Saisine du Conseil constitutionnel en date du 19 mars 2003 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 3, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2003-469 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°75 du 29 mars 2003
Date de publication29 mars 2003
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000000786763



LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIVE
À L'ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE


Conformément à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, nous avons l'honneur de demander au Conseil constitutionnel de bien vouloir examiner la conformité à la Constitution de la loi relative à l'organisation décentralisée de la République ratifiée le 17 mars 2003 par le Parlement réuni en Congrès.
Nous estimons, en effet, que plusieurs dispositions de cette loi méconnaissent le dernier alinéa de l'article 89 de la Constitution selon lequel « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ».
Certes, la décentralisation est aujourd'hui une nécessité pour moderniser la gestion des affaires publiques et vivifier la démocratie. Mais les grandes lois de 1871, 1872, 1884 et surtout de 1982 et 1983 ont déjà beaucoup fait dans ce sens sans qu'il soit nécessaire de remettre en cause les fondements du pacte républicain.


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I. - Sur la compétence du Conseil constitutionnel
I-1. Les conditions posées par l'article 89


Si le constituant est souverain, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a rappelé, cette souveraineté est toutefois subordonnée à plusieurs conditions énumérées par l'article 89 lui-même :
a) Des conditions de procédure tout d'abord :
- l'initiative n'appartient qu'au Président de la République sur proposition du Gouvernement ou aux membres du Parlement. La révision n'entre donc pas dans le cadre des compétences reconnues au Premier ministre par l'article 39 de la Constitution ;
- le projet ou la proposition de révision doit être d'abord voté en termes identiques par l'Assemblée nationale et par le Sénat. Ceci suppose donc que la « navette » se poursuive tant que les deux assemblées ne sont pas parvenues à un texte commun ;
- le projet, ou la proposition, ne peut devenir définitif qu'après avoir été ratifié par référendum ou, pour les seuls projets, par le Parlement réuni en Congrès et statuant à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Ces conditions ont été respectées en ce qui concerne la révision soumise au Conseil ;
b) Une condition de temps ensuite.
L'avant-dernier alinéa de l'article 89 interdit d'engager ou de poursuivre une procédure de révision lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire. Cette interdiction n'a pas lieu de jouer dans l'espèce soumise au Conseil constitutionnel ;
c) Enfin, une condition de fond.
Le dernier alinéa de l'article 89 de la Constitution précise que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ».
C'est au regard de cette disposition essentielle qu'il est demandé au Conseil constitutionnel de bien vouloir se prononcer.


I-2. Le contrôle du respect de l'article 89


a) Dans sa décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962 relative à une loi adoptée par la voie référendaire, le Conseil constitutionnel a rappelé que sa compétence, en matière d'examen de la conformité des lois, concernait uniquement « les lois votées par le Parlement ».
Lorsque le Président de la République prend l'initiative d'une révision en empruntant la voie de l'article 89 et décide de soumettre sa ratification au Parlement réuni en Congrès, il en résulte à l'évidence une loi « votée par le Parlement », même si c'est au terme d'une procédure spécifique.
Le Conseil constitutionnel a donc reconnu sa compétence en la matière, et il a d'ailleurs ultérieurement confirmé qu'il était compétent « pour les lois votées par le Parlement » (décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, considérant n° 2).
La question qui se pose est donc celle de la portée exacte de sa compétence.
b) Dans sa décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, le Conseil constitutionnel a souligné que si le « pouvoir constituant est souverain », il ne l'est que sous réserve, notamment, « du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles "la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » (considérant n° 19).
Il résulte de la combinaison de ces décisions du Conseil constitutionnel que celui-ci est, d'une part, compétent pour examiner la conformité d'une loi de révision votée par le Parlement et, d'autre part, ne peut que se vérifier si les exigences posées par l'article 89 de la Constitution ont bien été respectées, en s'abstenant de toute autre appréciation sur le texte concerné. Ce contrôle ne peut donc en aucune façon être regardé comme une soumission du pouvoir constituant dérivé à une quelconque « supraconstitutionnalité ».
Or, dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel se refuserait à examiner si les règles posées par l'article 89 de la Constitution ont bien été respectées, alors, et malgré les précautions prises par le général de Gaulle en 1958 pour tirer, à travers la nouvelle Constitution, les leçons du passé, nul ne saurait s'opposer à une révision supprimant purement et simplement la République, même de fait et sans le dire expressément, comme l'histoire nous l'a appris.
Car dans ce cas, la réserve prévue, expressis verbis, par l'article 89, alinéa 5, de la Constitution et l'appréciation portée en 1992 par le Conseil constitutionnel seraient lettres mortes et n'auraient aucune portée. Une telle lecture paraît peu conforme à la volonté du pouvoir constituant originaire dont on doit considérer qu'il demeure distinct du pouvoir constituant dérivé.
Le Conseil constitutionnel ne peut donc qu'exercer pleinement toute sa compétence en examinant, comme il le lui est demandé, si la révision approuvée par le Parlement réuni en Congrès le 17 mars 2003 respecte bien l'article 89 de la Constitution, et notamment son dernier alinéa.


II. - La portée du dernier alinéa
de l'article 89 de la Constitution
II-1. L'historique de cette disposition


L'interdiction de réviser la « forme républicaine du Gouvernement » est une disposition traditionnelle des constitutions de la République.
Après la chute du second Empire, elle prend place dans l'article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août 1884 et l'histoire nous apprend qu'elle a été introduite pour confirmer le caractère irréversible de la République en France. Certes la IIIe République voulait avant tout préserver la France du retour de la monarchie après l'échec du comte de Chambord et le vote de l'amendement Wallon. C'est...

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