Saisine du Conseil constitutionnel en date du 18 décembre 2001 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2001-455 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF du 18 janvier 2002
Date de publication18 janvier 2002
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000000593317



LOI DE MODERNISATION SOCIALE


Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de modernisation sociale.
Les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel de déclarer la loi précédemment citée non conforme à la Constitution, notamment pour les motifs suivants développés ci-dessous.


Sur l'inconstitutionnalité du titre II
de la loi de modernisation sociale
I. - En ce qui concerne les griefs tirés
du non-respect de la procédure législative


Le Gouvernement a introduit, par voie d'amendements déposés en séance lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, un grand nombre d'articles additionnels dont plus de quatorze concernent les licenciements. Ces derniers articles modifient des dispositions essentielles du code du travail et constituent « une véritable réforme du droit du licenciement » (rapport du Sénat, M. Gournac, n° 424). Comme l'a souligné le rapporteur du Sénat, alors même que ces articles ont des conséquences considérables sur la gestion des entreprises et donc sur l'emploi, aucune étude n'a été réalisée au préalable pour établir un bilan du droit du licenciement. Un tel sujet aurait par ailleurs pu se prêter à un avis du Conseil économique et social.
Ces articles additionnels auraient dû faire l'objet d'un projet de loi distinct. Mais le recours à des amendements plutôt qu'au dépôt d'un texte spécifique a dispensé d'avoir à soumettre ces articles à l'avis du Conseil d'Etat.
Les conditions de préparation de ces mesures ne peuvent dont être considérées comme satisfaisantes.
L'article 39 de la Constitution précise que « les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat ». En conséquence, de nombreux articles du titre II de la présente loi n'ont pas été présentés au Conseil d'Etat, ce qui est contraire à l'article 39 de la Constitution.
Par ailleurs, on peut ajouter que ces amendements n'ont pas fait l'objet d'un examen dans le rapport écrit de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, ce qui est contraire aux droits du parlement.
Vous avez d'ailleurs jugé que les amendements gouvernementaux, de même que ceux émanant des parlementaires, sont constitutionnels sous réserve qu'ils ne soient pas sans lien avec le projet débattu, ni excèdent « par leur objet et leur portée les limites inhérentes au droit d'amendement » (décisions n° 86-221 DC du 29 décembre 1986 ; n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 ; n° 93-316 DC du 20 janvier 1993 ; décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990). Vous aviez déjà eu l'occasion de censurer une loi au motif que les dispositions ajoutées par amendement excédaient les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement, du fait de leur ampleur et de leur importance (décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987). Les amendements gouvernementaux, présentés en deuxième lecture, modifient de façon conséquente le projet de loi, créant ex nihilo un nouveau régime juridique pour le droit du licenciement. Force est de constater que la phase administrative de la procédure législative n'a pas été respectée.
Pour toutes ces raisons, le titre II de la présente loi doit être déclaré non conforme à la Constitution.
II. - En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des règles de compétence et du défaut de clarté et d'intelligibilité de la loi


a) Quant à la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution


Selon l'article 118 de la présente loi, les entreprises occupant plus de mille salariés qui procèdent à une fermeture partielle ou totale d'un établissement, d'un atelier ou d'une ligne de produits doivent prendre des mesures de nature à permettre la réactivation du bassin d'emploi concerné. La participation de l'entreprise ne pourra être inférieure à quatre fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé sans être supérieure à quatre fois la valeur mensuelle de ce même SMIC. C'est le préfet qui fixera le montant de cette participation financière en fonction de divers paramètres. Enfin, au cas où l'entreprise ne signerait pas avec l'Etat la convention dans laquelle doivent être définies et précisées ces mesures, la loi prévoit qu'elle devra s'acquitter du montant maximum par emploi supprimé auprès du Trésor public.
Le montant de la participation financière de l'entreprise est fixé unilatéralement par le préfet et, en cas d'absence de convention de mise en oeuvre de ces actions de conversion, elle est due au Trésor public, non pas au titre d'une sanction, mais comme substitut à l'absence d'accord entre l'Etat et l'entreprise. De ce fait, cette contribution, en toute hypothèse obligatoire à la charge des entreprises occupant plus de mille salariés et procédant à la fermeture partielle ou totale de sites, présente le caractère d'une imposition de toutes natures au sens de l'article 34 de la Constitution.
Or, selon une jurisprudence constante relative aux « impositions de toutes natures », vous avez tout d'abord décidé qu'il appartient au législateur, lorsqu'il institue une imposition, d'en déterminer librement l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement, sous réserve des principes et règles de valeur constitutionnelle et compte tenu des caractéristiques de l'imposition en cause.
Ainsi, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose (2000-437 DC du 19 décembre 2000). De même, s'il appartient au législateur d'apprécier les facultés contributives des contribuables, cette appréciation ne doit pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques et mettre à la charge d'un contribuable un impôt disproportionné par rapport à ses facultés contributives.
Par ailleurs, vous avez décidé que si l'article 34 de la Constitution réserve à la loi la fixation des règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures, il ne s'ensuit pas que le législateur doive fixer lui-même le taux de chaque impôt. Il lui appartient seulement de déterminer les limites à l'intérieur desquelles le pouvoir réglementaire est habilité à arrêter le taux d'une imposition (2000-442 DC du 28 décembre 2000).
En adoptant l'article 118, il peut être démontré que le législateur a porté atteinte à ces règles et principes de valeur constitutionnelle. En effet :
- d'une part, le législateur a méconnu le champ de sa propre compétence en laissant au préfet une marge d'appréciation importante quant au taux de la contribution demandée (de deux à quatre) ;
- d'autre part, le législateur a imposé une contribution disproportionnée par rapport aux facultés contributives d'une entreprise qui, justement, a des difficultés économiques (au minimum, deux fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé) ;
- enfin, on remarquera qu'en cas de versement au Trésor public et contrairement à l'objectif poursuivi par la loi, aucune garantie n'est apportée pour que ces sommes soient affectées à la création d'activités dans le bassin d'emploi en question.
Pour toutes ces raisons, l'article 118 de la présente loi doit être déclaré non conforme à la Constitution.
b) Quant à la méconnaissance par le législateur du champ de sa compétence et à la violation de l'exigence de clarté de la loi qui découle de l'article 34 de la Constitution
Dans l'exercice de ses compétences, le législateur doit exercer pleinement celles-ci afin, soit d'écarter tout arbitraire ou toute incertitude lors de son application (par les sujets de droit, l'administration, le juge), soit d'empêcher les autorités en charge de la mise en oeuvre de la loi (pouvoir réglementaire, autorité administrative indépendante, partenaires sociaux, le cas échéant) de s'immiscer inconstitutionnellement dans le domaine de la loi.
En d'autres termes, pour être conforme à la Constitution, la loi :
- doit être suffisamment précise et complète pour écarter tout risque d'arbitraire ou toute incertitude quant à sa portée ;
- ne peut abandonner au décret la fixation de certaines règles.
Par ailleurs, pour être constitutionnelle, la loi doit être claire. En effet, lorsque la loi porte diverses obligations et/ou sanctions très précises à la charge de ses destinataires, elles ne doit pas être écrite de façon...

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