerne les obligations de déclaration de patrimoine, prévues à l'article 3, l'exposé des motifs indique que ces dispositions ont pour objet de lutter contre un enrichissement inexpliqué. Il convient donc de rappeler que l'enrichissement inexpliqué n'est pas un délit pénal mais relève de considérations déontologiques, que ni la loi ni la Constitution ne traduisent.
De la même manière, les déclarations d'intérêts, prévues à l'article 3, ont pour objet de prévenir les conflits d'intérêts ; là encore, il convient de rappeler que le conflit d'intérêts n'est pas un délit pénal et que, par conséquent, si l'ambition est louable, celle-ci ne trouve aucune traduction dans la loi et dans la Constitution.
S'il est respectable pour le législateur de lutter contre les conflits d'intérêts ou les enrichissements inexpliqués, il ne lui est cependant pas permis de déroger à des principes constitutionnels dans le but d'atteindre ces objectifs, car ceux-ci ne sont nullement fondés sur un impératif constitutionnel. La lutte contre les conflits d'intérêts ou les enrichissements inexpliqués sont en effet le fruit d'une exigence déontologique qui ne peut donc, en aucun cas, justifier des atteintes aussi manifestes au respect de la vie privée.
Par conséquent, l'atteinte au respect de la vie privée ne s'imposant pas par la conciliation entre cet impératif constitutionnel et un autre impératif du même rang, les dispositions afférentes aux déclarations d'intérêts de l'article 3 ne sauraient satisfaire un contrôle de constitutionnalité.
De plus, afin...

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